Il y a quelques mois, quand je lui ai écrit que j’allais écouter Kyle Eastwood et Michelle David, une cousine italienne amatrice de musique afro-américaine m’a répondu avec un extrait d’un poème d’Olivier Briat que je ne connaissais pas: elle était bien inspirée.
C’est une trompette qui éclate,
Qui danse aux rythmes de l’Afrique,
Mystérieuse et magique
Dans la jolie nuit écarlate.
En virtuose, joue le piano
Tandis que la basse fidèle
Et la batterie un peu rebelle
Vont, l’accompagnant crescendo.
Et la musique emporte tout
En entraînant dans son sillage
Tous ceux qui rêvent de voyages
Jusqu’aux endroits les plus fous.
Voici que le swing endiablé
A fait se lever l’auditoire
Et que dans la moiteur d’un soir
Tout un chacun s’est libéré…
KYLE EASTWOOD: CINEMATIC
La Salle Nougaro est pleine de « cinquantenaires fans de jazz », comme me dit le sonorisateur qui connaît bien ses différents publics, pour accueillir un formation piano, batterie, 2 cuivres (sax ténor et trompette), et contrebasse dont on comprend tout de suite, vu le dispositif scénique, que c’est elle le moteur du groupe.
Et d’entrée ça swingue comme dans un bon vieux club yorkais: chacun des musiciens prend son solo dans la plus pure tradition du Jazz cool qui porte bien son nom. Kyle Eastwood, ce grand jeune homme discret, très blond, de 53 ans et 1m93, au nom célèbre dans le monde entier, l’un des fils du cinéaste Clint, met en avant ses camarades, même si l’on sent que c’est lui qui mène la barque.
Cinematic, que l’on pourrait traduire par musique cinématographique, est son hommage aux compositeurs de musiques de films. Pas étonnant avec son hérédité qu’il aime le cinéma: ses goûts éclectiques sont ceux d’un cinéphile éclairé qui connaît ses compositeurs sur le bout des doigts, c’est le cas de le dire. On ne s’étonne pas quand on apprend que depuis sa plus tendre enfance, il baigne dans la musique jazz: son père, amateur de toujours, confiait les musiques de ses films à son ami Lennie Niehaus, connu au service militaire, saxophoniste éminent du Jazz dit West Coast, pratiqué en Californie par des musiciens en majorité blancs.
Visiblement, il prend beaucoup de plaisir, ses improvisations et celles de se camarades sur des thèmes parfaitement maitrisées sont dans l’esprit de cette musique.
Sont revisités dans le désordre, John Williams, -peut-être le plus célèbre d’entre eux grâce à Stars Wars-, avec La Liste de Schindler de Steven Spielberg en 1993, rendue inoubliable par le violon d’Itzak Perlman.
Bernard Herrmann, célèbre par ses musiques pour Alfred Hitchcock, a signé juste avant de s’éteindre celle du Taxi Driver de Martin Scorsese – qui connait parfaitement toute la musique cinématographique (1), et avait l’espoir de réussir dans ce film une nouvelle fusion de l’image et de la musique, dans un style oppressant qu’il appelle le « New York Gothic »-, en 1968: pour coller à cette tonalité très noire, typique des années quarante que ce film culte voulait prolonger, le compositeur a privilégié les cuivres, d’où un magnifique solo de clarinette. On se rappelle le jeune Robert de Niro crevant l’écran…
Autre ambiance jazzy tantôt douce, tantôt nerveuse, typique des montées d’adrénaline des polars urbains, avec Lalo Chiffrin, pianiste et chef d’orchestre argentin, élève d’Olivier Messian et accompagnateur de Dizzy Gillespie: pour Bullit réalisé par Peter Yates en 1969, il inaugurait ses musiques jazzy pour films d’actions, dont la série Dirty Harry avec Papa Eastwood justement. Avant de lancer le trompettiste qui jette des éclats de cuivres dans l’air, Kyle prend un joli solo, le rythme groovy de sa contrebasse fait vibrer tout le public et taper dans ses mains, comme dans ce bar où le cinéaste transportait les personnages, Steve McQueen et Jacqueline Bisset, loin de l’intrigue policière lors d’une scène suggestive.
