Grand amateur de poésie depuis l’enfance, je dois avouer à ma grande honte, que je ne connaissais pas les Éditions Tarabuste (1) qui ont pourtant fêté allégrement leurs 35 années d’existence.
D’autant que ce nom surprenant, venu de l’ancien français, si l’on s’en réfère à son étymologie a une connotation quelque peu péjorative (2); mais qui peut aussi aiguiser la curiosité…
Déjà, il sonne bien à l’oreille, comme un cri de ralliement.
Aussi quand Christian Thorel, le bon génie de la Librairie Ombres Blanches, m’a invité à aller voir l’exposition qu’il leur consacre sur les murs et les tables de celle-ci, en particulier à la Galerie de la rue Mirepoix, en insistant sur la beauté des ouvrages exposés, je ne me suis pas fait prier: j’ai décelé dans ce nom une invitation au voyage pour les amateurs de voyages au long cours.. Comme le titre d’une de leurs publications.
Chemin faisant, tandis que me revient l’aphorisme de Léonard de Vinci, (que d’aucuns trouveront peut-être rébarbatif comme le nom des Éditions Tarabuste), « La Poésie, bride et timon de la Peinture », je me rappelle que même avant l’invention de l’imprimerie, l’illustration d’œuvres littéraires et poétiques a été une source de chefs-d’œuvre: je me remémore d’abord les enluminures médiévales, que ce soit celles des artisans dans les monastères à partir du XIIIe siècle, à vocation principalement religieuses, ou celles du Maître de Luçon illustrant les chroniques de Jehan Froissart au XIVe siècle, ou celles encore des Très riches heures du Duc de Berry au XVe siècle, qui sont dans la mémoire de tous les amateurs d’art. Je pense ensuite à la Divine Comédie de Dante Alighieri magnifiée par Gustave Doré -une autopublication de 1861 (il n’avait pas trouvé d’éditeur !), et plus récemment aux œuvres de Chagall, Matisse ou Miro pour accompagner des amis poètes; et je pense en particulier aux Poèmes de René Char, ces treize poèmes en prose, issus du Poème pulvérisé, illustrés de quatorze bois et d’une lithographie de Nicolas de Staël.
Ces correspondances entre art poétique et art graphique m’ont toujours fasciné.
D’emblée, en pénétrant dans la Galerie, je suis sidéré bien sûr par la beauté des ouvrages proposés, qu’ils soient grands ou petits. Car avant de lire les poèmes recelés à l’intérieur, ce sont les œuvres picturales des couvertures et des planches exposées qui m’émerveillent.
Au premier regard les englobant.
Avant même d’ouvrir les ouvrages et de tourner les pages.
Créée en 1986, se distinguant par la qualité des textes édités mais surtout par la qualité de leur travail d’édition, travaillant en auto-diffusion, et participant à de nombreux salons, Tarabuste est plus connue à New York, aux États-Unis, qu’en France où cette maison d’édition est pourtant installée depuis bientôt quarante ans à Saint-Benoit-du-Sault (Indre), « un des plus beaux villages de France, à l’architecture médiévale, entre Berry et Limousin ».
Peut-être parce que ce trio d’éditeurs qui font tout du début à la fin, une fois les manuscrits acceptés, est des plus discret. Composé de Djamel Meskache, Claudine Martin et Tatiana Levy, il trace son chemin entre poésie et littérature avec la sérénité de celles et ceux qui ont toujours su où ils voulaient aller. Avec pour devise: « La main de l’auteur et celle de l’éditeur ». Et en privilégiant « la dimension humaine », avec pour seule fierté de pouvoir dire: « Créer une maison d’édition, c’était un rêve de jeunesse. »
Je remarque par ailleurs que Djamel Meskache est aussi graphiste pour le dernier (dans tous les sens du terme) recueil d’Antoine Emaz (1955-2019), Erre…
Grâce au travail d’orfèvre de cette petite équipe, mon œil rend hommage d’abord à la main, cette main qui a composé la poésie, cette « voyageuse toujours attentionnée, qui porte en soi la tige qui engendre les plus merveilleuses des créatures », mais aussi le graphisme.
