Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu
C’est au Cap-Ferret, un été, que l’on découvre les personnages baroques du Rêve entouré d’eau. Autour de Bichot s’agglomère de réfractaires ne se grisant pas de leurs révoltes. Tout ce qui est moderne leur est étranger, ils n’ont pas d’ambition sinon celle de rêver, de rester fidèles aux promesses faites et de vivre. Dans la lignée de son merveilleux Vieux garçon, l’auteur de La Vie parlée (Prix Nimier 2005) met en scène une fantaisie où la drôlerie, la poésie, la nostalgie et une mélancolie feutrée se marient à la perfection. Il y a là une ambiance de Pieds Nickelés, de mousquetaires à la Dumas et de Tintin avec ce roman très français à l’énergie stendhalienne. Sur les pas de Bichot et des autres, on vagabonde, on tire-bouchonne des bouteilles de bourgogne tel Angelo dans Le Hussard sur le toit, on rabat le caquet aux conversations inutiles s’échappant des téléphones portables, on collectionne les moments de peu qui sont le sel de la vie.
Ce bon Bichot ne se remet pas du spectacle des cinémas qui ferment et il sait que la forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel : « Il avait horreur qu’on lui change ses lieux. C’était pourtant inévitable et il était ridicule, il le savait, de se mettre la rate au court-bouillon, de vouloir protéger le moindre bistrot, la moindre charcuterie, le moindre marchand de journaux, comme un monument historique. Mais des années et des années plus tard, il en restait inguérissable. Les blessures de sa vie privée cicatrisaient, jamais les blessures infligées à sa ville.»
Magique
Pour autant, Le rêve entouré d’eau ne ressasse pas la complainte du nevermore car la mémoire se conjugue d’abord au présent, les adieux font partie de la vie et il suffirait d’un rien pour que des êtres à peine croisés ne nous oublient pas. Chez Chapuis, les disparus s’invitent dans les rêves des survivants et la tristesse, que pourraient distiller les ombres et les deuils qui ne nous quittent pas, se métamorphose en une sorte de philosophie joyeuse.
C’est bientôt la nuit, ce manteau que les déracinés et les orphelins endossent pour ne pas trembler. Les morts n’ont alors plus de secrets pour les vivants, les rêves entourés d’eau les réunissent et les réconcilient, les liens défaits sont enfin rétablis entre les êtres. « La magie, tu trouves ça joli et tu n’en crois pas tes yeux », lit-on à un moment. Le roman de Bernard Chapuis n’est pas « joli », il est simplement beau et l’on n’en croit pas ses yeux. Des yeux un peu rougis pendant qu’un sourire illumine notre visage.