Dans le cadre du 22e Festival Détours de chant, invité à découvrir le duo Plus rien d’humain (1), même au creux de l’hiver j’ai retrouvé avec plaisir comme d’habitude, la Cave Poésie du cher René Gouzenne, avec aux murs ses slogans : Poesie is not dead. La Poésie, c’est bon pour le moral...
Dans l’ambiance chaleureuse qu’avait souhaité le génie tutélaire des lieux, la trentaine de personnes présentes a tombé les manteaux et les écharpes pour papoter à l’aise en buvant un coup avant de sacrifier à la divinité des lieux : Madame la Poésie.
J’aime bien Fabrice Guérin, formé comme comédien au Conservatoire National de Région de Toulouse, puis à l’école de 3BC Compagnie où il a rencontré Christelle Boizanté, a intégré successivement diverses compagnies théâtrales dans lesquelles il est intervenu comme interprète. Puis il a commencé à écrire ses premiers textes théâtraux, monté sa Compagnie (« la Façon ») et à mettre en scène ses propres textes; parallèlement, il a développé une écriture en chansons, dont il est devenu l’interprète de ses projets musicaux successifs. Au fil de ses expériences, il a intégré, de plus en plus fréquemment, la guitare, qui est aujourd’hui l’instrument dont il joue et avec lequel il compose.
Je me souviens avec émotion de ses interventions au chevet des Enfants Hospitalisés, avec la regrettée Isabelle Paget du Théâtre de la Cavale dans le cadre de la. Culture à l’Hôpital : ils faisaient vivre les Jardins d’Adèle, la jolie petite marionnette nourrie de l’imaginaire des petits patients. Je l’ai entendu ensuite dans Les Poids Plume, avec Philippe Yvron (piano), Jano Bonnin (voix), et l’aussi regretté Olivier Brousse (contrebasse); sans oublier Solex ! l’histoire d’un mécano aux prises avec le remontage de son Solex, un solo où il est beaucoup question de redémarrage, une véritable performance mécanique et théâtrale .
Christelle, je la connaissais moins mais je l’avais vue sur scène pour de belles aventures en chanson avec Les Petites faiblesses et Orlando. J’apprends qu’elle s’est aussi formée comme comédienne au Conservatoire National de Région et auprès de l’École de 3BC Compagnie ; que depuis, elle est interprète, au théâtre, dans des pièces qui vont du répertoire classique au contemporain, et qu’elle a joué au cinéma. Qu’elle s’est formée au chant à Music’Halle (2), l’École des Musiques Vivaces, et qu’elle s’est aussi intéressée à la danse contemporaine auprès de la grande Brigitte Fisher, ce qui se sent dans sa façon féline de tenir la scène ; mais très vite, c’est dans les projets musicaux qu’elle compose, écrit et chante.
Arrivés tous deux à un tournant de leurs deux carrières, Fabrice et Christelle ont discuté de leurs avancées respectives et se sont dit que, quand ils auraient chacun une demi-heure de chansons, ils pourraient partager une soirée pour présenter, sur une heure, leurs nouveaux univers. Fabrice, en retravaillant dans cette optique, s’est demandé quelles chansons gagneraient à être chantées par Christelle. La réponse, c’était : toutes. Elle a accepté sa proposition et début 2019, ils ont commencé à travailler sur de premières chansons.
Et tout naturellement, ces deux-là se sont alors retrouvés sur scène pour un nouveau duo au nom provocateur : Plus rien d’humain.
Qu’il faut prendre au second degré, bien sûr.
Après le Théâtre du Grand Rond et le Bijou, le Café Plum (3) de Lautrec (81), la Menuiserie de Rodez (12 ) entre autres, les voici dans Détours de Chant.
Plus rien d’humain, c’est donc, comme le dit le programme, des samplers compacts de percussions, une guitare sombre et par-dessus encore, la voix claire d’une chanteuse ; ajoutant « la guitare électrique de Fabrice déroule un tapis, parfois nerveux, de sonorités puissantes et Christelle déchante en français une radiographie acide du monde qui nous entoure ». Et les refrains à deux voix font encore monter la température.
Le monde actuel est passé à la râpe de l’ironie dans des sonorités rock, avec des éclats de poésie, comme « ces humains que le bruit de la pluie sur la vitre du train empêche de dormir », dans Plus rien d’humain, titre éponyme, au joli chœur adoucissant son riff acéré et son propos au vitriol. Mais comme dit un vieux proverbe yiddish ; « il vaut mieux être un sage en enfer qu’un imbécile au paradis »
En introduction, un protest song (4), en français s’il vous plait, contre la mondialisation et ses ravages tout à fait d’actualité donne le ton : Est- ce que tout est bon dans la mondialisation, avec des citations rock and roll comme le fameux riff de Smoke on the water de Deep Purple; « ça a de la gueule », comme dit mon voisin en réclamant une autre bière !
