Ange, disparu ? Certainement pas. Dans les années 1970, les débuts sont tonitruants. Remarquée par une interprétation rock progressif, façon Genesis, de Ces gens là de Jacques Brel, la formation collectionnera les disques d’or : Le Cimetière des Arlequins, Au-delà du Délire, Emile Jacotey. Ange est le premier groupe français à se produire au festival de Reading, le 26 août 1973 il est ovationné par près de trente mille spectateurs. En 1977, le Ange Tour fait salles combles. Les concerts durent deux heures et demie, les amateurs s’y précipitent. Déjà ses membres pensent à d’autres horizons, qu’ils iront explorer séparément. Christian Décamps, le leader charismatique, ne lâche pas la barre, trouve d’autres complices pour l’accompagner. Le bateau n’est pas ivre, il affronte toutes les eaux même les plus tumultueuses. Les médias ne feront que très rarement l’écho de ses aventures, c’est ce qui fera dire à Christian Décamps sur le ton de la plaisanterie « Ange est le groupe le plus célèbre à être passé inaperçu ». Après ses 50 ans d’existence fêtées au cours d’un concert mémorable donné le 1er février 2020 au Trianon à Paris, la formation reprend la route avec, pour commencer, une halte à Albi, au Festival Pause Guitare, où elle se produira le mercredi 5 juillet à 19h00.
Avant d’allumer le feu avec ses complices – un feu que ne manqueront pas d’entretenir, Billy F Gibbons, Queens of The Stone Age et Shaka Ponk à l’affiche aussi ce soir là – Christian Décamps revient sur une carrière riche et multiple…
Louis-Marie Soler : Vous êtes le leader historique d’un groupe qui vient de fêter, il y a à peine deux ans, ses 50 ans d’existence, ce groupe, c’est Ange et toute la magie de cette musique que vous avez fait continuer et perdurer pendant toutes ces années, on va pouvoir la redécouvrir très bientôt le mercredi 5 juillet au festival Pause guitare. Quand vous jetez un coup d’œil dans le rétroviseur, qu’est-ce que vous voyez ?
Christian Décamps: Une route magnifique, avec beaucoup de bruit, de virages dangereux, de lignes droites bordées de palmiers, de soleil. Puis des moments incertains, des moments très forts, beaucoup de moments très forts d’ailleurs. Et puis, c’est carrément le résultat d’un heureux hasard.
LMS : Un alignement de planètes ?
Décamps: Oui, oui, tout à fait. Tout s’est aligné, comme on ne sait pas ce qu’on fout sur cette terre, on ne le saura jamais. Donc autant être poète et raconter l’imaginaire.
LMS : C’est la poésie qui caractérise votre musique. Vous fêtez 50 ans de carrière. Ce sont les années 70 qui ont fait parler de vous avec différentes définitions de la musique qui vous caractérisait.
Décamps: Oui, on a toujours voulu partir à la découverte. Un peu comme Vasco de Gama, quoi. On partait avec comme un vaisseau. Moi, ça a toujours été un rêve parce que dès que j’ai découvert le rock, le rock british en particulier. J’ai d’abord commencé dans un groupe de reprises, un groupe de bal où on reprenait des chansons, des tubes de cette époque-là, de fin des années 60.
Et puis on a été influencé par des gens comme Procol Harum, Aphrodite’s Child avec ce fameux 666 qui est un album fantastique, Manfred Man Earth Band, les Who… c’est un mélange, en fait ce qu’on appelle le rock progressif.
LMS : C‘est le début de votre tournée estivale. Vous commencez par le festival Pause guitare à Albi. Une tournée d’été qui va passer aussi par les Francofolies…
Christian Décamps: Oui, oui, quelques festivals. Ce n’est pas énorme, mais ça fait un moment qu’on n’a plus tourné, on est en studio en train de peaufiner un nouvel album qui sortira avant la fin de l’année. Et là, on va se faire une petite virée, une petite excursion festivalière.
LMS : Il y a quelque chose qui m’a toujours intrigué… Comment avez-vous choisi le nom du groupe ?
Décamps : C’est pas compliqué. Le groupe de reprise qu’on avait avant s’appelait Les Anges, on a simplement mis le singulier et puis on faisait beaucoup d’humour A.N.G.E, À Nous les Grandes Envies, il vaut mieux être à l’A.N.G.E qu’à l’A.N.P.E, ça ne marche plus c’est Pôle emploi maintenant. Bon, je vais dire Analyses Naturelles des Grands Esprits aussi. Enfin, il y a tout eu. Mais la vérité, c’est qu’on s’appelait Les Anges et quand on a fait nos propres compositions, on s’est baptisé Ange tout simplement.
