Conjuguant récit d’une marche en territoire sauvage, fragments poétiques, et photographies immersives, l’écrivain Pierre Cendors et le photographe Jacques Mataly ont publié fin mars 2022 « Seuil du Seul », chez l’éditeur L’Atelier Contemporain. La présentation de l’ouvrage est annoncée à la librairie Ombres Blanches le 2 juin prochain en présence des auteurs, dans le cadre d’une exposition dédiée, à l’Atelier Ombres Blanches.
Seuil du Seul dessine la trace du parcours obstiné d’un homme déterminé à se débarrasser de ce que, dans nos sociétés où les concepts abondent, nous pensons être les fragments de notre identité: un nom, une nationalité, une profession, une opinion, une position sociale. Il va entamer une progression vers l’en-soi, non pour y connecter avec son moi profond – utopie! – mais pour entrer en dialogue avec la part originelle, ignorée, qui constitue pourtant le fond de l’homme. Dans les étendues sauvages de l’île de Skye, en Écosse, cet homme va s’enfoncer à la rencontre de cet inconnu en nous qui est plus que nous dit Pascal Quignard, cité par Cendors. Pour en témoigner, il y a ce livre, conçu comme un vade-mecum, fait d’extraits d’un carnet de voyage sur un chemin jalonné de fragments poétiques, celui d’un passage, comme le feraient des pierres dressées sur un site – que l’on voit-, alignées dans l’étendue selon un champ de forces – que l’on ne voit pas. (P.Cendors).
L’île de Skye, en particulier la région de la chaîne volcanique Black Cuillin, hérissée de pierre noire, va favoriser ce besoin de solitude pour celui qui se dirige là où le chemin quitte le chemin.
Peu s’y aventurent, craignant du destin la morsure. Ceux qui y mordent n’en reviennent pas. (Fragment 1)
Avec ce livre, Pierre Cendors réfute toute posture a priori poétique, celle qui a la prétention d’exercer une influence sur une audience (…) d’augmenter sa propre importance. Avec d’autres mots, le photographe Gaël Bonnefon revendique la même non-approche: Franchement, je m’en fous des délires poétiques. Je ne délivre aucun message, aucune morale, je n’ai pas de leçon à donner. Nous sommes sous un même axe, dans la transpiration, le ressenti, l’abstraction (1). Et il cite encore Rodin: Je ne penserai pas.
Dans les tréfonds de cette part nocturne et fluctuante, une fois franchie la zone piétonnière du connu, dépassées les bornes ancestrales de la norme, coupé le cordon communautaire de la parole (Fragment 4), s’ouvre alors une clairière nuptiale de la danse. (…) La poésie est cette clairière première des forces où le corps rechaotise la pensée (extraits Fragments 12 & 13). Cette mue opère dans un silence assidu, non pas absence de bruit mais son des profondeurs primales, lieu d’un dialogue sans paroles, un langage nocturne, rationnellement intransmissible.
A l’écoute de ce qui vient avant la voix, on s’abreuve à la seule source du natal: celle qui, en nous, intarissablement, se tait. (Fragment 23)
C’est tout autant un lieu d’intensification de l’être (..) la pulsation sensorielle, immédiate, sans idéologisme, d’une vie en nous plus vivante que notre propre vie.
Les 8 photographies de Jacques Mataly transcendent ce positionnement entre noirceur et pulsion vitale. Ses images offrent des lignes d’horizon sur des étendues marines ou océaniques dans un dénuement absolu et avec toute la puissance des aubes et des crépuscules, dont la progression ne peut être entravée. Irrésistibles pour Mataly, ces horizons d’abord contemplés se révèlent lignes de rupture, de passage, entre lumières et noirceurs. C’est peu dire que ces images sont dépouillées. Dans l’épure des horizons juste captés, on peut lire une autre illustration de cette poésie de l’évidence absolue, objet de la quête de Pierre Cendors.
L’évocation de cette matrice abstraite nous fait penser au travail bouleversant de la photographe Dimitra Dede, récemment exposée au Château d’Eau à Toulouse. Apeiron, titre de son dernier livre et de l’exposition, est ce terme qualifié par le philosophe et savant grec pré-socratique Anaximandre de principe originel, source, réceptacle de tout, éternel et indestructible, la cause complète de la génération et de la destruction de tout. Dimitra voit dans Apeiron la représentation de toute sa photographie:
Il y a cette idée fondamentale derrière sans doute tout mon travail de l’expression d’une quête intérieure. Nous provenons d’une nébuleuse sombre et inconnue, et nous y retournons. Dans l’intervalle, il y a ce flash de lumière – la vie – que nous abordons incultes, désorientés, et à laquelle nous tentons de trouver une raison, une direction.
Mataly ne dit pas autre chose, semble-t-il, lorsqu’il confesse que ces lignes d’aubes et de crépuscules le font accéder à une forme de méditation sur la route du temps: tout naît et tout disparaît dans l’instant suivant, dans un mouvement irrépressible et permanent qui force une conscience aiguë du présent. Impossible dès lors de voir la moindre répétition dans cette série d’images: chaque ligne d’horizon est unique, en soi et aux yeux du photographe.
Denis Roche le résume dans cette formule, à propos du photographe Bernard Plossu:
Il n’y a que d’un photographe qu’on puisse dire que c’est parce qu’il comprend qu’il voit. L’affirmation inverse étant évidemment le lot de la plupart des gens. (2)
Les photographies de Mataly contiennent les deux mouvements vécus par Cendors: l’enfoncement dans l’en-soi et l’éveil à une forme de totalité. Au final, l’un et l’autre dessinent avec humilité une plus juste intonation du vivant, entre naissance et mort, les deux bornes de notre destin commun.
Exposition du 02/06 au 16/07 à Ombres Blanches (Toulouse): Jacques Mataly (photographiess) & Christine Valcke (peintures, encres)
Vernissage le 2 juin à 19h, précédé d’une rencontre à 18h avec les auteurs Cendors et Mataly.
L’ouvrage Seuil du seul (Editions L’Atelier Contemporain) est disponible en librairie, en particulier chez Ombres Blanches à Toulouse.
La Galerie Jean-Paul Barrès représente toute l’année le photographe Jacques Mataly
Entre juin et septembre, Ombres Blanches accueillera l’éditeur L’Atelier Contemporain « 4 soirées des dernières semaines de printemps »
(1) Gaël Bonnefon in Fisheye magazine, 10/03/22 / Portrait chinois
(2) Denis Roche in postface à l’édition intégrale du Voyage Mexicain de Bernard Plossu (édition 2011)