Artiste depuis 1978, Gilles Ramade est de retour cette année avec sa compagnie «Figaro & Co» pour un tout nouveau spectacle. Du 12 au 21 janvier 2023, les Toulousains retrouveront en effet « Cent ans de Music-Hall » au Grenier Théâtre. Une plongée à travers le temps dans les coulisses des coulisses, pour laquelle l’artiste a endossé les casquettes d’auteur, de metteur en scène et de directeur musical. Rencontre.
Culture 31 : « Cent ans de Music-Hall » retrace la vie des coulisses d’un théâtre des années 1900 à nos jours. D’où vous vient l’idée de placer votre spectacle dans ce contexte ?
Gilles Ramade : D’abord, c’est un décor que je connais particulièrement, les coulisses d’un théâtre, d’un music-hall. Surtout que – outre les coulisses d’un music-hall – ce sont les coulisses de la vie de tous les jours. Ce qui m’intéressait également dans le music-hall, c’est que cela permet de proposer des choses à la fois très légères et très populaires, mais aussi des choses qui sont rentrées dans l’histoire. Si l’on prend les grands enterrements, il y a eu plus de monde pour Johnny Hallyday que pour certains hommes politiques ! Donc c’est important finalement, les gens des music-halls, on les connaît plus que les acteurs de théâtre et même certains acteurs de cinéma. Aujourd’hui, des humoristes aussi sont les nouveaux chanteurs de music-hall. Ils remplissent des zéniths.
Puis ça m’intéressait de raconter l’histoire de la France à travers tout ce qu’elle a pu subir. Les guerres, les moments de calme, les moments de joie. Dans les coulisses d’un théâtre, en 14-18, ça peut-être les femmes qui deviennent régisseuses pendant que les hommes sont à la guerre. Ça peut être des coulisses fermées car c’est la guerre de 40, et que les allemands occupent la France. Ça peut être des coulisses agitées pendant mai 68, avec des manifestants qui viennent occuper le théâtre. Il y a aussi les gilets jaunes qui débarquent dans le théâtre, en 2018. Le théâtre focalise l’attention et devient vite une agora. Ce que disent les artistes n’est alors qu’un prétexte pour parler du reste.
« Le Moulin Rouge » a été la première salle de l’Hexagone à porter officiellement le titre de music-hall. À quoi ressemblent les décors de votre music-hall, ou en tous cas ses coulisses ?
Je vais rester très humble par rapport au Moulin Rouge ! (Rires). Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a derrière le rideau. Si qui que ce soit a fait un jour un spectacle scolaire, ou un gala de danse, il sait que l’ambiance des coulisses est une ambiance assez particulière. C’est un moment de trac, de stress, et de joie aussi. Donc, ce que nous proposons au spectateur, c’est de voir derrière ces rideaux. C’est-à-dire qu’il se trouve en face des loges dans lesquelles les acteurs, les chanteurs, et les danseurs s’habillent. Ce que l’on voit de la scène, ce sont les chanteurs de dos. On prend la lumière dans le visage comme eux la prennent. On est vraiment sur scène avec les chanteurs, et en coulisse avec les artistes qui se préparent.
Évidemment, on ne voit pas tout le spectacle de dos, puisque ce qui m’intéresse est de raconter les rapports entre les gens à travers les siècles. Donc le décor est relativement réaliste. On voit un plateau, les loges, les maquillages… On voit aussi l’évolution des habits. Il faut savoir que 85 à 90 personnages sont dépeints pendant ce spectacle. Donc tout un travail a été fait sur les accessoires, sur les modes de chaque époque. Évidemment, ce n’est pas un décor de cinéma, ça reste un décor de théâtre, et l’essentiel est porté sur les personnages.
« Cent ans de Music-Hall » invite le public à renouer avec ses madeleines musicales de jeunesse, toujours dans le répertoire français. Pourquoi avoir choisi de donner l’exclusivité à la chanson française ?
