Avant de commencer les questions/réponses, petit retour sur le premier week-end du Festival Cinespaña, qui se poursuit en région tout le mois d’octobre.
En plus de ses œuvres que je trouve fabuleuses – Stockholm, Que Dios nos perdone, El Reino, Madre en court et en long, As Bestas pour le cinéma, la série Antidisturbos -, énorme plaisir de voir les spectateurs se presser pour (re)voir les films de Rodrigo Sorogoyen et assister à sa rencontre, avoir confirmation que c’est un cinéaste aux réflexions intéressantes, pondérées, ouvertes à la discussion (trois choses en voie de disparition), honnête et tellement drôle. Le public ravi, tant par ses films que sa rencontre, les quatre séances complètes. Et le sentiment que Rodrigo semblait réellement ému de voir que le public français le connaisse, l’apprécie, lui renvoie une reconnaissance, si tant est que celui de la Cinémathèque de Toulouse reflète le pays.
Rencontre toute aussi passionnante avec João Pedro Rodrigues en distanciel, et Raphaël Lefèvre sur scène le lendemain, aussi enrichissante, profonde et aussi drôle, avec l’art de reformulation « il y a des fois, j’ai dû jouer le psychologue entre les deux… – ah oui, on s’engueulait ».
Pour (re)voir les films de João Pedro Rodrigues, ils sont disponibles en DVD chez l’Éditeur Épicentre, ici.
La Cinémathèque continue de mettre en avant le cinéma portugais avec le cycle Visions féminines l’autre avant-garde du cinéma portugais, jusqu’au 29 octobre.
Ces trois belles photos sont de Franck Alix. Un grand merci à lui pour son accord de les utiliser ici.
Pour en savoir plus sur son travail, c’est par ici.
Lors de mon entretien avec Rodrigo Sorogoyen fait en distanciel (à lire ici), je lui avais dit que j’aimerais bien parler de sa cinéphilie, grâce à quinze questions, et on convient spontanément, qu’il vaut mieux se voir durant Cinespaña pour la faire : ça l’arrange, moi aussi. Je sais que ce questionnaire fonctionne en face à face, en vrai, sans préparation. Donc, ce dimanche matin où il faisait très chaud, nous sommes dans la cour privée de la Cinémathèque – un grand merci à elle de nous avoir accueillis -, et je lui rappelle notre échange :
« Ah oui c’est vrai ! Chaque fois qu’il y a ce type de questions, je me bloque…
– je comprends tout à fait, promis. Si ça ne marche pas, on fera autre chose : j’ai d’autres questions sur votre travail.
– ok, on va essayer tes questions.
– tes réponses peuvent être des séries, si tu veux.
– je croyais que c’était pour parler de cinéma…
– t’es pas forcé de citer des séries, mais tu peux si tu le veux »
Je suis passée aussi vite au « tu » que lui à me taquiner avec les séries, sachant qu’il en fait des très bonnes. Je sais, – depuis le temps que je l’utilise -, que les questionnés sont beaucoup plus à l’aise avec un entretien retranscrit que filmé. Mais en plus d’être un des cinéastes les plus intéressants et gentils que j’ai rencontré, l’ambiance était vraiment super chouette, alors que/ peut-être à cause du changement d’horaire et de lieu pour la rencontre, qui commence décalée, l’explosion d’une bouteille d’eau plate glacée sur moi (comment ai-je fait ? mystère n°1). Sur l’enregistrement, on nous entend rire, vraiment très très régulièrement, m’entendre dire « tu peux continuer à jouer avec Totoro » qui a été patouné par lui tel un doudou, ou « t’as cité une série hein ». Du coup, pour cet article, je vais par moment préciser davantage l’ambiance.
Un grand merci à Alba Paz d’avoir une nouvelle fois assuré un soutien qui a évité tout malentendu.
Le film qui vous a causé votre premier choc cinématographique.
À l’adolescence, c’est clair que c’est Léon – El profesional de Luc Besson. Je devais avoir treize ans, j’étais au cinéma avec mon père. J’ai adoré, adoré, adoré ce film parce que c’est la première fois que je tombais amoureux du protagoniste, et quand Léon meurt, j’ai regardé mon père tellement j’étais surpris, car à l’âge que j’avais, je ne savais pas qu’un protagoniste pouvait mourir. Ça a été un vrai choc.
Durant l’enfance, je peux dire El retorno del jedi, que j’ai vu quand j’étais très très petit, trois ans, et c’était au cinéma, en salle. Ma mère a l’habitude de raconter, – moi je ne m’en souviens pas, ou je crois que je m’en souviens, je ne sais plus – qu’il y avait des montres, et quand ils étaient là, elle me mettait la main devant les yeux, et que moi, je baissais son bras pour regarder. Le premier film que j’ai vu, c’était Robin Wood, mais je n’ai pas le souvenir d’un choc (rires).
Le film qui vous a fait dire « je veux être réalisateur ».
Je vais dire True Romance de Tony Scott. Je l’ai vu à un moment où je voulais être réalisateur, et je n’avais jamais vu ce type de film à ce moment-là
Le film que vous offrez le plus.
C’est la même chose que « je le recommande tout le temps » ?, ou « je veux que tout le monde le voit » ? Okay… J’adore Adaptation (El ladrón de orquídeas) de Spike Jonze. C’est son deuxième film, après Being John Malkovich – Cómo ser John Malkovich.
Il y a aussi Fuerza mayor – Turist de Ruben Östlund : quand je l’ai découvert, j’ai dit à tout le monde « vous devez aller voir ce film ». (moi aussi ! pas pour les mêmes raisons, à relire ici)
Et un film plus ancien Il postino – El cartero (y Pablo Neruda), et encore plus ancien The Killing -Atraco perfecto de Stanley Kubrick.
