Il est l’or : réouverture du Musée Paul-Dupuy en celui des arts précieux
13 rue de la Pleau – Toulouse / métro Carmes
https://www.ampdupuy.fr/
L’apoptose (processus par lequel un arbre sclérose la tige de ses feuilles pour les faire tomber à l’automne) du Musée Paul-Dupuy (1) aura duré quatre ans et son printemps fleurit en automne, mais quel printemps ! Il n’en fallait pas moins pour tous les trésors qu’il recèle et qui brillent de tous leurs feux dorés. Outre les nombreuses vidéos accompagnées par les créations musicales du Concert impromptu (2), outre la scénographie des vitrines entièrement renouvelées, les salles du 1er étage ont été restaurées, et dans la partie consacrée à l’horlogerie d’art, on se croirait revenu aux fastes de l’hôtel particulier de monsieur Paul Dupuy qu’il n’habitait point mais qu’il avait réservé à ses collections traitées comme des invitées de marque, avant d’en faire don à sa bonne ville de Toulouse: faïences régionales, verreries, coffrets et coffres de voyage du plus large syncrétisme, « l’apothicairerie des Jésuites » réalisée en 1632 par le maître-menuisier Louys Behori, « l’olifant de Roland », en réalité une superbe corne à boire de facture italienne sculptée dans l’ivoire…
La majeure partie du 1er étage est réservée à la « forêt d’horloges », 130 pièces offertes à la ville de Toulouse par Édouard Gélis, maître-horloger, qui pourrait s’appeler le Cabinet du Temps, riche d’astrolabe, cadrans, montres, cadrans solaires et chronomètres, sans oublier au sous-sol non seulement le Cabinet du sabre et du goupillon qui réunit ostensoirs et chasubles avec armes de poing et épées, mais aussi celui dédié aux procédés d’optique du pré-cinéma, etc. etc. La tête tourne, le syndrome de Stendhal menace le visiteur, il faut revenir plusieurs fois dans ce musée qui porte bien son nouveau nom « des arts précieux » et rend hommage à son fondateur qui disait « qu’une collection doit vivre et pour cela être partagée ».
Parmi toutes les merveilles de ce Cabinet de curiosités, j’ai toujours un faible pour La leçon de chant, un automate conçu et réalisé par le magicien Robert Houdin en 1844, qui me sidère depuis que je suis enfant: sous un globe de verre, une jeune femme sur une ottomane, un négrillon qui tient son ombrelle, et un serin dressé à chanter; lorsque l’air joué par la serinette s’achève, le serin s’anime sur son perchoir et se met à chanter, il reproduit l’air de la serinette, émet ensuite une suite de trilles, puis répète l’air initial. L’automate est mu par un mécanisme d’horlogerie. « Les mouvements de l’oiseau sont donnés par une came et transmis par l’intermédiaire de tubes dissimulés dans la tige verticale du perchoir. La musique est créée à partir d’un tuyau d’orgue ». Afin d’entretenir le mécanisme, chaque premier mercredi du mois, à 15 heures, on réactive l’automate. Il chante ! Magique !
PS Il ne faut pas oublier au l’exposition temporaire Hiboux, toutous, matous, florilège d’affiches du défunt Musée de l’affiche, qui met à l’honneur les animaux, icônes publicitaires, ravira petits et grands enfants, avec par exemple l’ours qui jongle avec un camembert de la vallée d’Oust dans le Couserans en haute Ariège, -une véritable référence gastronomique au XIXème siècle, ou le fameux chimpanzé sirotant la bouteille d’anisetta (liqueur de dessert) de Carlo Biscaretti di Ruffia (1879-1959).
Momies, Corps préservés, corps éternels
Muséum de Toulouse
22 octobre 2022 au 2 juillet 2023
du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.museum.toulouse.fr/momies
Memento Mori ! (souviens-toi que tu vas mourir !)
Cette remarquable exposition, qui n’a rien de macabre et ménage les sensibilités (même si à mon humble avis elle demande une certaine maturité et j’hésite à y emmener mon petit-fils de 6 ans) en ne livrant certaines momies d’enfants aux regards que derrière des glaces sans tain qu’il faut éclairer soi-même, a été conçue avec beaucoup de didactisme.
Elle se décline en trois sections différenciées par des scénographie aux couleurs et ambiances différentes.