Pour montrer la résonance entre les paroles et l’écho qu’elles avaient, dans chaque époque. C’est par exemple pendant la guerre de 40 que l’on chantait « Douce France ». Aussi, le music-hall, c’est un genre français, même si c’est devenu la comédie musicale aux États-Unis. Et le music-hall s’est chanté en anglais très tard. Je crois que c’est quand les Beatles ont fait la première partie de Sylvie Vartan que l’on a vu des groupes anglais venir chanter dans leur langue en France. Ce chant en anglais s’est surtout propagé à travers les disques. Mais je trouve ça très important d’assimiler les paroles, et la plupart des spectateurs ne comprennent pas l’anglais.
Comment se partagent les passages parlés et chantés ? Quelle part prennent l’un et l’autre dans le spectacle ?
C’est chanté à pratiquement 95%. Sachant que certaines chansons sont interprétées comme elles l’étaient dans les music-halls, mais que d’autres sont chantées de manière un peu plus « comédie musicale ». C’est-à-dire que le morceau correspond à la situation qui est en train de se dérouler. Il y a donc une bonne centaine de chansons. Certaines sont chantées en entier, d’autres sont juste évoquées par le refrain, et d’autres encore sont seulement citées dans une phrase. Il y a par exemple la chanson « Je suis pour » de Michel Sardou, qui avait défrayé la chronique dans les années 80, et dans laquelle il se présentait pour la peine de mort. Ici, la chanson sera citée via la phrase de son titre. Autre chose importante, c’est que les chanteurs du spectacle n’imiteront pas la voix des artistes de l’époque, mais seulement leur style. Ce ne sont pas des imitateurs.
Vous êtes l’auteur, le metteur en scène et le directeur musical de « Cent ans de Music-Hall ». Pourquoi ne pas avoir choisi d’être également acteur du spectacle, puisque vous êtes aussi pianiste et chanteur ?
Quand je mets en scène, je n’aime pas tellement être sur scène. J’aime avoir du recul pour voir le spectacle de loin, et mieux voir les acteurs, les diriger et les conseiller. Lorsque l’on est trop immergé sur scène, je trouve que l’on perd un peu de regard sur le spectacle. J’ai également remarqué que quand l’on est soi-même metteur en scène et que l’on joue, les comédiens ne jouent pas avec vous comme avec les autres.
Je pense qu’il vaut mieux avoir deux camps. Celui de ceux qui sont dans la salle : les régisseurs, le metteur en scène, le chorégraphe… Et puis le camp de ceux qui sont sur scène, qui ont besoin d’avoir ce recul pour pouvoir se laisser aller sur le plateau. Si vous êtes sur scène mais que – en même temps – vous pensez qu’il faudra dire telle chose à tel acteur, vous êtes rarement bien concentré. Je préfère rester dans la salle, à ma place.
Beaucoup de music-halls ont ensuite été remplacés par des salles de cinéma. Êtes-vous nostalgique de l’âge d’or des music-halls ?
Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique. Je vois qu’aujourd’hui fleurissent des posts sur les années 70, 80, 90. Mais je me souviens que dans les années 80, tout le monde râlait autant qu’aujourd’hui. On est dans un pays où les gens ont toujours pensé que c’était mieux 20 ans avant, mais 20 ans avant, il y avait des guerres, des morts, des crises… Je pense que le music-hall a mené son chemin, qu’il a laissé des traces qui sont rentrées dans l’histoire. Aujourd’hui, on va dans des zéniths, dans des grandes salles comme le Casino Barrière. Le monde a changé, donc évidemment, le music-hall change. D’ailleurs, je trouve ça insultant pour les jeunes de dire que c’était mieux avant, ça revient à leur dire qu’ils n’ont qu’à se désespérer de ce qu’ils vivent.
Que diriez-vous aux Toulousains pour leur donner envie de venir voir votre spectacle ?
Il faut être curieux et ne pas seulement aller voir des gens qui passent à la télé. S’il y a quelque chose que je n’aime pas aujourd’hui, c’est que j’ai l’impression que tout le monde va voir la même chose et regarde un peu la même chose. Je crois que la curiosité est un très bon défaut, une très bonne qualité. Je garantis également aux spectateurs cinq artistes hors pairs. Cinq artistes qui sont à la fois chanteurs, danseurs, et comédiens. Des belles voix. Et puis un voyage dans le temps que seul le théâtre peut permettre de faire.
Propos recueillis par Inès Desnot