Anaïs Constans, jeune montalbanaise à peine trentenaire, fait ses études au CRR de Toulouse et fréquente, un temps, feu le CNIPAL. Issue d’une famille d’agriculteurs, elle a le chant chevillé au corps depuis toujours. Elle fait mentir cet adage prétendant que nul n’est prophète en son pays. Rencontre
Classictoulouse : Vous avez travaillé dernièrement avec une véritable légende de l’art lyrique transalpin, la soprano Mariella Devia.
Anaïs Constans : J’ai travaillé par deux fois avec Mariella Devia et mon projet le plus cher est de la retrouver. J’ai commencé en 2018 pour ma prise de rôle de Marie dans La Fille du régiment de Donizetti. Lorsque le festival Folies d’Ô de Montpellier m’a proposé ce rôle, j’ai réussi à avoir son contact. Je lui ai écrit et par chance elle a bien voulu me recevoir. Je souhaite la revoir pour travailler le style bel cantiste. Je pense qu’elle est l’une des meilleures enseignantes dans ce domaine aujourd’hui. Même si je l’ai peu vue finalement, elle est déjà une personne importante dans mon cheminement. Mariella Devia est très juste et précise dans son enseignement, formidablement pertinente aussi. Entre autres choses, elle m’a appris à chanter « naturellement » ou du moins de manière à ce que le public ne perçoive pas la technique mais simplement un chant qui vient spontanément. Il est clair que c’est le plus difficile car derrière le chant il y a une quantité de choses à maîtriser : le souffle, la ligne, la justesse, la dynamique, etc.
CT : Votre définition d’un artiste lyrique
Anaïs Constans : Un artiste lyrique c’est quelqu’un comme tout le monde. Je ne le sacralise pas du tout. De plus je pense qu’un artiste lyrique, outre qu’il doit étudier la partition et le texte, se doit d’enrichir son interprétation de sa vie personnelle, tout simplement. Ce n’est pas quelqu’un qui se garde au chaud et qui ne se montre que pour les spectacles. Nous sommes des humains lyriques ! Vu côté professionnel, un artiste lyrique n’existe jamais seul. Il se doit, pour le bon déroulement d’un spectacle, d’être respectueux des autres, être à l’heure étant un minimum, connaître sa partition, garder une discipline personnelle exemplaire, etc. Que cet artiste soit soliste ou pas. De la rigueur avant toute chose. Il faut aussi savoir lâcher prise, laisser son égo à la porte du théâtre et se mettre au service non seulement de la partition mais aussi de ses collègues.
CT : Parlez-nous de cette Suzanne que vous chantez pour la première fois à Toulouse
Anaïs Constans : Quand Christophe Ghristi m’a proposé cette Suzanne, j’étais avec mon père et nous sommes tombés dans les bras tellement nous étions heureux de cette invitation. Malheureusement, il a disparu depuis et je sais que je vais chanter cette Suzanne pour lui. Toute jeune j’écoutais Les Noces en boucle littéralement et ce personnage me faisait rêver tant dans sa composante musicale que dramatique. C’est un rôle immense, quasiment écrasant, le véritable pivot de cet opéra. Elle mène la danse. En plus je dois ajouter que l’authenticité de ce personnage me parle complétement. En fait il me correspond à merveille.
CT : Où en est votre voix aujourd’hui ?
Anaïs Constans : Quand je chante Mimi ou Suzanne, passez-moi l’expression, mais c’est comme si j’enfilais des chaussons bien confortables. Ces deux rôles ne présentent pas pour moi de grandes difficultés purement vocales. Je voudrais dire, à ce stade de notre entretien, combien je suis redevable à Christophe Ghristi car, non seulement il m’invite à l’Opéra national du Capitole pour la cinquième fois (ndlr : après Carmen, Dialogue des carmélites, La Flûte enchantée, La bohème), ce qui n’est pas rien, mais en plus, il a cette science des grands directeurs qui leur permet d’anticiper l’évolution d’une voix dans le temps. Suzanne n’est pas du tout un rôle léger, son médium et son grave sont souvent sollicités. Nous avons l’immense chance d’être dirigés par un chef d’orchestre génial : Hervé Niquet, qui connait cette œuvre comme peu. Lui-même m’a recommandé d’assumer pleinement la tessiture relativement centrale du personnage. Elle fait partie de la nature même de Suzanne, cette couleur chaleureuse et sensuelle. En fait, dans ces Noces, le sous-texte ne parle que d’une seule chose, dont Cherubin et le Comte sont des parangons…
CT : Il semble que les chanteurs français retiennent de plus en plus l’attention des directeurs de théâtres hexagonaux
Anaïs Constans : Petit à petit, depuis peu d’années en définitive, les directeurs de théâtres français s’aperçoivent qu’il y a de vrais chanteurs français dignes des premiers plans. Ce n’est pas le cas de tous les directeurs, mais pour le coup Christophe Ghristi est un exemple. Comprenons-nous bien, Christophe Ghristi ne fait pas dans du politiquement correct en la matière. Il écoute simplement les artistes et ne les met jamais en danger dans ses propositions. Il écoute et surtout ré-écoute car la voix des chanteurs évolue parfois rapidement. Dans cette production des Noces à Toulouse, à l’exception du Comte qui a déjà chanté ce rôle de multiples fois, de nombreux chanteurs sont en prise de rôle, dont celui de Suzanne, mais aussi de Figaro et de la Comtesse. C’est un vrai challenge, non ?
CT : Quel confort trouvez-vous à Toulouse pour prendre des rôles aussi périlleux ?
Anaïs Constans : Quand nous arrivons au Capitole, nous sommes attendus. Tout est très bien organisé. Nous avons à disposition un chef de chant exceptionnel : Robert Gonnella, de même que Miles Cléry-Fox et Christophe Larrieu. C’est une sécurité incroyable pour les chanteurs. Ne nous leurrons pas, nous avons tous des défauts, des lacunes, et savoir qu’avec ces équipes musicales nous allons les corriger est essentiel pour présenter le meilleur de nous-même au moment du spectacle. C’est cela aussi laisser son égo à l’entrée des artistes. Le chef de chant est un lien indispensable entre le chef d’orchestre et le chanteur.
CT : Vos rôles à venir ?
Anaïs Constans : Je rêve de Louise mais aussi d’aller explorer une partition comme celle de Lucia di Lammermoor, ou encore celle d’I Puritani. Dans l’immédiat, en mars 2023, je vais chanter Lauretta du triptyque puccinien à Liverpool face au Gianni Schicchi de Bryn Terfel. Imaginez l’expérience !
Propos recueillis par Robert Pénavayre
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