Le film que vous ne vous lassez pas de revoir.
À ce moment-là, Rodrigo rit, cherche dans son téléphone, re-rit, je ris aussi du coup. Et voici l’échange qui a suivi, en respectant les langues utilisées, toujours en riant.
« C’est vrai que c’est ça, je ne sais pas comment il s’appelle ici…
– Dime el titulo en español (pourquoi je me mets à parler espagnol ? mystère n°2, le retour)
– je préfère que tu vois l’affiche
– oula… ça sent le mauvais film…
– si »
et quand il me tend son téléphone, j’ai crié « mais l’est trop bien ! » et tous les deux simultanément « masterpiece ! » (pourquoi je me mets à l’anglais ? mystère 3)
Top Secret !
Le film qui vous fait dire « il devrait être obligatoire au Bac ! ».
Las noches de Cabiria de Federico Fellini.
Le film qui vous fait dire « c’est mon histoire, ça ! » (un film dont vous êtes le réalisateur serait une réponse trop facile).
Stand by me de Rob Reiner.
« oula, c’est triste.
– sans le côté triste.
– tu serais le personnage de l’écrivain ?
– si »
Le film dont vous avez repoussé le visionnage à cause d’un gros préjugé et qui vous fait dire « les préjugés, c’est tout pourri ».
J’ai le droit de dire que le préjugé était bon ? Beaucoup de séries, je sais qu’elles vont être une merde. À la fin, je les vois et je dis ok : c’est une merde (rires).
Il y a un film, je ne croyais pas qu’il était mauvais, mais je croyais qu’il ne me plairait pas, et il m’a beaucoup plu : Lost Highway de David Lynch, avec Bill Pullman.
Le film dont vos amis disent « tu regardes ça, toi ? »
Cela m’est arrivé récemment avec un film qui n’est pas encore sorti, mais que j’ai vu à Venise : Bardo d’Alejandro Iñárritu.
Le film que vous n’avez jamais rendu à son propriétaire… d’ailleurs, il peut toujours courir pour le récupérer.
Le coffret de The Wire
La série The Wire s’appelle en France Sur écoute, et c’est ainsi que Raphaël Nieuwjaer a nommé son article sur la série Antidisturbos d’Isabel Peña et Rodrigo Sorogoyen, réalisée par ce dernier, pour Les Cahiers du Cinéma. Le journaliste y développe les liens entre les deux séries.
Le film qui vous fait voyager et qui vous a décidé à aller dans les lieux décrits.
C’est un film que j’adore de Michaël Winterbottom, The Trip – second part. Steve Coogan et Rob Brydon jouent leurs propres rôles. Ils font un voyage gastronomique pour goûter des plats dans des restaurants incroyables. La première partie était en Angleterre, et la deuxième en Italie. Ils ne sont pas très amis, ils rigolent tout le temps, ils commencent à imiter Mikael Cain, c’est très très très drôle. J’ai essayé de manger comme eux en Italie.
Le film qui vous enracine.
Rodrigo rit pendant qu’il cherche sur son téléphone, quand il me montre l’affiche, et même quand il me répond :
Young Guns, de Christopher Cain. Pendant mon enfance, c’était mon film préféré.
Le film qui devrait être remboursé par la sécurité sociale.
Tous les films de Woody Allen avant 2005. Broadway Danny Rose, Stardust Memories…
Le film qui ne vous quitte pas.
There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson, c’est un film fascinant pour moi. Il y a aussi Un prophète de Jacques Audiard.
Le film dont vous pouvez réciter des dialogues par cœur (non… un film dont vous êtes le réalisateur serait une réponse trop facile).
Pulp Fiction ou Top Secret !
Une preuve ?
Rodrigo rit pendant toutes les phrases qui suivent, moi aussi :
« Mais je ne les connais qu’en espagnol.
– ça ira, je les chercherai, je t’écoute
– Nada Nick, yo he intentado todo. La embajada, el gobierno alemán, el consulado, incluso con el embajador de las Naciones unidas, pero nada : mi mujer no tenga el orgasmo.
– Ha… ¿ Has probado con uno de éstos ?
Rodrigo et moi en chœur, hilares : « anal intruder »
Du coup, j’ai découvert que, dans la version espagnole, Mousse au chocolat s’appelle Café au lait, et Déjà vu s’appelle Tour Eiffel.
Le film qui est votre dernier coup de cœur.
Alma viva de Cristèle Alves Meira.
Le samedi où est arrivé Rodrigo à Toulouse, le festival Arte Mare, u festivale di u filmu mediterraneu di Bastia, rendait son palmarès, et Rodrigo était le Président du jury, qui a récompensé le film portugais du Grand Prix. Il a envoyé une petite vidéo où il le décrit comme « Un premier film très libre. D’une grande maîtrise. Et une expérience cinématographique nouvelle pour nous. ». Et le film était aussi à Cinespaña (voir présentation ici) : très bon choix mister président !
Festival Cinespaña se poursuit en région tout le mois d’octobre.
Merci beaucoup à Rodrigo Sorogoyen pour être lui, Alba Paz pour avoir tout bien organisé et à la Cinémathèque de Toulouse.
À lire aussi :
Rencontre avec Diego Anido, acteur de « As Bestas »
Rencontre avec Rodrigo Sorogoyen, scénariste et réalisateur
« Les films que j’aime » du réalisateur et scénariste Rodrigo Sorogoyen