Je note un faible certain pour Louis Calaferte (1928-1994), -l’enfant de Turin au parcours cabossé-, et James Sacré (né en 1939), -qui a commencé par être instituteur comme René-Guy Cadou, avant d’aller enseigner aux USA-, que j’appréciais déjà beaucoup, mais je découvre les peintres qui les accompagnent (et qu’à ma grande honte une fois de plus, je ne connaissais pas). Bien sûr, comme pour toute les nourritures terrestres ou spirituelles, il en est pour tous les goûts et les couleurs. Mais au bout de ma visite, je comprends que « c’est l’esprit Tarabuste qui met ensemble la main de l’éditeur et celle de l’auteur, pour la fabrique de livres qui sont lieu de respiration pour les mots… », selon James Sacré.
Même si mes goûts me portent en majorité vers le patrimoine poétique (déformation sans doute de mes études « classiques »), je vois que les poésies et les peintures d’artistes vivants sont omniprésentes, sans doute une volonté de s’inscrire fermement dans le temps présent, de s’ancrer puisqu’il s’agit d’une navigation au long cours de près d’un millier de livres édités.
J’essaie de m’attarder sur les poèmes.
Dans ses Figures de solitude, James Sacré s’interroge: « venue, tonitruante ou à pas légers, elle est une si grande présence; Petite musique ou volumineuse colère des mots, qui semble accompagner (dans le plaisir ou dans le désespoir) nos façons de vivre, nous aide-t-elle à vivre ? » Plus loin, il remarque: « Tu vas dans un livre comme on va dans un paysage, comme on va dans la vie (…). Au bout du voyage, on ne sait plus très bien ce qu’on a vu, On se perd dans le bruit des mots, Dans le silence des choses, des visages. On referme le livre, on quitte un paysage, ça ressemble À quand on termine un poème. On est seul. »
Mais au final, il donne cette définition quasi biblique qui me convient parfaitement: « la Poésie comme on peut manger pour vivre ».
Je ressens que ces éditions-là avec leurs trésors de papier font plus que tarabuster mon imaginaire, elles le titillent, elles sont des odes « à la réalité fallacieuse du rêve, à la matière esthétique palpable », comme l’écrivait le grand Rafael Alberti qui illustrait lui-même ses poèmes de dessins avec des crayons de couleurs, créant des livres de grand format, au tirage limité, avec des eaux-fortes et des gravures sur plomb, composant un alphabet pour ce qu’il appelait une Lyricographie:
Peinture, poésie, calligraphie et musique
– Des feuilles, des étoiles, des fleurs.
Tout est dans l’alphabet.
Dans la calligraphie, exaltée, tout résonne.
De part en part,
Le lyrisme parcourt le monde.
Toutes les paroles chantent sur les antennes de l’alphabet.
Comme le soulignent les études qui lui ont été consacrées, Rafael Alberti avait une conscience aiguë, que l’on trouve rarement chez les hommes de plume, du fait que « la poésie est aussi une graphie », c’est-à-dire un mode de représentation de la parole par l’écriture, et cette écriture faite de lettres était, pour lui, une calligraphie, c’est-à-dire une forme, un dessin unique, fait à la main. « Écrire, c’est dessiner des signes conventionnels, en général en couleur sombre, noir ou bleu, sur un papier le plus souvent blanc. C’est donc, sur une page blanche, tracer un signe à la main dans une couleur qui contraste avec le fond ».
Mais je pense aussi à mon cher Léo Ferré, qui une fois installé en Toscane avec sa douce Marie, son piano et sa table de travail au centre de la maison, a installé à proximité, dès 1974, sa vieille machine à imprimer Heidelberg et créait des beaux livres aux formats peu orthodoxes, (rien d’étonnant chez un anarchiste de cœur) avec ses poèmes et ceux de ses phares illustrés de reproductions de Pisanello à Van Gogh et Bodmer en passant par Daumier pour lequel il avait un faible (3). Je garde précieusement ceux qu’il m’a dédicacés.
