Assimilée au mouvement des Nouveaux réalistes en ses débuts, l’artiste peintre et sculptrice, Niki de Saint-Phalle qui s’installe au Musée Les Abattoirs est entrée dans le monde de l’art au moment de cette révolution qu’ont constitué ces nouveaux supports directement tributaires de la pétrochimie. Nous sommes ici dans les années 50, 60 et en suivant. Sorte d’introduction à l’exposition consacrée à ses vingt dernières années, les 80 et 90, à partir du 7 octobre.
Arts plastiques…matières plastiques, quoi de plus naturel que de rapprocher deux expressions apparemment faites pour se compléter. Et pourtant… Si certains artistes avouent franchement leur penchant en ces matières nouvelles qui s’avèrent d’une docilité parfaite, nous sommes dans ces années 50, 60, d’autres ne sont pas loin de les haïr, ou tout au moins d’en contester vivement les mérites. Les uns vont les utiliser fréquemment, d’autres, occasionnellement. Pour certains, polyester, époxy, polyuréthane, polystyrène, … n’ont plus de secret et remplace allègrement, bois, marbre, acier…. Ces nouveaux poètes que sont peintres et sculpteurs utilisent les plastiques pour en transcender la banalité, en exprimer le merveilleux. La beauté du plastique est bien dans l’expression de ses qualités techniques. Arman louera ce matériau succédant à des artistes comme Pevsner, Nuam, Saint-Maur… et en suivant, les Pavlos, Louis Bec, Leonardo Delfino et viendra Cesar, qui compresse ses sculptures et bien sûr son fameux Pouce en polyester.
Et puis voilà Niki de Saint-Phalle qui vous dit qu’elle se sert alors du plastique mais qu’elle n’aime pas la matière. Nous sommes dans les années 60. C’est une matière « qu’elle a été forcée d’utiliser parce qu’il n’y en avait pas d’autres, et dès qu’elle en trouvera une autre, elle l’abandonnera. » Raison première : « parce que j’y ai laissé la moitié de mes bronches, une partie de mes poumons. Le plastique peut être dangereux, provoquer des allergies (dont elle va souffrir gravement). Je hais le plastique !!! Maintenant je ne travaille plus le polyester moi-même : je m’adresse à des techniciens de l’industrie. Mes sculptures, je les fais en grillage d’abord, sur un châssis métallique, puis les spécialistes interviennent avec de la laine de verre et du polyester. La sculpture revient dans mon atelier et je la peins. » Mais il faut dire qu’alors c’est la seule matière existant qui permettent de faire de grands volumes transportables : légers et pas cassables. Et commode grâce à sa solidité, sa légèreté et son prix de revient. Elle reconnaît que l’aspect du plastique, pour lui-même, ne l’intéresse pas du tout, ni son caractère “moderne“. « Je le peins et les gens ne savent pas quelle matière c’est. La matière pour moi ne compte pas. C’est simplement un moyen. » En un mot, illustration parfaite du : « fini la toile en tant que support ».
Elle vous dira encore qu’elle est une artiste qui vit dans son temps. Elle sent les problèmes d’aujourd’hui, mais c’est plutôt dans ce qu’elle dit que dans la matière qu’elle utilise. Elle pense que ses sculptures en elles-mêmes sont bien de leur temps : « J’exprime les problèmes d’aujourd’hui dans les sujets, dans la manière dont ils sont peints beaucoup plus que dans la matière et la technique, qui intéressent davantage les hommes ! J’avoue que la technique me procure plus de soucis que de joies…… ». C’est aussi pendant qu’elle rencontre Jean Tinguely, son futur second époux, et ses créations de Mét-matics, qu’elle amène chez ce dernier Robert Rauschenberg et son amant Jasper Johns, qu’elle tire à la carabine sur les tableaux, explosant ainsi les poches de peinture noyées dans le gesso, cet enduit à base de plâtre et de colle. C’est la période Tirs. Artiste féministe très engagée, tirer est alors une façon pour elle d’exorciser ses maux et ceux de la société et de tuer “symboliquement“ tout ce avec quoi elle pouvait être en désaccord, tout ce qui ne bougeait pas assez. « Je veux créer, créer l’instant présent, créer de la beauté, quelque chose. Quelque chose qui vous ressemble, qui est dans l’instant, qui fait penser aux bombes, à une énorme explosion, à la fin du monde ! Bang ! »
Non, l’iconoclaste Niki de Saint-Phalle n’arrive pas comme on dit : Aux Abattoirs avec Hon – Ein Katedral ou Elle – Une cathédrale. Elle aurait bien du mal puisque cette monumentale création a été détruite, comme prévue, en fin d’exposition. C’est en 1966 que l’artiste présente au Moderna Museet de Stockholm, cette gigantesque Nana enceinte et allongée sur le dos, à l’intérieur de laquelle les visiteurs sont invités à pénétrer, grâce à une ouverture située… entre ses jambes ! Le projet a pas mal déboussolé le monde de l’art en premier et le public en suivant tout en ayant un succès retentissant. Il faut en effet imaginer, et là, la nef du Musée Les Abattoirs eut été un endroit idéal !! le corps allongé d’une femme enceinte de 23 mètres de large et 6 mètres de haut, 28 mètres de long, pesant 6 tonnes, érigé en cathédrale multicolore. Le plus sidérant, c’est bien sûr que la Nana se visite, de l’intérieur et qu’on y pénètre par les parties génitales, les jambes suffisamment écartées. Créée par Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, son compagnon et l’artiste finlandais Per Olof Ultvedt, « Elle – une cathédrale » fut présentée du 4 juin au 4 septembre 1966.
Fascinée par le Palais Idéal imaginé par le facteur de la Drôme, Ferdinand Cheval au début du XXe siècle, Niki de Saint-Phalle rêvait de bâtir à son tour une œuvre gigantesque, hors-norme et surtout hors-sujet ! , déjà connue pour ses Nanas, femmes girondes à la sensualité colorée, elle fut tout de suite séduite par le projet du Directeur du Musée qui lui suggérait une installation in situ, à savoir une Nana gigantesque au cœur du musée. Passons sur la construction, l’exploitation, l’aménagement intérieur et enfin la destruction de la nana la plus démesurée, la plus admirée mais aussi détestée, conclusion si l’on peut dire de la période Nana de l’artiste franco-américaine. Le monument inédit se vit affubler de toutes sortes de qualificatifs et déclencha des réactions de tout bord auprès du public et de la presse. Certains étaient dithyrambiques, d’autres d’une agressivité rare, d’autres encore étaient incapables de se prononcer.
« L’enjeu : donner un aperçu provisoire sur l’expression narrative dans la peinture et dans la sculpture contemporaines. Elle réunit quelques-uns des artistes d’aujourd’hui qui ont senti la nécessité d’introduire dans leurs travaux les notions de récit continu, d’épisodes narratifs ou de déroulement dans la durée. Par son caractère de synthèse et de constat, elle a voulu se placer au-dessus des cloisonnements, des tendances et des mouvements, et laisser s’exprimer, sous la responsabilité de leurs auteurs, les différentes options politiques, religieuses, morales ou esthétiques qu’implique toute nécessite narrative. »
Gérald Gassot-Talabot, texte de présentation de la Figuration narrative dans l’art contemporain, catalogue d’exposition {…} octobre 1965