Tar, un film de Todd Field
Le portrait fictif d’une cheffe d’orchestre en proie aux vénéneuses envies que son poste lui offre, donne certainement à Cate Blanchett le rôle de sa carrière. Sublime !
Peu prolifique est certainement ce que l’on peut dire sur la carrière de Todd Field si l’on s’en tient au nombre de ses réalisations. Trois films en tout et pour tout à ce jour. Presque un… record. Mais pas n’importe quels films. Des films qui semblent venir de nulle part pour finalement ne pas avoir de descendance. Des objets uniques. Et ce troisième opus ne faillit pas à la règle. Autant le dire de suite, ce n’est pas un film facile. Déjà les dix premières minutes sont consacrées… au générique de fin, écrit en tout petit. Il défile jusqu’à vous donner envie de fuir. Heureusement le film finit par commencer. Il nous met dans les pas de la cheffe d’orchestre d’une phalange prestigieuse entre toutes, probablement la Philharmonie de Berlin. L’une des toutes plus grandes phalanges symphoniques de l’Histoire ! L’entretien qu’elle donne alors a de quoi continuer à déstabiliser. Il y est question d’interprétation musicale avec à l’appui moultes références, des noms (véritables) circulent dans ce dialogue entre la cheffe, Lydia Tar, et le journaliste. Une Master Class plus tard, à la Julliard School, la plus célèbre école de musique du monde, nous montre Lydia en proie à ses démons. Elle harcèle publiquement un jeune musicien jusqu’à le faire fuir de colère. Nous la retrouvons avec sa femme, Sharon (Nina Hoos magnifique). Toutes les deux élèvent un enfant dans un somptueux appartement berlinois. De rencontres en déjeuners, nous devinons que Lydia est une pointure de la baguette à laquelle des chefs renommés vont jusqu’à lui demander conseil. A l’occasion de l’enregistrement d’un concert au cours duquel est inscrit au programme le concerto pour violoncelle d’Elgar, Lydia flashe littéralement sur une tuttiste violoncelliste de l’orchestre. C’est elle qui en sera la soliste. Et peut-être davantage… Car voilà, Lydia profite de son statut pour effeuiller toutes les demoiselles qui passent à sa portée. Quitte à provoquer des drames. C’est d’ailleurs à partir du suicide de l’une de ses élèves, et plus en fait…, que le film bascule, tout comme le destin de Lydia.
Ce film nous fait pénétrer les étranges arcanes de ces non moins étranges machines infernales que sont les grands orchestres internationaux. Avec les codes et les rites qui gèrent la biologie de l’être vivant qu’ils constituent. Et face à eux, car ce ne peut être autrement, leur chef, ici une femme. Mais on imagine bien la même chose côté masculin. A ces derniers appartient une puissance inexplicable venue de nulle part si ce n’est du hasard de certaines circonstances. Ils ne font pas de la musique, ils la dirigent, l’interprètent selon leurs états d’âme, voire leurs lubies du moment. Ils savent, du moins faut-il l’espérer, qu’ils ne sont que des produits marketing au sein des majors du disque, ici la prestigieuse Deutsche Grammophon. Ils sont des génies, du moins en sont-ils persuadés, mais des génies jetables à la première embrouille. Et quand il s’agit d’un suicide, l’exfiltration vers des contrées lointaines est vite pratiquée. Vivant hors sol en permanence, ces hommes et ces femmes, pour la plupart, n’ont plus de filtre. Pour quoi que ce soit. C’est ce que démontre ce film, l’explosion/implosion d’un ego surdimensionné. Dans cet exercice de haute voltige, Cate Blanchett est littéralement magistrale, glaciale, toxique. Elle envahit ce film, pourtant d’une puissance rare, de son talent unique. Un Oscar ? Certainement !