Bien sûr, le matériel d’impression de Tarabuste doit être plus sophistiqué, mais je suis heureux d’apprendre de la bouche de Christian Thorel que nos éditeurs « font tout eux-mêmes de leurs mains, depuis le choix des œuvres poétiques et graphiques jusqu’à l’expédition en passant par la mise en forme et l’impression »: de vrais artisans d’art! Comme le furent en leur temps René Rougerie (1926-2010) en Haute Vienne avec Boris Vian, Max Jacob, René-Guy Cadou…, et Pierre-André Benoît dit PAB (1921-1993), lui-même poète, à Alès, et aussi les Éditions Cheyne aujourd’hui encore au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire.
Mais avec cette dimension graphique inégalée et sans doute inégalable…
Je m’arrête longuement devant les planches exposées de Corridas de Claude Viallat (peintures) et Jean-Michel Mariou (texte), les plus prégnantes immédiatement:
de l’Evangile Métropolitain de Louis Calaferte, illustré par pas moins de 12 artistes, mais aussi de son Miroir du Cosmos par Claude Gervais:
de Le plus petit âne à Oujda de Claude Cognée et James Sacré,
et surtout de Carne dei Fiori-Chair des Fleurs de Claude Cognée encore et Djamel Meskache (texte), mes préférées:
Je suis aussi très attiré bie sûr par bel oiseau long courrier de Françoise Clédat & Gaëlle Pélachaud:
Je comprends pleinement les correspondances entre plasticiens et poètes, dont le travail plastique est aussi de « dégrossir les mots, de les menuiser », selon James Sacré encore.
En fin de déambulation, je remarque, en bon hédoniste, l’édition des 20 ans, « Il y a vingt ans que je vous aime », avec un Envoi de Djamel Meskache, les contributions graphiques des principaux plasticiens « maisons » et… une bouteille de vin que je devine succulente: comme le chantait Léo Ferré (encore diront les pisse-froids), « quand on aime on a toujours 20 ans ».
Et j’imagine l’édition que nous concoctent ces Tarabusteurs d’Art pour leurs 40 ans.
Cette fois, je ne raterai pas ce rendez-vous poétique.
Et je repars par les petites rues jusqu’à longer la Garonne en fredonnant:
Quand on aime on a toujours 20 ans
Quand on aime c’est pour tout’ la vie
On bat son destin comme les brêmes
On touche à tout on dit je t’aime
Qu’on soit d’la balance ou du lion
On s’en balance on est des lions
On s’ dit qu’y a pas d’âge pour qui s’aime
Et en cherchant son cœur d’enfant
On dit qu’on a toujours vingt ans
Quand on aime on a toujours 20 ans.
PS1. Galerie d’Ombres Blanches 5 rue Mirepoix à Toulouse:
Jusqu’au 16 septembre 2023
Fermeture du 7 au 21 août – réouverture le 22 août à 14h00
Du mardi-vendredi 14h/19h et samedi 10h/13h-14h-19h
PS2. Samedi 16 septembre à 17 h Rencontre avec le poète James Sacré. Suivie d’un dévernissage de l’exposition.
PS.3 Outre les Correspondances, tirages de têtes et limités, numérotés et signés par les plasticiens et les poètes, sont proposés Au revoir les enfants, des tirages limités à 100 exemplaires, et Doute B.A.T, signés par les plasticiens et les poètes.
Dans la librairie étrangère juste à côté sont présentés des éditions de poche (Tarabuste a pensé à toutes les bourses) et l’exposition continue, de même qu’au café dans la librairie principale.
Pour en savoir plus:
1- Editions TARABUSTE, Rue du Fort – 36170 Saint-Benoît-du-Sault – France.
https://www.laboutiquedetarabuste.com/CONTACT.s.htm
2- Importuner ou contrarier quelqu’un par des interruptions, par des paroles déplaisantes; harceler par des questions, des demandes, des récriminations. Traiter rudement, houspiller, harceler. Préoccuper vivement, causer du souci, du tracas. Synon. tracasser.
3- Éditions GUFO DEL TRAMONTO.