Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
Ils étaient cinq, comme les doigts de la main. Ils appartenaient à la jeunesse dorée parisienne des années 1990, puis ces amis de lycée se sont dispersés sans réellement se perdre totalement de vue. Le temps des fêtes et de l’insouciance s’est évanoui. Vingt ans après, au gré des hasards et des retrouvailles, le moment d’un premier bilan est venu. Les motifs du premier roman de Vincent Jaury, La petite bande, font entendre des mélodies connues qui, de « Que sont mes amis devenus » à « Nous nous sommes tant aimés », distillent « une sorte de mélancolie ; de mélancolie joyeuse, rêveuse ».
Cette rêveuse bourgeoisie aux accents fitzgéraldiens est décrite sans complaisance ni acrimonie. Chacun des personnages a ses raisons, mais tous partagent la tentation de la fuite. Pour le narrateur, le passé et la mémoire familiale offrent une voie, en particulier le souvenir d’un grand-oncle juif assassiné par la Milice. Que faire de cet héritage ? Qui s’intéresse encore à ces fantômes ?
Des hommes qui s’éloignent
Aujourd’hui, « l’enlaidissement du monde » a fait son œuvre. Même les bistrots semblent avoir perdu leur poésie : « La vie sociale ressemblait de plus en plus à un désert. Ces clients aux yeux rivés sur leur téléphone portable l’inquiétaient sincèrement. Comme si l’air que nous respirions ne suffisait plus. Alors il se réfugiait de plus en plus dans ses livres, des livres de philosophie, où il trouvait la beauté qui s’était échappée du monde contemporain. »
On songe à Des hommes qui s’éloignent de François Taillandier à la lecture de La petite bande ou à un Modiano qui aurait croisé Philippe Muray. Il y a aussi un désarroi et une colère bernanosiennes dans ces pages qui saisissent avec acuité un désenchantement contemporain : « L’esprit scientifique triomphant de notre époque était une vaste conspiration contre la vie intérieure. Nous étions jadis des êtres religieux, puisant au fond de nous-mêmes pour notre bien-être ; aujourd’hui, nous n’étions plus que des êtres économiques, voués au rendement, à l’efficacité et au profit. La vie, la science, la technique s’étaient donné comme objectif l’obsolescence de l’homme. »
Certains de la petite bande ne tiennent plus, lâchent prise. Les illusions perdues s’amoncèlent. Cependant, pas de désespoir ni d’aigreur dans ce roman touchant qui s’achève avec un retour au royaume de l’enfance et des éclats de rire ressuscitant tout ce bonheur qu’ils ne savaient pas.
La petite bande de Vincent Jaury • Grasset