LES MOMIES ARTIFICIELLES La préservation physique du corps des défunts faisait partie intégrante de certaines cultures et civilisations de l’Antiquité. Sont évoqués les rites funéraires des Égyptiens de l’époque pharaonique, les momies andines du Pérou, les momies guanches des Canaries, les corps préservés de Papouasie Nouvelle-Guinée…
LES MOMIES NATURELLES Notre planète nous offrant une infinie variété de conditions environnementales et climatiques qui peuvent exceptionnellement être favorables à la transformation des corps en momies humaines et animales, certaines l’ont été naturellement par l’action de la sécheresse, du manque d’oxygène, de la salinité ou de l’acidité des milieux, et même du froid.
LES MOMIES SCIENTIFIQUES Les techniques de préservation des cadavres se sont grandement améliorées à l’aune des avancées médicales et scientifiques. L’utilisation de substances chimiques comme le formol a été décisive dans l’approfondissement de la connaissance de l’anatomie humaine et animale. Sont évoquées ici l’histoire et l’évolution des techniques de conservation modernes utilisées par les héritiers des embaumeurs du passé, les thanatopracteurs, ou les préparateurs anatomiques, et bien sûr les équipes de conservation muséale.
Tout cela m’évoque bien sûr les centaines de momies habillées de la Crypte des Catacombes des Capucins de Palerme, préservées par une sécheresse extrême, enduites de vinaigre et d’un mélange de formol, de glycérine, d’acide salicylique et de zinc, dont la mieux conservée est celle d’une belle petite fille, Rosalia Lombardo, décédée en 1920 à l’âge de deux ans. Mais aussi le Tristan de Christian Vander, du groupe Magma, qui après la perte d’Yseult, choisissait le « suicide cathare », l’endura (3), en se laissant momifier par le froid avec le cadavre de celle-ci sur le glacier de la Sierra Maladetta, avec une musique totalement originale en 1974.
Des boites à « parfums » titillent l’odorat, avec des effluves de produits d’embaumement, comme la myrrhe des spécialistes égyptiens passés maîtres en ce domaine, mais aussi l’odeur de sainteté de ceux reconnus par l’Église comme ayant témoigné d’une haute élévation spirituelle, qui dégageaient une odeur suave, contrairement à ceux des croyants ordinaires.
Et des portraits en pieds très colorés complètent le tout, comme La Doncella, adolescente inca victime d’un sacrifice, momifiée par le froid et inhumée voici plus de 500 ans dans la roche volcanique, ou L’inconnue de la Seine, jeune fille retrouvée noyée en 1880, « la femme la plus embrassée du monde » puisque son masque funéraire orne les mannequins permettant l’apprentissage des techniques de réanimation et de massage cardiaque.
Il ne faut pas oublier, dans l’escalier, l’exposition photographique de Nick Brandt La faune « pétrifiée » du lac Natron (Tanzanie). Il la présente ainsi: « J’ai découvert par hasard des oiseaux et des chauves-souris échoués le long de la rive du lac Natron en Tanzanie. Personne ne sait avec certitude comment ils meurent, mais il semble que la surface miroitante du lac les trompe en entraînant leur chute. L’eau concentre un taux si élevé de soude qu’elle dégraderait l’encre de mes boîtes de pellicules Kodak en quelques secondes. La soude et le sel « pétrifient » les créatures, qui, sous l’effet de l’évaporation, sont parfaitement préservées. J’ai pris ces créatures au fur et à mesure que je les trouvais sur le rivage, puis je les ai placées dans des positions « vivantes », les ramenant à la « vie », pour ainsi dire. Réanimées, vivant à nouveau dans la mort. »
PS. S’il y a beaucoup de belles pièces prêtées par le Musée Georges Labit, à titre personnel j’ai regretté l’absence de sa « star », la momie d’In-Nimen-Na-Es-Nébou, « celle qui remonte aux sources lumineuses », qui m’avait beaucoup fait rêver enfant et à qui j’avais rendu vie sur scène, en déroulant ses bandelettes, dans le Tramway Bleu, ma dernière mise en scène de théâtre en 1999, librement inspirée du Roman de la Momie de Théophile Gautier.
Alfred Nakache, le nageur d’Auswitch
Castelet de l’ancienne Maison d’arrêt Saint Michel
Entrée gratuite du mercredi au dimanche de 11h à 18h
jusqu’au lundi 2 janvier 2023
http://billetterie.castelet.toulouse.fr/content
Cette exposition réalisée par le Mémorial de la Shoah hors les murs, invitée au Castelet de Toulouse après Sète où il a fini sa vie, retrace à travers 20 panneaux le parcours exceptionnel d’Alfred Nakache, figure emblématique de la ville de Toulouse, champion de France et recordman du monde: pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été exclu de la société par la législation antisémite du régime de Vichy; proche des réseaux de résistance juifs, il a été dénoncé par la presse collaborationniste et enfermé dans la prison Saint- Michel, puis déporté avec sa famille à Auschwitz en janvier 1944. Seul rescapé, son épouse et sa petite fille de 2 ans et demi gazées à leur arrivée, cet athlète de haut niveau épargné à cause de sa force de travail, est rentré à Toulouse à la fin de la guerre et revenu au plus haut niveau de la natational, malgré les épreuves, ses efforts lui ont permis d’être à nouveau champion de France, de battre un nouveau record du monde et même de participer aux Jeux olympiques de 1948.
