Édition 2023 du 27 avril au 1er mai
Créé en 2009 par une bande de passionnés et d’amoureux de la musique de cuivres, le Limoux Brass Festival s’est peu à peu imposé parmi les grands événements musicaux de notre région. Il fête cette année sa 15e édition, du 27 avril au 1er mai, avec une programmation toujours aussi détonante où se mêlent têtes d’affiche internationales, artistes confirmés et jeunes talents de la scène musicale locale. Pour Culture 31, David Fernandez, programmateur de la manifestation, revient sur quinze ans de festival et présente l’édition 2023.
Pour ceux qui ne connaissent pas bien le terme, qu’appelle-t-on le « brass » et qu’est-ce qu’un brass band ?
En anglais, « brass » signifie « cuivre » et c’est en Angleterre qu’est né le type de formation que l’on appelle « brass band ». À l’origine, c’est un ensemble constitué uniquement de cuivres et percussions. Il y en a un bel exemple dans le film britannique Les Virtuoses de Mark Herman qui décrit comment, durant les années Thatcher, des mineurs retrouvent leur honneur perdu en gagnant le championnat anglais de brass band. Le Limoux Brass Festival s’inscrit dans cette histoire et est donc un festival de musique de cuivres, qui s’autorise toutefois les esthétiques musicales les plus diverses dans la mesure où les instruments de cette famille y sont majoritairement représentés ou mis en avant.
Pourquoi ce festival a-t-il été créé à Limoux ? Est-ce lié à une tradition des orchestres de cuivres, du brass band dans cette ville ?
Il y a en effet une tradition ancienne des instruments de la famille des cuivres à Limoux. Si notre ville est connue bien sûr pour ses vins et en premier lieu pour la fameuse « blanquette de Limoux », elle l’est aussi pour son carnaval. Il dure trois mois, ce qui en fait le plus long au monde, et est inscrit au Patrimoine immatériel de l’Unesco . Ce carnaval a la particularité de se dérouler selon des codes musicaux bien précis depuis le début du XXe siècle, avec une musique jouée par des ensembles de trombones, trompettes et tubas qui déambulent pendant trois mois sous les arcades de la place de la République. Tout ça suscite un engouement auprès du public, et notamment des jeunes, depuis plus d’un siècle. En 2009, nous célébrions les 120 ans de la Lyre de Limoux, l’harmonie municipale, dont les musiciens participent au carnaval depuis toujours. Pour marquer cet anniversaire, l’association a décidé de créer la même année un festival autour des musiques « cuivrées ».
Il existe à mon sens une autre raison à cette tradition séculaire et remarquable de la musique de cuivres à Limoux, sociale celle-ci, c’est le fait que ce patrimoine d’harmonie se développe et s’enracine souvent dans des territoires touchés par la désindustrialisation. Il est très ancré dans les bassins miniers du nord de la France comme il l’est à l’origine dans les villes minières de l’Angleterre. Les gens aiment s’y retrouver pour jouer de la musique ensemble et oublier leur quotidien difficile. À ce titre, Limoux est un cas presque unique dans notre région même si les cuivres sont toujours en nombre dans tout ce qui relève de la musique festive, les musiques du Sud-Ouest en étant une illustration parmi d’autres.
La création d’un festival passe aussi par celle d’une ligne artistique, quelle est celle du Limoux Brass Festival ?
La partie visible de l’iceberg, c’est d’abord une programmation internationale avec l’objectif premier de faire la promotion de la musique de cuivres. Ce propos « cuivré » est un peu un prétexte dans la mesure où, si les cuivres sont présents dans chaque groupe, nous ne programmons pas que des formations où ils sont ultra-dominants, loin de là. Notre volonté est d’ouvrir la programmation à toutes les familles d’instruments et à toutes les esthétiques, tous les genres : musique classique, jazz, funk, musiques du monde, musiques actuelles.