Il prend sa basse électrique sur le thème créé par le maestro (comme il le dit lui-même) Ennio Morricone pour l’inoubliable Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore en 1968 encore, avec Philippe Noiret et Jacques Perrin, qui fait partie de notre panthéon cinématographique, et nous offre un moment de grâce.
Henri Mancini pour Charade de Stanley Donen avec Audrey Hepburn et Cary Grant, sombre histoire de vol d’un trésor de la Résistance, avait prévu une partition à l’ unisson de l’ensemble du groupe avant le solo écrit avec des changements d’accords pour l’improvisation à volonté, ce que Kyle et son groupe respectent totalement.
Gran Torino de son père bien sûr en 2008 dont il cosignait la musique offrant un morceau mélancolique d’une douceur extrême, dans la veine de Chet Baker, dont il a fait un tube avec le chanteur Hugh Coltman sur le clip vidéo
La musique composée par Thomas Newman, d’une grande famille de musiciens, pour le 23e James Bond, Skyfall, est aussi bondissante que le héros de Ian Fleming avec des explosions de cuivres et des percussions bagarreuses tout à fait de circonstance.
En rappel Henri Mancini encore pour la célébrissime Panthère rose de Blake Edwards, comédie policière encore, avec Peter Sellers dans le rôle principal: ce générique fut applaudi pendant plusieurs minutes lors de la première. The pink panter fut tellement appréciée par le public que le film fut décliné en neuf épisodes et une série de dessins animés !
Comme dit mon voisin en se levant et je lui laisse le mot de la fin: Supercool !
MICHELLE DAVID AND THE TRUE TONES: TRUTH & SOUL
Toujours à la Salle Nougaro, après le jazz « classique » de Kyle Eastwood, le gospel métissé de Michelle David, accompagnée par trois musiciens en costumes cravates années 30, ou 70, les True Tones, les sons véritables, pour son nouvel album Thruth & Soul, Vérité et Âme.
Originaire de Caroline du Nord, installée aux Pays Bas, où elle a rencontrés Onno Smit et Paul Willemsen, guitares, et Bastien Bouma, double batterie, Michelle David fait entendre sa grande voix soul autour du monde.
Elle a enrichi son univers sonore en ajoutant des saveurs brésiliennes et des rythmes africains à son (déjà) puissant cocktail de soul, de funk et de rythm & blues. Mais tout en le métissant avec d’autres styles musicaux afro-américains, elle a totalement conservé l’esprit du gospel américain: chaque concert est d’un enthousiasme contagieux; les chants harmonieux d’amour et d’espoir coupent le souffle, irrésistiblement on se met à taper du pied et des mains, et même pour certaines danser entre les rangées de sièges au son de sa performance joyeuse et exubérante.
Les deux guitaristes, dont un gaucher, et le batteur omniprésent, forment un chœur masculin sur les refrains, autour de cette petite femme en robe noire, à la voix puissante et colorée, bientôt ruisselante de sueur et pieds nus. Elle danse avec la légèreté des femmes rondes de sa nation, tout remue chez; elle fait chanter la salle sur un simple lalalala et ca marche.
Ses mélodies lancinantes -comme les mélopées héritées des chants d’esclaves échos haïtiens-, électrisent le public et le parterre devant la scène est envahi de danseuses et quelques danseurs.
De Better days, jours meilleurs, message fraternel d’espoir avec ses riffs de guitare cool rythmés par les tambours du percussionniste, « Qui ne souhaite pas ou n’aspire pas à des jours meilleurs ? Parfois, ce n’est qu’un mot, une phrase, une poignée de main, un baiser », à My praise, Ma louange, en passant par Be not afraid, Ne sois pas effrayé et There’s a light, Il y a une lumière, on retrouve la spiritualité du Gospel.