En désordre dans ma mémoire, puisque mon iPad m’a fait faux bond dès le début du concert (le vilain, bravo Apple), j’ai noté :
- Le lavage de cerveau de La publicité : les modes sont des maladies mentales inoculées par la publicité,
- Les voitures d’occasion d’Automobile qui ne sont pas les bienvenues dans grande la ville, sens interdits, rues piétonnières , contrôle technique, crit’air: Automobiliste, comment as-tu pu ne mordre personne ?
- Supremachiste, qui évoque sans ambiguïté les individus peu recommandable d’événements récents, aux USA comme au Mexique, à éviter absolument dans notre Douce France,
- De l’art ou du cochon évoquant les réseaux de l’art contemporain : Les Réseaux
J’ai oublié comme par hasard le titre du morceau qui se demande fort justement « pourquoi dans les EHPAD de l’accordéon et pas My generation de The Who qui a bercé l’adolescence des personnes qui s’y trouvent maintenant ? ». Morceau qui semble écrit pour moi ayant vu ce groupe sur scène à 15 ans et qui serait bientôt en âge d’aller dans ces maisons, même si je préférerais que ce soit le plus tard possible pour voir encore des concerts comme celui-là…
Ils fustigent aussi Les Seigneurs, comme le faisait mon cher Jim Morrison des Doors, et le Récit national, qui me fait penser, allez savoir pourquoi, à cette femme politique (quelle avancée pour la Femme !) qui voudrait faire supprimer de l’enseignement de l’Histoire la Colonisation, la Shoah, et bien sûr la Résistance ; tant qu’à faire.
Et en rappel : Des riches
Les riches ont de l’argent
Un don qui manque aux pauvres gens
Dans les piscines les bonnets de bain
Les chauves n’en ont pas besoin »
Des riches de plus en plus riches et des pauvres de plus en plus pauvres, et une société ou il y a des gens qui crèvent de faim et d’autres qui crèvent de malbouffe, comme au Moyen-Age.
Christelle est bien la personne idoine, the right woman in the right place, pour les chansons de Fabrice Guérin, sans ambages, à l’humour corrosif auquel convient parfaitement la guitare saturée et ses riffs réduits à l’os pour mieux souligner le propos très rock and roll, à la manière de Billy Bragg, musicien très engagé, soutien des mineurs britanniques durant la grande grève de 1984-1985, contre la casse généralisée organisée par Madame Thatcher : avec sa guitare électrique et ses deux haut-parleurs fixés dans le dos (!), il chantait « Never cross a picket line, il ne faut jamais briser un piquet de grève », il faisait de l’agit-prop, cette technique de diffusion des idées révolutionnaires proche de l’action directe, dans les manifestations. Et disait : « Ça ne me gêne pas d’être considéré comme un chanteur engagé. Ce que je ne tolère pas, c’est d’être déconsidéré en tant que chanteur engagé. »
Mais à la réflexion, Fabrice Guérin est plus proche d’un Woody Guthrie électrifié et de ses chansons exprimant les luttes des pauvres et des opprimés, tout en célébrant leur esprit de résistance libertaire indomptable.
Plus rien d’humain, rencontre de deux aventures musicales, peint la vérité sans phare, du titre d’un de ses morceaux, c’est vraiment un duo qui concocte un cocktail fort réjouissant, en tout cas pour le public présent ce soir et pour moi-même ; tout en titillant nos penchants anarchistes; ce qui ne gâche rien: c’est de plus en plus nécessaire et vital. Ce n’est pas hasard si le 8 juin 1963, l’Illustrated London News rapportait que « le Zoo du Bronx à New York exposait l’animal le plus dangereux du monde dans une salle à part, le seul de tous les animaux qui ait jamais vécu sur Terre et pouvait exterminer toutes les autres espèces : maintenant, il a le pouvoir d’anéantir toute vie ». Et les visiteurs qui se précipitaient voyaient derrière des gros barreaux… un grand miroir !
Mais comme l’a écrit Fabrice Guérin, il voudrait :
Construire un lendemain que je puisse enfin voir
Sans honte et sans regret dans mon miroir
Mais ce rêve, je le referai
Cette image, je la verrai
Repoussant le tumulte, la haine et les bombes
Juste le cœur de l’homme sur la force du monde.
PS. Le Festival Détours de chant continue jusqu’au samedi 4 février 2023: https://www.detoursdechant.com/
27-I-2023
Pour en savoir plus:
- 1) https://lafaçon.net/plus-rien-dhumain/
- Café Plùm (restaurant, librairie, concerts etc…) Lautrec Tarn (81) https://www.cafeplum.org
- Music’Halle : https://www.music-halle.com
- Protest song : chant, chanson ou musique, dit de révolte ou qualifié de protestataire, engagé ou contestataire, un genre musical dont les thèmes lyriques sont associés à une envie immédiate de changement social ou politique. Un certain nombre de chansons populaires s’y apparentent. Dont le fameux Bella Ciao des Mondines, les travailleuses du riz italienne au début du XX e siècle et des Parisans et Partisanes que chantent actuellement les Femmes en lutte contre la théocratie iranienne.