Ainsi, l’esplanade de Daniel Cordier devant le Musée Les Abattoirs se retrouve-t-elle baptisée Daniel Cordier depuis le 16 juin 2022. Ce n’est pas un hasard. À cela, au moins deux raisons. L’homme décède, en novembre 2020. Il eut un parcours de vie impressionnant, des «vies successives et si différentes les unes des autres ». Il doit ce baptême en ce lieu car, première raison, une grande partie de sa Collection protéiforme est accueillie dans les réserves de notre musée toulousain en passant par le Centre Pompidou de Paris.
Mais si l’idée de ce baptême m’est venue il y a peu, ce n’est pas uniquement par le côté art. C’est surtout qu’au collectionneur fou s’ajoute un passé de résistant bien difficile à résumer ici, qui lui valut d’être Compagnon de la Libération. Pour le faire brièvement, il va se retrouver, parachuté de Londres en France à 22 ans, courant juillet 1942, et choisi comme secrétaire d’un certain Jean Moulin dit Rex. Ce dernier va être son initiateur complet à l’art contemporain de l’époque, étant lui-même déclaré un marchand d’art, au titre de couverture. Leur conversation pouvait alors brusquement dévier sur l’art, si nécessaire. Par exemple, c’est avec lui qu’il découvre Kandinsky, tout en étant alors particulièrement ignorant complet du sujet.
Sa plaque est dévoilée par sa petite-fille et par Monsieur le Maire Jean-Luc Moudenc, en présence bien sûr des drapeaux en rapport avec son passé et son rôle durant la Seconde Guerre mondiale. Le centenaire révolu, alias Caracalla, ne pouvait pas ne pas être présent à Toulouse en tant que figure à honorer. Daniel Cordier fut un professeur de vérités et de contrastes. Son œuvre en tant qu’écrivain permet de nuancer l’image héroïque d’une Résistance soi-disant définitivement unie. D’ailleurs, lui-même se dira plutôt “français libre“ que résistant. N’oublions pas qu’il fut parmi les tout premiers volontaires à s’engager dans les Forces françaises libres, fondées par le général de Gaulle, en Angleterre, qu’il rejoint à même pas 20 ans. 21 juin 1940, il embarque sur un rafiot à Bayonne avec une poignée de copains, 21 juin 2022, c’est le délire de la Fête de la musique !!
Il interviendra bien plus tard en tant qu’historien quand il estimera insupportable le contenu des écrits d’un résistant au sujet de son “patron“ Rex, alors bafoué. Il se plongera dans les archives pendant une vingtaine d’années pour prouver leur ignominie. « On peut porter tous les jugements qu’on veut sur les gens, les apprécier ou pas, discuter du rôle qu’ils ont eu dans l’Histoire, tout ça je suis d’accord. Mais il y a une chose avec laquelle on ne peut pas transiger, c’est la vérité. » La force de Daniel Cordier a été de s’adresser aux intelligences, d’avoir écrit à la fois une histoire et un témoignage, de ne rien cacher des forces et des vents contraires au sein de la Résistance en exhumant des documents et en racontant sa propre expérience.
Et maintenant, la deuxième raison, citons le collectionneur fou Daniel Cordier : « …J’ai fait une nouvelle donation d’objets dits primitifs à Toulouse, (…) il y en a environ 500. Ce sont des objets qui doivent être présentés en même temps que l’autre donation, pour moi cela fait un tout, c’est la même chose : amener un objet primitif à Beaubourg, c’est intéressant. » Ainsi, fait-il se côtoyer des œuvres dites artisanales avec celles dites contemporaines, sans hiérarchie. Veut-il ainsi faire disparaître la frontière entre l’Artiste et l’Artisan ? La dernière “expo“ s’est attachée à respecter les idées et les valeurs du collectionneur qui a fait un “sacré “ bout de chemin depuis la quantité de tableaux qu’il avait pu accumuler dans sa première galerie dès la fin de la guerre, et par la suite.
Il avait hérité alors d’une petite fortune familiale. La période était en effet extraordinaire et, doté d’un “œil“ incroyable, il a pu acheter tant d’œuvres que l’on retrouve maintenant dans tous les musées. Son achat d’une quinzaine de Nicolas de Staël en une seule visite ne fut pas dénué d’intérêt. Il avouera qu’à l’époque, c’était invendable !! A-t-il eu pitié du peintre réfugié qui, depuis son arrivée, ne mangeait pas tous les jours à sa fin ? Autre anecdote, il soutient un réfugié peintre Dado qui lui amène un jeune, disons, SDF, un sauvageon des rues de 14 ans, qu’il va aider, sera même son tuteur, un certain Hervé Vilard !! Capri, c’est fini, et l’argent rentre un peu. C’est pour ça que l’on pouvait retrouver chez le chanteur des Dubuffet achetés sur les conseils de Cordier, ardent défenseur et marchand du peintre de l’Art brut, Il expose aussi Bernard Réquichot qu’il ne sauvera pas de ses pulsions destructrices. Mais, la liste est trop longue des artistes et artisans qu’il a soutenus, vendus, collectionnés à titre personnel et ce jusqu’au bout de son parcours hors du commun.
Il aurait été sûrement satisfait aussi, de l’arrivée sur son esplanade de la sculpture de Fernand Léger. Et du départ de la précédente………