Sur Days Go By, Michelle David chante de façon émouvantes ses pensées négatives pendant la pandémie sur un air soul délicat. Mais toujours son hérédité de révolte, de conscience sociale refusant le joug de l’esclavage ou de la ségrégation pour tendre vers une condition meilleure, reprend le dessus.
Keep on pushing, s’il me fait penser par son rythme et par association d’idée à Keep on running du Spencer Davis Group en 1965, mais aussi à celui du grand Stevie Wonder, a un message très clair: Continuons à pousser; Lluis Llach chantait « continuons à tirer pour faire tomber le pieu qui nous tiens prisonniers ».
Cette petite bonne femme ronde est une boule d’énergie, comme souvent les chanteuses afro-américaines issues des églises: cette diva, il n’y a pas d’autre mot, possède une énergie et un charisme qui rappellent ses grandes prédécesseuses (l’on pense irrésistiblement à Mahalia Jackson, Mavis Staples, Aretha Franklin ou Nina Simone) et qu’elle partage avec un public envouté.
Sa performance énergique, joyeuse et exubérante, son message d’amour et d’espoir en ces temps difficiles, font chaud au corps et surtout au cœur.
Et la Salle Nougaro, une fois de plus, est l’écrin parfait pour son show.
Je l’ai écrit à ma cousine italienne en lui envoyant cette chronique et en l’invitant à venir à Toulouse l’an prochain: ça swingue toujours à la Salle Nougaro !
J’attends maintenant avec impatience le bon vieux blues de JJ. Milteau, le plus grand harmoniciste français, et ses amis, le violoncelliste Vincent Segal (dont je me souviens avec émotion le passage ici même en compagnie du joueur de kora malien Ballaké Sissoko) et le chanteur Harrison Kennedy, aux cuillers et au banjo, pour commencer l’année en beauté. Il ne faut pas rater Crossborder Blues le mardi 17 janvier 2023 à 20h30 pour trinquer à la Santé, la Paix et la Beauté en Musique.
Pour en savoir plus :
1) Pour nous tous, les endroits dans lesquels nous avons grandi et les sentiments que nous y avons expérimentés demeurent indissociables. Eventuellement, ils deviennent une seule et même entité, comme tressés dans le même tissu. Ma vie, c’était le petit appartement dans lequel j’ai grandi, aux côtés de mes parents et de mon frère. Il y avait le son, le rythme de la langue sicilienne, de l’anglais avec accent sicilien. Et il y avait la musique. C’est-à-dire chanter à l’église, fredonner dans la cuisine et, à l’occasion, jouer des instruments dans les réunions familiales. De la musique de la radio, de la musique du (phonographe) Victrola. De la musique s’échappant des voitures qui passaient, des fenêtres ouvertes, des devantures de magasins. De l’opéra, de la musique traditionnelle italienne, du big band, du doo-wop, du Broadway, des symphonies, du jazz, du rock’n’roll. Je pouvais flotter sur ces sons, ou m’y plonger comme dans un refuge. A d’autres moments, ils se mélangeaient à une scène vue de ma fenêtre, ou à notre appartement, de la façon dont une couleur se mélange à une palette, changeant le ton, la nuance. La musique pouvait intensifier ce qui se passait dans notre salon ou dans la rue, et d’une certaine manière, le compléter. C’était comme si ma vie était mise en musique par une bande originale de film permanente. Martin Scorsese.
2) Profondément enracinée dans l’histoire de la traite des esclaves afro-américains, la musique gospel noire remonte aux années 1700 lorsque les esclaves africains ont apporté leur héritage musical africain unique en Amérique et l’ont combiné avec leur nouvelle foi, le christianisme. Des difficultés et des épreuves de l’esclavage, cette tradition musicale unique est née et a changé à jamais la musique populaire américaine telle que nous la connaissons: blues, soul et rock-and-roll… ils ont tous leurs origines dans la musique gospel afro-américaine.