Derniers jours pour son exposition au Musée départemental de la Résistance & de la Déportation de la Haute-Garonne, intitulée “la Lumière de l’ombre, photographies des camps nazis“, mais quelques mois encore pour celle qu’il présente au Mémorial du Camp de Rivesaltes, “Une mémoire photographique“.
L’exposition proposée par le photographe britannique Michael Kenna nous immerge dans les lieux de déportation et au cœur du système concentrationnaire nazi. C’est un travail de mémoire d’une grande puissance et d’un formidable impact évocateur, réalisé au cours d’une douzaine d’années de 1986 à 1999. Ce travail remarquable fige en noir et blanc les espaces d’ombre et de lumière des camps d’extermination, autant de vestiges de la solution finale. En photographe accompli, travaillant lui-même ses tirages, il nous en livre à la réflexion, soixante-six, chacun devant éveiller telle ou telle image d’une force et d’une sensibilité accomplies.
Il vous confiera : « Il se trouve que j’ai photographié ces camps pendant une douzaine d’années. Il fallait que je les photographie {…}, pour garder cette mémoire vivante, pour conserver une trace. Mon œuvre porte sur la mémoire. » Michael Kenna ne peut imaginer que, petit à petit, les traces de ce qui fut le désastre le plus inimaginable de la pensée humaine disparaissent.
Michael Kenna, que l’on qualifie souvent de photographe diurne et nocturne, ne pouvait que faire ce travail en s’appuyant sur le noir et blanc, et s’attachant au petit format, petit car l’horreur suggérée ne s’affiche pas, ne se placarde pas. Il s’attache aussi à des paysages “déserts“, laissant chacun ajouter sa présence humaine comme il le ressent, image qui ne manquera pas d’être particulièrement glaçante, dérangeante au bon sens du terme. Le travail sur la lumière en rajoute encore.
« Ses prises de vue nocturnes ou faites à la lumière atténuée de l’aube ou du crépuscule, exaltent les contrastes de texture, de matière, et engendrent une rhétorique du clair et du sombre savante et raffinée, signature de son œuvre. »
Anna Birouleau , commissaire de l’exposition Michael Kenna : rétrospective à la BNF, 2009.
L’artiste nous oblige à regarder autrement tous ces lieux. Il nous rappelle que les camps nazis sont devenus aujourd’hui des vestiges qui ne rendent que très partiellement compte de leur fonctionnement durant cette douzaine d’années terrifiantes. On visite comme des musées, l’horreur. On prend même des photos et on pause sur les rails qui conduisaient aux chambres à gaz. Tout juste si certains ne s’allongeraient pas sur les tables de dissection qui pouvaient servir de champs d’expérimentation. Et on fait des selfies sur des vestiges de l’horreur en fond de cliché, que l’on partage sur les réseaux : l’ignoble est là, aussi.
La dimension esthétique des tirages proposés sauve chacune des images de la banalité et nous pousse à l’observation la plus approfondie si on veut bien en faire l’effort et s’éloigner alors du côté tellement ordinaire de ces milliards de clichés numériques que l’on prend même en rafale, et que l’on fera disparaître tout aussi vite, sans le moindre souvenir.
Et, comme le dit Denis Peschanski : « La beauté de l’œuvre n’est pas là pour cacher, ni même édulcorer : elle est là pour montrer, pour faire mémoire. La beauté de la photographie est là pour montrer l’horreur des camps. De la sorte, elle fait œuvre mémorielle, comme le revendique l’artiste lui-même. »
Nous sommes bien à un tournant. Les témoins qui ont survécu à tant d’atrocités disparaissent petit à petit. Cette perspective a un côté effrayant, angoissant ? Le travail de Michael Kenna n’en a que plus d’importance et d’intérêt. Chacun de ses clichés permet d’évoquer les enjeux mémoriels. Ils deviennent cruciaux. Même si un sentiment de doute nous inquiète et nous envahit quand on observe la marche du monde.
« Un jour viendra, c’est sûr, de la soif apaisée,
nous serons au-delà du souvenir,
la mort aura parachevé les travaux de la haine,
je serai un bouquet d’orties sous vos pieds. »
Benjamin Fondane, “Préface en prose“, L’Exode, 1942
Le Commissariat de l’exposition est placé sous l’égide de Thomas Fontaine, directeur du MRN.
À Rivesaltes, l’exposition de Michael Kenna sera présente jusqu’au 1er octobre 2023. Le commissaire en est Michel Poivert.
Il est évident que toutes les qualités invoquées de cet artiste dans l’exposition toulousaine se retrouvent ici. Démonstration est faite une fois de plus que l’Art avec un grand A peut apporter une dimension supplémentaire au travail scientifique, historique et mémoriel. En 2022, Michael Kenna a su poser un regard autre sur le camp, ses baraquements, ainsi que sur le bâtiment contemporain de cet architecte singulier qu’est Rudy Ricciotti, un monolithe aveugle de 210 mètres de long, à demi-enfoui au cœur des ruines du camp d’internement. C’est l’objet d’un second fonds, le premier étant composé de photographies réalisées sur une durée de plus de quinze ans, dans le cadre d’une démarche personnelle de Michael Kenna, prises dans toute l’Europe sur les sites d’anciens centres d’extermination, camps de concentrations et prisons.
Nous nous attarderons davantage durant l’été sur cette exposition.
Musée départemental de la Résistance & de la Déportation