Bertrand Chamayou donnait un récital, ce mercredi 17 août à Rocamadour, accueilli par le Festival de Musique Sacrée. Son programme, audacieux et intelligent, mêlait Liszt et Messiaen.
Nous sommes d’emblée plongés dans une ambiance peu commune : l’église est haute et sombre, il fait nuit. Bertrand Chamayou s’installe, sur un Steinway de concert sans couvercle, au centre de l’église, intimidant ; les spectateurs l’entourent. Une lumière magenta apparaît sur les piliers au moment où le pianiste pose les 4 notes octavées dans le grave : c’est la marche solennelle vers le Saint Graal de Parsifal, dans la transcription que Liszt en a réalisée. Jeu entre lumière et musique, des tons blancs quand une tonalité aiguë et plus apaisée s’impose un moment, cavalcade vers le grave du piano, à nouveau dans une couleur violacée : nos sens sont aux aguets.
Puis Chamayou lance Au bord d’une source dans un tempo rapide. Son art du rubato ménage des escapes où l’on respire mieux, mais la source n’est pas tranquille, c’est un torrent de montagne, sans doute alimentée par… un Orage bien sûr. Cet été Météo France nous parlait d’orages secs, quand la chaleur étouffante et les éclairs nous laissaient sans une goutte de pluie. Voilà cet Orage vu par Chamayou : lumière éclatante, éclairs aveuglants ; dans l’acoustique enveloppante, il n’est aucun espace pour la respiration.
Les accord énigmatiques qui ouvrent la Vallée d’Obermann nous encerclent d’une sonorité magnifique. La gamme descendante, redite cent fois, est toujours renouvelée sous les doigts de magicien du pianiste. Dans l’espace central de la pièce, plus rhapsodique, il déploie une liberté d’interprétation qui laisse sans voix. Les trois dernières pages de la partition sont prises à un tempo d’enfer, à la limite de la lisibilité étant donnée l’acoustique de l’église.
Vient enfin, climax de la première partie, le Regard sur l’esprit de joie issu des Vingt regards sur l’enfant Jésus. Sur la partition Messiaen a écrit : « Danse véhémente, ton ivre des cors, transport du Saint-Esprit…la joie d’amour du Dieu bienheureux dans l’âme de Jésus-Christ… ». La virtuosité de Liszt est transcendante, mais celle de Messiaen? Le piano est au service de l’indicible ; on est en apnée, cloués sur nos chaises, tendus par l’énergie époustouflante que dégage l’interprétation de Bertrand Chamayou. Un moment unique.
L’entracte ne sert qu’a respirer quelques minutes dehors, aussitôt on replonge dans un autre « Regard » : Première communion de la Vierge. L’enfant Jésus, le Christ, est là : on est dans une église, la lumière rouge du tabernacle nous signale sa Présence Réelle. La Vierge Marie est là : on est dans un sanctuaire marial. On attendait donc un miracle, il a eu lieu. Nous sommes enveloppés par le regard d’amour que le pianiste porte à la partition. Le temps est suspendu.
Par contraste, notre cher Franz Liszt fait un peu… terrestre. Dans le Sonnet 123 de Pétrarque, la magie des mélodies, prises dans un flot d’arpège, finit par nous prendre dans ses lacets. Sans doute ce passage était-il nécessaire, pour arriver à la Fantasia quasi una sonota, Après une lecture du Dante. Ici le ton est donné dès le motif descendant, avec une autorité qui ne laisse aucun doute sur les ambitions de Chamayou. Le reste de la pièce, avec son fameux thème en deux doubles croches alternées, est splendide. Dans la partie centrale c’est une intense poésie qui nous prend ; on aurait aimé qu’elle dure encore et encore… mais le piano de Liszt est fou ! La fin est effrayante, même le redoutable Presto avec ces sauts en alternance sont parfaits. Chapeau bas.
Deux rappels viennent conclure ce récital : les Cloches de Genève, un choix clairement dicté sur le moment par le lieu et l’acoustique, où Chamayou joue sur la résonance des voûtes. Qui a déjà entendu cette pièce en rappel ? Un régal. Puis la Fille aux cheveux de lin, prélude de Debussy. Un petit regret ? N’avoir pas entendu un troisième Regard…
Ne boudons pas notre plaisir : tout au long du récital, Bertrand Chamayou aura été au-dessus de son sujet, dans une maîtrise permanente et totale.
Bravo au Festival de musique sacré de Rocamadour pour ce choix. Il reste quelques jours de festival et quelques concerts : c’est le moment de faire un détour par la ville perchée !
Merci à Alexis Mestre pour ses photos.