LMS : Ange a été propulsé dans la lumière des projecteurs avec un titre qui vous a collé à la peau Ces gens-là de Brel
Décamps: Qui nous colle toujours à la peau mais qu’on adore, qu’on adore faire parce qu’il est remarquable
LMS : Il y a une partie de la chanson que vous n’interprétez pas, toujours avec la même pudeur ?
Décamps: Oui, Frida on a voulu la laisser à Brel, parce qu’elle lui appartient. A l’époque quand on a mis en place cette chanson sur Le Cimetière des Arlequins, j’ai préféré qu’on remplace Frida par un chorus de guitare. Ce chorus de guitare de Jean-Michel Brézovar personnifie cette Frida que l’on ne connaît pas beaucoup.
LMS : Comment définiriez-vous votre musique ? À l’époque, on a tout dit sur Ange Progressive Rock… J’ai même lu quelque part Mâchicoulis rock à cause de vos influences poético-médiévales…
Décamps: C’est la musique de l’imaginaire, C’est ce que je dis sur scène encore maintenant : “Bienvenue dans le monde angélique, là où les notes et les mots font l’amour.” C’est la définition pour moi de la musique !
LMS : La musique et la création sont importantes pour vous. Est-ce que vous avez aussi écrit d’autres choses en dehors de la musique ?
Décamps : Des romans, des romans et j’ai écrit des nouvelles comme Sève qui peut à l’époque du bicentenaire de la Révolution. C’était une commande
En 77, mon premier recueil de poésie : Rien qu’une poignée d’images. Ensuite, en 1996, j’ai écrit mon premier roman, Baba sur les fesses du Bon Dieu, plus tard un deuxième roman, qui s’appelle La voiture à eau, qui avait son pendant musical avec l’album d’Ange qui s’intitulait aussi La voiture à eau. Et puis j’ai entamé un troisième roman, que je n’ai toujours pas terminé, qui s’appelle Le bois travaille même le dimanche.
LMS : En ce qui concerne la musique, il y a eu ce passage des années 1970. On a pensé un moment qu’Ange allait s’arrêter. Puis ça a repris de plus belle, mais avec un changement de musiciens.
Décamps : Ou de personnel comme on dit ! Il y a des gens qui n’ont plus envie de continuer le voyage. D’ailleurs, la formation d’origine n’a duré que quatre ans, Ange en fait, c’est une entité. Ange est éternel, je dirais..
LMS : Vous pensez que le jour où vous arrêterez, Ange pourra continuer sans vous ?
Décamps : Oui, je pense. Ils font ce qu’ils veulent, je ne veux pas les obliger mais je pense que oui, ils vont continuer. Il y a déjà un gros virage sur cet album qui va sortir. Cet album d’ailleurs s’appellera Cunégonde. Il sortira avant la fin de l’année. Mais moi, je m’arrête, j’arrête la scène le 31 janvier 2025 à l’Olympia parce que je serai au seuil de mes 80 ans et que j’ai beaucoup de problèmes physiques, de l’arthrose, des rhumatismes articulaires qui ne sont pas du tout agréables quand on est sur scène. Mais j’adore chanter et j’adore la scène et le public. J’ai prolongé parce que c’est un plaisir toujours de voir les gens. Mais bon, il faut savoir souffrir, c’est sûr, comme disait le grand chanteur, l’impotent, c’est l’arthrose ! C’est difficile quand on a des rhumatismes articulaires de pouvoir apprécier d’être sur scène, donc je me suis mis une limite. Mais cela n’empêchera pas Ange de continuer parce que c’est le réel mais Ange est éternel.
LMS : Vous avez commencé, entre autres avec votre frère Francis et dans cette formation maintenant, qui a plus de 25 ans, vous continuez avec Tristan, Tristan Décamps, votre fils.
Décamps : Il a une voix remarquable, il joue des claviers et puis il y a Hassan Hajdi à la guitare qui est un virtuose, Thierry Sidhoum, un excellent bassiste et Ben Cazzulini, batteur, ingé son et tout ce qu’on veut. Dans la prochaine tournée, on aura même un claviériste additionnel à partir du mois d’octobre. Ce qu’on va faire à Pause Guitare, c’est un extrait du concert qu’on a donné au Trianon pour nos 50 ans et qui fait référence à ces 50 années de bonheur sur la route.
LMS J’ai réécouté l’album du concert au Trianon, je suis tombé sur ce moment où vous dites pendant le set, “Ange est le groupe le plus célèbre à être passé inaperçu”. 50 ans de carrière on ne parle pas beaucoup de vous dans les médias. Vous pensez que vous êtes blacklisté ?