Très édifiante et émouvante, l’exposition donne à découvrir ou redécouvrir un homme et un sportif hors du commun dans la tourmente d’une des périodes les plus noires de notre histoire que le Castelet, comme le Musée de la Résistance, nous incitent à ne jamais oublier.
Comme dit un proverbe italien, « Rappelles-toi que le passé est toujours une leçon, jamais une excuse ».
Nikki de Saint Phalle, l’Art en liberté
Les Abattoirs
Jusqu’au 5 mars 2023
76 allées Charles de Fitte – Toulouse
https://www.lesabattoirs.org/Expositions/niki-de-saint-phalle/
Doit-on encore présenter Niki de Saint Phalle (1930–2002) ? Cette artiste franco-américaine engagée qui a multiplié les prises de position, tant pour soutenir les malades du sida que pour défendre la cause des afro-américains ou alerter sur le réchauffement climatique, a été rendue célèbre dans les années 1960-70 par ses emblématiques sculptures monumentales et multicolores de « Nanas », souvent installées sur l’espace public, mais elle a aussi répandu son art chatoyant par ses créations au formats plus accessibles: mobilier, bijoux, lithographies…
Plus de 200 œuvres de l’artiste sont présentées ici, son tempérament libre et joyeux rayonne de ses sources d’inspiration, femmes et animaux, mais aussi objets du quotidien, et de ses techniques, peintures, sculptures, mosaïques, dessins, vidéos et écrits, qui retracent les 20 dernières années de cette grande dame humaniste, qui s’est éteinte en 2002, à l’âge de 71 ans, en ayant toujours gardé cet esprit d’enfance qui est l’apanage des grands artistes.
« Ma grand-mère était à l’avant-garde à tous les niveaux » raconte sa petite-fille Bloum Cardenas. « A l’époque beaucoup ne la comprenaient pas et aujourd’hui toute son œuvre et ses engagements prennent un sens pour les nouvelles générations. »
Très colorée et ludique, cette rétrospective est recommandée pour « petits et grands enfants ». Elle est tout à fait à sa place au musée d’art moderne et contemporain de Toulouse où elle côtoie les inestimables collections offertes par Monsieur Daniel Cordier et le fameux Guernica, le rideau de scène de Picasso. Les petits y sont même invités à jouer avec les couleurs comme elle aimait le faire.
Attention, les Abattoirs n’ouvrent pas avant 12h, et jusqu’à 18h, sauf nocturne le jeudi jusqu’à 20h hors vacances scolaires.
Pour en savoir plus :
1) Situé au n°13 de la rue de la Pleau, du nom du procureur Jean Lapleau (XVIème siècle), le Musée Paul Dupuy fut d’abord la maison du capitoul Pierre Martin (XVI1ème siècle), puis successivement celle de Jean de Vaur, procureur au Parlement, François de Urbes, marchand, Jean Salinier, avocat à la cour, et à partir de 1632 celle de Pierre Besson, procureur. En 1749, Thérèse de Besson apporte l’hôtel de Besson, en constitution de dot, à Jean-Joseph Vignes, seigneur de Colomiers, avocat au Parlement. « Les propriétaires du XIXème siècle furent M. de Salin-Béni, M. le marquis de Saint-Larry et M. de Laroche-Lamothe » à qui Paul Dupuy rachète l’hôtel en 1901 afin d’y installer sa prodigieuse collection curieuse et précieuse.
2) https://le-concert-impromptu.com/
3) Endura: Terme occitan qui signifie « jeûne ». Détournée par les polémiques comme étant un suicide rituel par inanition, l’endura serait en réalité une abstinence, pratiquée à la suite d’un consolamentum, rituel essentiel du Catharisme qui était censé assurer le salut éternel aux croyants. Les sources restent cependant bien pauvres sur cette notion, ce qui a permis des interprétations fantaisistes encore d’actualité.
https://www.cathares.org/dictionnaire-du-catharisme-lexique.aspx#jesuschris
Certains textes parlant aussi de « suicide par le froid », il n’en fallait pas plus pour stimuler l’imaginaire de certains créateurs.