Au-delà de cette partie visible, il y a aussi tout un travail de fond qui structure un véritable projet culturel de territoire, en partenariat avec la collectivité, autour du dispositif « Orchestres à l’école ». On y transforme une classe en orchestre en deux ans. À Limoux, nous commençons ce travail en CM1/CM2 et nous avons le privilège de pouvoir le poursuivre au collège en 6e et 5e. Nous le prolongeons ensuite jusqu’en terminale et même jusqu’au BTS sous forme d’ateliers où nous accueillons des musiciens en herbe sortis de ce dispositif et des écoles de musique. Ces jeunes se produisent au festival en formation d’orchestre sur ce qu’on appelle la scène du Village, autrement dit le OFF du Limoux Brass Festival, point d’orgue d’un projet qu’ils préparent tout au long de l’année.
Il y a un autre volet de notre action culturelle que je tiens à souligner. Limoux, en plus de sa blanquette et de son carnaval, est également connue pour son hôpital psychiatrique et nous n’oublions pas ces publics empêchés et éloignés de l’offre artistique. Depuis plus de dix ans maintenant, nous avons formé et nous soutenons un orchestre à l’hôpital, composé de patients et de soignants. Cet ensemble ne peut pas participer au festival pour des raisons que l’on peut imaginer mais il se produit au sein de l’établissement lors de la Fête de la Musique.
Quels sont les points de ralliement du public et les lieux où se tiennent les concerts lors du Limoux Brass Festival ?
Pour le 15e anniversaire, nous avons tout centré à Limoux. Le Village du festival est situé sur l’Esplanade François Mitterrand, près du lycée. Les concerts du IN ont lieu au gymnase L’Olympie, juste à côté du Village. Nous pouvons y accueillir 1 200 personnes assises en leur proposant une excellente acoustique, quel que soit l’endroit où l’on est placé dans la salle.
Combien de visiteurs et de musiciens rassemble le Limoux Brass Festival, chaque année ?
Après la période de pandémie qui a affecté notre fréquentation comme ce fut le cas pour tous les événements culturels, nous avons retrouvé notre affluence d’environ 20 000 festivaliers par édition. Celle de 2023 s’annonce comme un très bon millésime compte tenu du nombre de billets déjà vendus. Concernant la partie artistique, nous accueillons en général à peu près 500 musiciens, qu’ils soient locaux, régionaux, nationaux ou internationaux. Cette année, je pense qu’ils seront presque 600 sur les cinq jours du festival.
Dès la première année, nous avions l’ambition de faire venir en milieu rural les formations françaises et internationales les plus réputées. Rapidement, nous avons reçu l’Orchestre de la Garde Républicaine, l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, l’Orchestre National de Montpellier, Claude Bolling et son big band, le Count Basie Orchestra et le trompettiste australien James Morrison pour ne citer qu’eux… Tous ces grands ensembles, où les cuivres sont très présents, sont susceptibles de se produire à Limoux.
Les venues de ces musiciens et orchestres renommés constituent sans doute de très bons souvenirs pour vous. Y en a-t-il eu d’autres depuis la création du festival en 2009 ?
L’année de la création garde une saveur particulière et reste un grand souvenir pour différentes raisons. Nous étions très jeunes dans l’équipe organisatrice, peu connus dans le milieu et avec toutes nos preuves à y faire. Et pourtant, nous avions eu la chance à l’époque d’avoir une réponse positive du Mnozil Brass qui est d’ailleurs le parrain de l’édition 2023. Cet ensemble est composé de sept musiciens issus du pupitre de cuivres du très prestigieux Wiener Philharmoniker. Après leurs concerts, ils allaient se restaurer au Mnozil Café, un café de Vienne qui existe toujours. Ils y faisaient un peu les clowns en musique lors d’un numéro qui marchait tellement bien qu’ils ont choisi d’en faire leur métier. Nous les avions découverts sur internet puis sollicités sans trop y croire pour avoir finalement la bonne surprise qu’ils acceptent de participer à notre première édition.