Décamps : Oui, oui, j’en suis sûr. Au début, on avait un manager qui était assez peu recommandable, Jean Claude Pognant. Je pense qu’il a commis pas mal de bévues dans le milieu du showbiz. Mais bon, ce n’est pas une raison pour nous blacklister.
Il faut quand même dire une chose, le showbiz ne changera pas, il est toujours le même. C’est comme une vieille péripatéticienne, rien ne changera.
Là encore, actuellement, c’est toujours les mêmes qui passent. C’était comme ça à notre époque, on a eu quelques incursions dans les programmes télé dans les années 70 parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement mais quand il y a eu Les Enfants du Rock, par exemple, on n’est jamais passé. On était quand même un groupe, en France en 77, qui faisait plus de 5000 personnes par concert. Notre attaché de presse de l’époque avait demandé pourquoi on ne passerait pas un concert ou un extrait de concert aux Enfants du Rock. On nous a répondu, si vous faites 5000 personnes par concert, vous n’avez pas besoin de nous et la semaine d’après il passait un concert de Genesis ! C’est un peu paradoxal. Tant mieux pour Genesis mais enfin on n’a jamais eu cette couverture des grands médias qui permet d’être en vitrine.
LMS : Certains de vos morceaux comme Si j’étais le Messie, par exemple, ou encore Jusqu’où iront-ils ? étaient engagés.
Décamps : Oui, oui, c’est une façon de voir le monde et les choses autour de nous. Pour moi les religions ne servent à rien. Ce sont les contes de fées qui sont importants, pas les bréviaires. C’est pour ça que, en fait, un artiste, un poète est là pour raconter les choses et ses avis. Moi je ne suis pas un messager, en fait je ne suis qu’un poète qui écrit souvent de l’écriture spontanée et qui fait tout pour le partager avec un public, qui suit ou qui ne suit pas. Mais le problème est que, maintenant, il faut être politiquement correct.
LMS : Quand vous composez, quand vous écrivez, vous vous mettez devant une table ou vous vous installez au moment où ça vous vient ?
Décamps : C’est plutôt ça. J’ai horreur de la page blanche. Si je ne suis pas inspiré, je ne vais pas écrire. Dès que j’ai une inspiration, j’ai un petit bonhomme ou une petite fée qui me raconte dans la tête qu’il y a quelque chose et puis je suis aussi assez friand et observateur. Je regarde un peu ce qui se passe maintenant à travers les médias, à travers Internet et les réseaux sociaux qui sont la grande manipulation du nouveau siècle.
Ça, c’est un danger mais je ne veux pas faire flipper les gens. Alors je raconte des autres histoires, des histoires que j’invente, plutôt que de raconter toujours la même chose, il y aura toujours des migrants qui vont couler dans la Méditerranée. Il y aura toujours des guerres, il y aura toujours ceci, il y aura toujours cela. L’histoire du monde le prouve. Je pense qu’on n’a pas trouvé encore l’antidote à la guerre. C’est pour ça que j’ai chanté dans Fou, par exemple, “Et si ça vous amuse de froisser des colombes en papier pour des années-lumière, moi pas, j’ai mieux à faire, j’ai le rôle du sexe dans Emmanuelle”, ça veut dire ce que ça veut dire. Et je me suis aperçu un peu plus tard que Tim Burton l’avait fait remarquablement bien dans Mars Attacks ! où les colombes se font dégommer, j’adore. C’est beaucoup d’humour et l’humour, c’est important. L’amour, l’humour ça fonctionne bien ensemble. Mais les partis, la politique, tout ça, c’est du cinéma.
LMS : Dans la musique actuelle, y a-t-il un groupe, une chanteuse ou un chanteur qui vous plaît ? Avez-vous trouvé un héritier parmi ces groupes, ces musiciens?
Décamps : Pour moi, les héritiers d’office, c’est Feu ! Chatterton. Il n’y a pas photo. C’est vraiment le groupe qui a commencé comme nous, qui allie les mots à la musique et ils sont créateurs. Ils créent et ils inventent.
LMS : Vous les avez rencontrés ?
Décamps : Non, non, j’aimerais bien. Mais bon, j’admire, j’ai regardé deux ou trois fois leur concert au Zénith. Je les ai vu bien avant d’ailleurs. J’adore la démarche, la façon d’écrire et de chanter d’Arthur Teboul et la façon d’arranger. Il y a un esprit, il y a un mélange de tendances comme nous. On avait au début des années 70 ce mélange de tendances, mais je pense que c’est la suite. C’est la suite de ce genre de musique, quoi !
LMS : Christian Descamps, nous sommes impatients de vous voir avec vos complices et de retrouver cette magie que vous savez si bien délivrer. Merci