Le grand orgue Puget de Notre-Dame du Taur devait faire ses adieux aux mélomanes fin octobre. Joie ! Il connaît plusieurs mois de suris. Ces moments musicaux pour le Temps de l’Avent, organisés par l’association Jean-Claude Guidarini, sont donc inespérés. Non, ce n’est pas encore la der des der !
L’église du Taur est sombre, ses peintures défraîchies, l’éclairage pauvre. En face de nous, on devine une grande fresque qui raconte le martyr de saint Saturnin, dont on a fait mémoire il y a quelques jours par une procession entre le Taur et Saint-Sernin. Dans notre dos, on distingue l’orgue au sombre buffet, avec ses trois tours qui encadrent les deux fenêtres de la façade. C’est l’un des chefs d’œuvre d’Eugène Puget. Laissons le regretté Jean-Claude Guidarini présenter « son » orgue : aucun autre instrument, pas même de Cavaillé-Coll, n’y atteignait un tel degré de perfection en termes de mécanisme, de maniabilité, et de raffinement dans la facture. Sur le plan de la sonorité, Eugène rompait également avec les habitudes, l’harmonie des fonds est généreuse et sombre, celle des anches de grand chœur d’une puissance et d’une rondeur hors du commun, les timbres de détail sont raffinés, les flûtes, toutes pavillonnées, d’une exquise rondeur.
Ce soir nous écoutions Virgile Monin, qui connaît bien les tribunes toulousaines pour s’y produire régulièrement. Il avait préparé un récital bien romantique : Grieg, Schumann, Rachmaninov et Tchaïkovski, dont aucune œuvre n’est à l’origine pour l’orgue. Au milieu de ces « tubes », il a glissé deux œuvres de Sigfrid Karg-Elert, un organiste et compositeur post-romantique allemand assez peu joué en France.
L’essentiel du concert est donc constitué de transcriptions, écrites par Virgile Monin. Aussi je me demande : une transcription est-elle réussie quand c’est « pareil en mieux » ou quand on est surpris ? Sans hésiter : j’ai envie de dresser l’oreille, d’être déstabilisé dans mon écoute. Et voilà qu’avec assurance, Virgile Monin nous surprend par des choix très caractérisés, par des alliages étonnants, bref avec un art de la registration qui enchante. Les Grieg et les Schumann (pièces composées pour piano-pédalier) s’enchaînent bien.
Pour le prélude Alla marcia de Rachmaninov, je me pose une autre question : est-ce que l’ajout de la pédale à des pièces déjà virtuoses pour le piano les rend plus faciles ou plus difficiles à jouer ? Une partie de la réponse vient du clavier, qui n’est pas vraiment conçu pour des répétitions serrées d’accords. Les accords en doubles croches répétées sont donc un peu dans le brouillard. Mais la partie centrale lyrique, avec ses voix qui s’entrecroisent, est splendide.
Je découvre Sigfrid Karg-Elert. Sa « Valse mignonne » est bien plus que cela. Elle hésite entre deux styles, d’un côté comédie de boulevard gouailleuse et de l’autre magie entraînante. Parfois des étincelles nous attrapent, à d’autres moments on a envie de se lever et d’enchaîner un pas de danse. Ce petit air à trois temps, c’est sans doute la mélodie dont on se souviendra en sortant dans le froid mordant de l’hiver toulousain.
Mais le clou de cette (trop courte!) fin d’après-midi, c’est la transcription réalisée par Virgile Monin du troisième mouvement de la sixième symphonie de Tchaïkovski. Quel régal, quelle puissance, quelle virtuosité ! L’orchestre symphonique se déploie dans mon dos, je n’éprouve aucune espèce de manque, ni d’allant, ni de caractère, ni de variété. Quel orgue, quel interprète ! Je suis entraîné de la première à la toute dernière note, moment impressionnant où l’organiste appuie sur la « pédale d’orage » qui déclenche d’un coup toutes les notes les plus graves de l’orgue.
Alors, que va devenir le sombre Puget du Taur ? Démonté, il partira chez plusieurs facteurs qui lui referont une beauté intégrale. Une fois la tribune vide, l’église sera fermée pour une restauration complète de ses intérieurs, qui durera bien trois ans. Alors et alors seulement, l’orgue reviendra. Il va donc falloir se montrer patient.
En attendant ? Eh bien déjà, revenez samedi prochain ! C’est Jean-Baptiste Dupont qui sera au clavier pour nous régaler. Attention, la nef était presque pleine aujourd’hui, prenez vos précautions !
Vous avez raté ce concert ? Partez à la découverte de Henri Mulet : Virgile Monin a enregistré son œuvre pour orgue sur le Puget de la Dalbade. Un vrai bonheur.