Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, une réédition, un classique ou un livre injustement méconnu.
A l’heure où l’on ne convoque en général le passé que pour l’insulter ou lui intenter des procès rétroactifs, l’éloge de la Belle Epoque et des Années folles que vient de publier dans la collection « Dictionnaire amoureux » Benoît Duteurtre a une allure tranquillement subversive. Ce qui ne surprendra pas les lecteurs de l’auteur du Voyage en France (prix Médicis 2001), de La Rebelle ou de Dénoncez-vous les uns les autres, ironique scrutateur des lignes de friction entre le passé et le présent, la tradition et la modernité, la nostalgie et le progrès. Les fidèles de l’écrivain connaissent aussi sa passion pour la musique, qu’il s’agisse du classique, de l’opérette, de la chanson, du jazz ou de la soul. Autant de penchants qui en font le guide idéal afin de cheminer dans « cette France de la fin du XIXème et du début du XXème qui apparaissait comme le pays des arts et de l’art de vivre ».
Entre ces deux périodes séparées par la terrible parenthèse de la Grande Guerre, il souligne avec pertinence la continuité, « un seul et même élan » et « les mêmes racines intellectuelles ». Peinture, musique, littérature, architecture : au cœur de cet âge d’or créatif, « le grand et le noble s’y inspirent volontiers du petit et du populaire, le profond du léger », l’expérimentation et l’inventivité n’excluent pas la futilité et le plaisir du divertissement.
Ravel, Monet, Proust et les autres
Nulle surprise donc que dans ce Dictionnaire Pauline Carton croise Gabriel Fauré, que le fauvisme et le cubisme côtoient le théâtre de boulevard ou le comique troupier, que Coco Chanel voisine avec Charles Péguy. Duteurtre ne tombe pas pour autant dans le confusionnisme ou le relativisme, mais trace des filiations, des correspondances entre des artistes, des modes d’expression, des courants qui dépassent le cloisonnement des chapelles à l’instar d’un Sacha Guitry à la fois dramaturge, acteur, cinéaste, écrivain… Evidemment, Paris est l’épicentre de la Belle Epoque et des Années folles. L’écrivain en ressuscite avec passion les quartiers emblématiques, les cafés, les cabarets, les brasseries, les théâtres.
Il y a beaucoup de bonheurs de lecture à travers ces 600 pages. Les développements consacrés à Ravel, Debussy ou Stravinsky sont des modèles du genre. La littérature n’est pas négligée (Proust, Colette, Gide, Léautaud…) quand Monet, Trenet, Verlaine ou Apollinaire prennent place dans ce kaléidoscope scintillant. Benoît Duteurtre rend aussi hommage à des artistes oubliés ou trop méconnus à l’instar de Jean de La Ville de Mirmont ou de Fernand Osché auquel il consacra un beau récit. Illustre ou inconnu, muséifié ou abandonné : le monde que décrit le Dictionnaire amoureux de la Belle Epoque et des Années folles possède un éclat rare.
Dictionnaire amoureux de la Belle Epoque et des Années folles – Plon