Claire Roserot de Melin, nommée Administratrice générale du Théâtre et de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse en 2019, est à présent Directrice générale de ces deux institutions regroupées au sein du nouvel Etablissement Public du Capitole dont le Président est Francis Grass.
Rencontre afin de mieux comprendre.
Classictoulouse : Depuis le 1er janvier 2023, le Théâtre du Capitole a obtenu l’appellation d’Opéra national du Capitole. Pour le public toulousain, pour l’Histoire, pour les mélomanes de la terre entière et les artistes, il est à jamais « le Capitole ». Mais en fait qu’en est-il à présent en interne ?
Claire Roserot de Melin : Le label, c’est avant tout une reconnaissance pour cette grande maison, qui le mérite depuis bien longtemps ! Ce label Opéra national, nous l’avons obtenu en novembre 2021. Celui-ci suppose un changement de mode de gestion. C’est ce changement qui est intervenu au 1er janvier 2023. Notre statut précédent était celui d’une Régie directe avec Toulouse Métropole. Nous sommes aujourd’hui un EPA (ndlr : Etablissement Public Administratif). C’est un statut juridique que l’on appelle aussi une Régie personnalisée. Alors qu’est-ce que tout cela change ? Pour le grand public, rien du tout ! Car cet établissement est au service des mêmes projets artistiques. En revanche, en terme de gestion, nous avons désormais un Conseil d’administration en propre. Sous tutelle de Toulouse Métropole nous avons donc à présent notre propre organe de décision. Ce Conseil d’administration est composé majoritairement d’élus de la Métropole, mais également de l’Etat et d’une personnalité qualifiée, Olivier Mantei, directeur général de la Philharmonie de Paris. Nous sommes très fiers qu’il vienne nous rejoindre. Nous espérons, à terme, agrandir ce CA au Conseil régional. L’apport essentiel de cette nouvelle structure est la rapidité de décision. On ne relève plus du Conseil Métropolitain mais de notre Conseil d’administration, par essence plus facile à réunir. Donc plus souple, plus réactif. Très rapidement nous allons voir, en interne bien sûr car pour le public tout cela est transparent, que la gestion du quotidien va être plus opérationnelle, je parle ici de recrutements par exemple, de notre politique d’achats aussi et notamment dans sa dimension « développement durable ». Cela dit, en terme budgétaire, le fonctionnement est le même qu’avant. Nous avons donc une dotation annuelle et il nous appartient d’équilibrer recettes et dépenses. Cette labellisation suppose pour nous une montée en puissance du financement de l’Etat. Le socle de cette nouvelle subvention devrait atteindre au bout de trois ans la somme de 600 000€/an. Ce montant est encore en cours de négociation. Il doit être comparé à notre budget global de près de 40 millions € pour l’Opéra et l’Orchestre.
Vous avez évoqué le Conseil régional…
Effectivement il y a ici une anomalie car la Région participe au financement de l’Orchestre et n’est absolument pas partie prenante du Théâtre. La labellisation « opéra national » devrait sur ce point avoir un effet positif d’entraînement. La situation est historique. Le Théâtre a été porté par la Ville puis par la Métropole. Il a un rayonnement national et international indiscutable depuis longtemps. La nouvelle région Occitanie inclut l’ancienne région Languedoc Roussillon qui elle était partie prenante pour l’Opéra de Montpellier. Nous connaissons cet héritage historique et nous le comprenons bien, mais l’Opéra national du Capitole est le plus important établissement de ce style en région tant en termes d’activité que de budget et de personnel. Il serait donc légitime d’essayer de corriger cette anomalie.
Montpellier coupe déjà dans la présente saison, Rouen annule des spectacles et ferme 6 semaines, l’Opéra du Rhin et celui de Lyon sont dans la tourmente. Plus loin de nous, le prestigieux festival de Glyndebourne se voit contraint d’annuler sa tournée d’automne pourtant dédiée au public le plus large et à la promotion de jeunes artistes. La planète lyrique semble en sérieuse difficulté. Aujourd’hui le monde du spectacle vivant est confronté à un défi qui met face à face moins de recettes et plus de dépenses. Qu’en est-il du Capitole ?
Parlons de nos collègues d’abord. La situation est plus que préoccupante, elle est critique. Syndicats et associations professionnelles ont interpellé fortement la Ministre. Le budget des grandes institutions est composé à plus de 80% de frais de personnel. Aujourd’hui nous payons l’érosion pendant plusieurs décennies des budgets de fonctionnement. Dans le meilleur des cas les subventions ont stagné mais souvent elles ont baissé. Des efforts importants ont été faits sur les charges. Les marges de manœuvre sont donc restreintes. Quand arrive un environnement inflationniste inconnu depuis longtemps, du moins dans ces proportions, qui se conjugue pour beaucoup de nos collègues avec une diminution post covid des ressources propres : billetterie, mécénat, etc., l’effet ciseau est dramatique parce qu’il ne reste parfois malheureusement qu’un poste à envisager : l’activité artistique. Quand je vous parle d’un moment critique, je pèse bien mes mots.
Par rapport à nos collègues d’autres villes aujourd’hui en grande difficulté, nous profitons ici d’une situation pour le moment un peu différente. L’année 2023 est celle de notre changement de statut juridique, c’est une année de transition. Mais si 2023 ne souffre pas trop, 2024 est d’ores et déjà très préoccupante. Notre chance est que la situation de la billetterie, et donc la fréquentation de la maison, est revenue au niveau d’avant crise. Nous sommes les seuls ou à peu près en France. Mais nous travaillons aussi sur les charges. Clairement il y a des postes gelés comme le nombre de musiciens ou de choristes qui ne sont pas à l’étiage souhaité. C’est la même chose dans les équipes techniques. La situation est donc loin d’être simple et il faut être chaque jour responsable et astucieux !
Pour revenir à la situation nationale, ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est d’entendre des propos au terme desquels nous pourrions baisser la voilure, faire moins voire moins bien. Or, nous sommes des maisons de service public. Nous avons en cela une mission. A quoi servirait notre maison, ses équipes et ses équipements, si nous ne pouvons plus remplir notre mission ? La situation actuelle met considérablement en danger les grandes institutions en tant qu’acteurs du service public désireux d’aller vers tous les publics, de tous les âges, de tous les horizons, en perpétuel renouvellement. Lorsqu’on interroge le cahier des charges des grandes institutions, c’est leur légitimité qui est en discussion. Je ne vous parle pas de science-fiction.
Heureusement, à Toulouse, nous avons un engagement indéfectible de la Métropole toulousaine. Cette collectivité a parfaitement conscience de l’importance tutélaire dans le rayonnement culturel de la Ville rose des deux institutions que sont L’Opéra national du Capitole et l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Ce qui nous permet de nous projeter autant sereinement que raisonnablement dans notre avenir. Ce futur est entre les mains, pour l’Opéra, de son Directeur artistique Christophe Ghristi qui, grâce à sa programmation et à ses distributions, fait déjà ovationner les spectacles capitolins devant des salles combles. L’Orchestre, pour sa part, après l’extraordinaire histoire initiée par Michel Plasson et poursuivie par Tugan Sokhiev, s’apprête à écrire un nouveau chapitre sous la direction de Tarmo Peltokoski, un chapitre plein d’ambition et formidablement porteur n’en doutons pas. Nous faisons des envieux vous pouvez le croire. Le Capitole continuera à défendre le rêve et l’émotion, pour tous !
Propos recueillis par Robert Pénavayre