À Limoux, le soir de leur concert, nous avons vu ces sept étranges personnages arriver au pied de la scène en nous demandant de couper toute la sonorisation. Nous leur avons fait remarquer que la salle était pleine, que plus de mille personnes les attendaient et que c’était donc très risqué de jouer sans sonorisation mais ils n’ont rien voulu savoir. Dès le début de la soirée, ils ont produit un son d’une incroyable puissance, une musique extraordinaire jouée au millimètre, le tout agrémenté de sketchs drôlissimes pendant les deux heures de leur prestation. C’était une autre façon de faire de la musique, mais à un niveau incomparable. Une vraie « claque » comme on dit, et une belle fête assortie d’un immense succès public qui nous a beaucoup encouragé pour la suite.
Il y a aussi des artistes qui laissent une trace plus que d’autres par la qualité exceptionnelle de leur jeu ou par leur personnalité. L’acteur Pierre Richard m’avait beaucoup touché par sa gentillesse et sa simplicité. Il avait été programmé avec un spectacle intitulé Le grand blond et la musique noire et un big band qui interprétait les standards de Duke Ellington où jouait son fils. Évidemment, avec toute la maladresse dont il a fait la marque de fabrique de son personnage au cinéma, Pierre Richard s’était appliqué à transformer le spectacle en désastre. J’avoue avoir été beaucoup ému aussi par tous les petits musiciens en herbe que nous avons vu passer au festival, qui travaillent toute l’année pour se produire sur scène et qui sont souvent à la hauteur des stars qu’ils rencontrent à l’Olympie. De jolis moments et de merveilleux souvenirs, comme le fut la venue de la très talentueuse jeune trompettiste Lucienne Renaudin-Vary, adorable marraine de notre édition 2022.
Le festival fait-il un effort particulier en direction des jeunes musiciens pour faire émerger la relève des cuivres de demain, au-delà de ce que vous faites déjà toute l’année en local ?
Le Limoux Brass Festival, c’est un réseau d’écoles de musique de l’ouest audois mais aussi plus largement d’écoles de musique et de conservatoires d’Occitanie. Cette année, nous avons accueilli en résidence la classe de trombone du CRR de Toulouse, pour un exercice un peu spécial puisqu’il s’agissait de l’enregistrement d’un CD complet réalisé dans notre studio Limusic. Nous collaborons également avec des structures comme Aïda, le club de mécènes de l’Orchestre et de l’Opéra National du Capitole, et avec l’atelier des Sacqueboutiers, l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse.
Grâce à ce réseau, nous accompagnons de jeunes musiciens au cours de leur formation, ce qui nous vaut parfois de belles réussites comme celles du tromboniste Fabrice Millischer ou du trompettiste Nicolas Gardel qui font de magnifiques carrières, sans oublier Charly Maussion et le petit dernier, Loris Martinez, respectivement trombone solo des Orchestres nationaux de Lyon et de Metz. Nous avons soutenu tous ces artistes très tôt et c’est une grande fierté de voir qu’ils sont parvenus au plus haut niveau aujourd’hui.
Pour cette édition-anniversaire, la 15e du Limoux Brass Festival, quelle programmation proposez-vous au public ?
Tous les concerts du IN ont lieu à L’Olympie avec de grosses têtes d’affiche européennes. La soirée se déroule en deux parties, la première à 20h30 et la seconde à 21h45. Pour l’ouverture du festival le jeudi 27 avril, il y a une création avec la première en public du quartet formé autour du trompettiste Paolo Fresu qui s’est adjoint les excellents services de Michel Godard (serpent), Grégory Daltin (accordéon) et Marco Bardoscia (contrebasse). Paolo Fresu est un musicien dans le style de Miles Davis, avec le son très particulier que donne une trompette bouchée. En seconde partie, nous avons programmé la Musique des Parachutistes de Toulouse, une des meilleures harmonies françaises professionnelles.
