Originaire de Graz, le ténor autrichien Nikolaï Schukoff étudie le chant au Mozarteum de Salzbourg. Alors que tout le monde le pense baryton, il entame sa carrière comme ténor. Plusieurs années en troupe à Gelsenkirchen, Mannheim et Nuremberg lui font côtoyer un très large répertoire. Aujourd’hui, cet artiste, car il en est un des plus authentiques du circuit, internationalement reconnu (Paris, New York, Berlin, Munich, Vienne…) a quasiment élu domicile dans le Sud-Ouest de la France. Avec ce Tristan, qu’il chante pour la première fois, Nikolaï Schukoff revient pour la sixième fois à l’Opéra national du Capitole après Wozzeck, Parsifal, Tiefland, Mahagonny et Cavalleria Rusticana. Qui s’en plaindrait ?
Rencontre
Classictoulouse : Le public toulousain vous a acclamé dernièrement dans Parsifal qui est quasiment votre rôle signature. Pourquoi ce rôle plus particulièrement ?
Nikolaï Schukoff : Parsifal nécessite un ténor barytonnant car la tessiture est plutôt grave. Je l’ai abordé à Munich et depuis c’est vrai que je suis souvent sollicité pour ce rôle. Puisque nous parlons de Parsifal je voudrais souligner les analogies qu’il y a entre ce personnage et celui de Tristan. Tous les deux sont des orphelins. C’est quelque chose qui me touche beaucoup. C’est passionnant de travailler sur une telle fracture. Il y a cinq ans, j’étais en répétition de Parsifal à Berlin lorsque j’ai perdu ma mère. J’étais évidemment très triste lorsque j’ai repris les répétitions. Je me suis alors rendu compte combien en fait j’étais connecté avec le personnage. J’arrivais à lui donner le fond de mon âme. Des rôles pareils vous permettent de faire un travail personnel très profond.
C’est peut-être ce que l’on appelle l’incarnation et c’est toute la différence entre un chanteur et un artiste. Venons-en à Tristan. Quelle a été votre réaction lorsque Christophe Ghristi vous a proposé de chanter ici votre premier Tristan ?
L’impression de recevoir un immense cadeau. Christophe Ghristi est une personnalité très rare aujourd’hui dans le monde de l’opéra. Il possède une immense culture et est animé par une passion extraordinaire pour l’art lyrique. En plus il a su créer à Toulouse quelque chose qui a disparu en France, une famille d’artistes. Un théâtre se doit d’être incarné par un visage, une personnalité. Christophe Ghristi a complétement ce profil. Le public peut constater que ça fonctionne. J’ai déjà refusé Tristan trois fois et voilà que le moment choisi par Christophe Ghristi se trouve être le bon moment pour moi. En fait il n’y a pas de hasard.
Etait-ce un rôle qui vous faisait rêver ?
Oui bien sûr. Après tout est question de santé vocale et de capacité. Tristan est l’Otello germanique. Ce sont deux Everest.
En parlant de sommet, Tristan est considéré justement comme l’Everest des ténors ? Quelles en sont les bonheurs et les difficultés ?
Le plaisir est d’abord d’avoir un vrai texte à interpréter. Ajoutez à cela une musique qui dépasse le sublime pour vous atteindre au plus profond de votre être. Spectateur, je ne peux m’empêcher de pleurer au dernier acte. C’est l’œuvre qui m’émotionne le plus et pourtant j’écoute beaucoup d’opéras. La difficulté est le corollaire de ce que je viens de vous dire. Le rôle est très long et il ne faut surtout pas perdre le rail de la technique et se laisser, en tant que chanteur, envahir par l’émotion.
Vu le challenge, est-ce que votre proximité avec le Capitole (Wozzeck, Parsifal, Tiefland, Mahagonny, Cavalleria Rusticana) vous a poussé à accepter ?
Non seulement j’en avais envie mais aussi et surtout parce que c’était au Capitole. Les conditions de travail ici sont idéales. La salle n’est pas trop grande et l’acoustique est parfaite autant pour les chanteurs que pour le public. Je suis très heureux également de le faire sous la direction de Frank Beermann qui est un très grand chef dans ce répertoire. Vous dire également ma joie de retravailler avec Sophie Koch. C’est la quatrième fois que nous chantons ensemble (ndlr : Wozzeck, Walkyrie, Parsifal, Tristan et Isolde). Quant au planning de répétitions, il est idéal pour un ouvrage d’une telle envergure. Plus personnellement, nous habitons avec ma femme dans un appartement situé rue Alsace Lorraine (ndlr : 3 minutes à pied du Capitole). Donc tout va bien.
Les grandes ombres capitolines qui hantent ce rôle sont Max Lorenz en 1952, Wolfgang Windgassen en 1955, Ludwig Suthaus en 1959. Avez-vous un modèle passé ou présent pour ce rôle ?
J’écoute beaucoup les chanteurs du passé tels que Hermann Winkler, Set Svanholm, Paul Franz, Albert Alvarez, Karel Burian. J’essaie de porter leur flambeau dans ma génération et cet art du chant fait de pureté, de clarté, de vibrato parfaitement contrôlé. Avec eux chaque note est à sa place. Max Lorenz était électrifiant, Ludwig Suthaus plutôt un penseur, Wolfgang Windgassen était du début à la fin de l’ouvrage d’une fraicheur vocale incroyable, le rôle semblait ne lui poser aucun problème.
Par rapport aux noms glorieux précédemment cités, chante-t-on aujourd’hui Tristan de la même manière ?
C’est vrai que les choses ont un peu évolué. Par exemple à l’époque des ténors que nous venons d’évoquer, ces derniers pratiquaient le portamento, ce qui ne se fait absolument pas chez Wagner et qui ne se fait plus aujourd’hui d’ailleurs dans ce répertoire. Ce que l’on peut regretter de nos jours c’est qu’il y a peu de chefs d’orchestre désireux de dérouler un tapis sonore aux chanteurs. Très souvent l’orchestre sonne lourd, massif. Bien sûr qu’il ne faut pas faire de ces partitions des œuvres chambristes, mais tout de même, il y a d’autres moyens de magnifier cette musique que d’en faire des œuvres purement symphoniques. Par rapport au passé, les tempi se sont globalement allongés. Au Capitole nous avons, avec Frank Beermann, non seulement un grand chef, je l’ai déjà dit, mais aussi un fin connaisseur des voix. Son père était chanteur et Frank a commencé sa carrière en accompagnant des artistes lyriques. Clairement il est là pour nous aider à donner notre meilleur.
Quels emplois wagnériens manquent encore à votre répertoire ?
Le Siegfried de Siegfried, Walther et bien sûr Tannhäuser qui est comparable voire plus difficile vocalement que Tristan.
Le rôle que vous souhaitez aborder aujourd’hui ?
J’aurais rêvé de chanter Pelléas, mais depuis deux jours j’ai 54 ans, il faut être raisonnable…. Par contre mon ambition est de chanter le plus longtemps possible. Je pense honnêtement et sauf accident que j’ai encore une quinzaine d’années devant moi. Donc je vais attendre patiemment des propositions intéressantes.
Vos projets pour les mois et saisons à venir ?
Après Toulouse je vais à Barcelone pour un autre Parsifal avec René Pape et Matthias Goerne sous la direction d’un autre chef qui adore et connaît bien les chanteurs : Josep Pons. Puis je pars à Berlin pour une Salomé dans laquelle je chante Hérode après avoir été Narraboth dans la même production.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
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