Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Bienvenue, Monsieur Marshall de Luis García-Berlanga
Présenté au festival de Cannes en 1953 dont il revint avec un prix pour son scénario, Bienvenue, Monsieur Marshall marqua l’irruption du cinéma espagnol sur la scène internationale dans l’immédiate après-guerre. Le prologue en voix off (Fernando Rey) plante le décor et le motif : un petit village castillan s’apprête à recevoir une délégation américaine chargée de dispenser les dollars du plan Marshall destiné au redressement de l’Europe. Notables et gens ordinaires s’affairent, sous la demande des autorités, afin de recevoir dignement les généreux donateurs d’outre-Atlantique. Mais qui sont au juste ces Américains ? Des civilisés ? Des barbares ? Peu importe, ils ont les devises capables de faire passer l’Espagne dans la modernité tels des rois mages ou un père Noël.
Dès lors, le village, notamment sous l’impulsion d’une chanteuse de flamenco et de son imprésario, va tenter de donner la meilleure image d’une Espagne aussi folklorique qu’éternelle, quitte à transformer la réalité. Cependant, chez les habitants, les stéréotypes et les clichés envers cette grande Amérique ont la peau dure, si bien que l’on attend les bienfaiteurs dans un mélange d’inquiétude et d’excitation…
Jour de fête
Luis García-Berlanga et son scénariste Juan Antonio Bardem (lui-même grand réalisateur, auteur notamment de Mort d’un cycliste) se moquent gentiment d’une Espagne rurale, pauvre, arriérée, dans l’attente d’une modernité et d’un développement venus d’Amérique. Le curé du village est ridiculisé, les notables ne s’en sortent pas mieux. Malgré cela, le film franchira les fourches de la censure franquiste. La raison en est peut-être que Berlanga s’engagea durant la Seconde Guerre mondiale dans la Division Azul envoyée auprès de l’Allemagne nazie pour combattre les Soviétiques. Berlanga expliqua par la suite ce choix afin de sauver son père détenu et menacé de mort par les franquistes.
Pourtant, malgré son irrévérence affichée devant l’Espagne officielle de son temps et l’ « american way of life » (satire qui n’est pas sans évoquer le Jour de fête de Jacques Tati sorti en 1948), Bienvenue, Monsieur Marshall invite d’abord les Espagnols à ne pas se laisser duper par les illusions américaines. Le soleil et l’espérance viendront, suggère le film, de l’Espagne seule et non de l’étranger. En ce début des années 1950, le régime du dictateur Franco n’a pas le vent en poupe, mais bénéficie de la mansuétude des puissances occidentales en raison de son statut de non-belligérant pendant la Seconde Guerre. Cela explique sans doute pourquoi Bienvenue, Monsieur Marshall, drolatique comédie aussi insolente envers l’Espagne de Franco qu’envers l’Oncle Sam, bénéficia de l’indulgence générale.
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