Le vendredi 28, nous ouvrons la soirée avec l’une des jeunes formations que nous accompagnons, le groupe Sleepers Underground qui joue une très bonne musique funk. Nos premières parties sont souvent consacrées à de jeunes projets comme celui-ci. Pour la seconde partie, nous présentons un gros spectacle dédié à Ray Charles, Genius, the music of Ray Charles. Dans cette production, Uros Peric, un chanteur d’origine slovène, tient en quelque sorte le rôle de Ray Charles avec un mimétisme vocal vraiment bluffant. Il est entouré du groupe The Pearlettes, un trio vocal féminin, et des douze musiciens du Barcelona Big Blues Band.
Le samedi 29, nous proposons la Soirée des musiciens SPEDIDAM, un de nos partenaires fidèles. Nous y retrouvons en première partie un artiste bien connu des Toulousains, le trompettiste Nicolas Gardel qui s’est associé au saxophoniste Baptiste Herbin pour créer avec deux autres musiciens, le pianiste Laurent Coulondre et le batteur Yoann Serra, le Nicolas Gardel & Baptiste Herbin 4TET. Leur programme est conçu autour de leur tout nouveau CD, récemment présenté à Toulouse. En seconde partie, nous avons invité le trompettiste Fabien Mary et The Vintage Orchestra, une des belles révélations de la scène parisienne ces dernières années. Ils donnent un programme de créations nourries de musique swing très contemporaine.
Le dimanche 30 avril à 20h30, grande soirée à ne pas rater entièrement dédiée au Mnozil Brass, le parrain de cette 15e édition, à l’occasion de sa quatrième venue au festival. Les tubes du groupe sont au programme de ce concert tout naturellement intitulé « Best of » qui s’annonce comme un véritable feu d’artifice de grande musique de cuivres et de bonne humeur. Je précise en passant que 2023 marque le 30e anniversaire de cette formation fabuleuse.
Pour la dernière journée du festival le lundi 1er mai, la première partie commence exceptionnellement à 16h avec Octotrip, un groupe de huit trombonistes formés au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon qui tourne depuis quelques années. Concert de clôture à 17h30 donné par le Vienna Brass Connection, un magnifique ensemble composé de vingt jeunes musiciens autrichiens, dix-sept cuivres et trois percussionnistes, tous en poste dans de grandes formations autrichiennes et allemandes dont les Orchestres Philarmonique et Symphonique de Vienne, l’Orchestre Symphonique de la WDR de Cologne…
Notre programmation est ambitieuse, malgré un contexte économique difficile pour les structures et manifestations culturelles. Nous y renouvelons notre pari de réunir sur scène en milieu rural les plus grandes formations de cuivres européennes.
Quels sont les artistes à découvrir absolument cette année ?
Pour ma part, il y a deux affiches que j’attends avec impatience : la première du Quartet de Paolo Fresu en ouverture du festival le 27 avril avec Grégory Daltin, Michel Godard et Marco Bardoscia. Je suis très curieux d’entendre ce mélange entre la trompette bouchée de Fresu, le serpent (ancêtre du tuba) de Godard, l’accordéon de Daltin et la contrebasse de Bardoscia. L’autre grande attraction, c’est la venue du Vienna Brass Connection qui est certainement la « rolls » des groupes et ensembles de cuivres européens à l’heure actuelle.
De manière générale, toutes les formations, tous les artistes que nous accueillons cette année sont de très grande qualité, je le dis sans prétention. Je recommande donc à tous ceux qui aiment la musique de cuivres de se procurer rapidement leurs places. Les réservations vont bon train au point que les jauges de certains concerts, comme celui du Mnozil Brass, sont déjà remplies à plus de 50%. J’invite enfin tous les festivaliers à venir profiter de l’ambiance du OFF et de toutes les bonnes choses que propose le Village du Limoux Brass Festival. Grande fête assurée tous les jours, souvent jusque tard dans la nuit, du 27 avril au 1er mai !
Entretien réalisé par Éric Duprix