Voilà bien le type de concert que l’on redoute à relater. Une sorte d’impuissance à faire part de ce moment privilégié : l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par son chef préféré, Myung -Whun Chung, dans le cadre du Cycle Grands Interprètes, ce jeudi 8 décembre 2022.
« Cette symphonie est une présentation sonore de la mort elle-même qui paradoxalement nous ranime chaque fois que nous l’entendons. » Léonard Bernstein. La Neuvième, partition autobiographique où Mahler se serait confessé ou au contraire, pour d’autres, un manifeste de son nouveau monde sonore, une œuvre où il se serait ressourcé ? Libre à vous.
Pour ma part, on ne va pas détailler ces quatre-vingt cinq minutes environ de musique sensée traduire une sorte de testament, cet adieu passionné à la vie et aux joies de la terre, cette plainte douce-amère qui s’éteint dans l’Adagio conclusif. La direction étant d’une clarté absolue, c’est une sorte de délire musical qui nous captive. Et ce, grâce à un orchestre qui fut admirable, répondant comme par enchantement à la moindre sollicitation de son chef, tous pupitres confondus. Précision, timbres, couleurs : une motivation de tous les instants. Un petit plus, qui sait, pour les cors ? Après, vous avez un chef qui semble faire de cette Neuvième une sorte de testament ou plutôt une sorte de signature. Sans pathos. Et sans partition !! Mais, aurait-on le temps de tourner les pages ? On est persuadé que Mahler qui ne l’a jamais entendue de son vivant puisque créée un an après sa mort, Mahler donc aurait été, on ne peut en douter, fort satisfait de la prestation, ce soir.
« En homme prêt depuis longtemps, en homme courageux, approche-toi résolument de la fenêtre et avec émotion certes, mais sans les plaintes et les supplications des lâches, écoute les sons inouïs, les doux instruments de l’étrange cortège. » (Constantin Cavafis) Cette fenêtre vers ailleurs s’appelle la Neuvième de Gustav Mahler.
D’entrée, on est happé par la fabuleuse vision du mouvement initial. Tout y est : le drame, la tendresse, le souffle (les cors…), la vie. Loin de la dispersion apparente, c’est la prodigieuse unité de la partition qui vous saisit, sans débauche dans la gestuelle du chef qui, à tout instant gère une révolte contrôlée. Il est formel, à mon goût, que dès les premières notes, toute l’œuvre repose sur le pressentiment de la mort, encore et toujours présente et qui va triompher.
Le mouvement suivant veut décontracter un peu l’atmosphère. C’est léger, mais sans excès, et ce n’est pas tout de même du domaine de la franche rigolade. Un petit côté grinçant est toujours prêt à émerger.
Là, dans Rondo fulgurant suivi de Burleske, c’est bien le Mahler sarcastique, moqueur, grinçant qui emporte tout. La mise en place des plans sonores est remarquable. Et l’orchestre débouche sur cet Adagio mené par soixante cordes, sur lequel flotte une tendresse extrême. C’est son dernier Finale qui va expirer goutte à goutte. On vogue avec les musiciens vers l’inéluctable, mais sereinement ! tout cela ponctué par de sublimes élans et finalement, de plus en plus apaisé, avec une petite révolte mais guère efficace, et c’est la résignation. Le Paradis n’est pas loin, prêt à s’entr’ouvrir. Calme et repos assurés. Les épaules du chef ploient et semblent se refermer. La musique s’est tue. Reste celle du silence. Les murmures de ravissement attendront encore un peu. Puis, suivront les applaudissements libérateurs.
Encore une preuve qu’aucun enregistrement ne peut lutter contre un concert sur le vif, surtout pour une telle partition.