Pour son dernier rendez-vous toulousain de la saison, l’association des Grands Interprètes invitait, ce 19 avril dernier, le bel orchestre de la Camerata Salzburg ainsi que le pianiste et compositeur d’origine turque Fazil Say. Un programme original associant des œuvres de Mozart et de Fazil Say lui-même mêlait ainsi permanence et découverte.
Fondée en 1952 par le pédagogue et chef d’orchestre Bernhard Paumgartner, la Camerata Salzburg réunit des musiciens aguerris liés à l’École du Mozarteum. Elle joue en quelque sorte le rôle d’ambassadeur international de la ville de naissance de son compositeur le plus célèbre. Dirigé par le premier violon de la formation, l’Israélien Gregory Ahss, la Camerata Salzburg entretient avec ferveur une sonorité particulière baptisée le « Camerata Klang » qui doit beaucoup à celui qu’il l’a longtemps dirigée, le Hongrois Sándor Végh.
Inscrites au programme du concert toulousain du 19 avril, deux œuvres magistrales de Mozart alternent avec deux partitions du pianiste et compositeur turc Fazil Say, soliste de la soirée. Une association a priori étonnante, mais qui découle de l’intérêt que le pianiste a toujours manifesté à l’égard du génie salzbourgeois. Souvenons-nous de cette étonnante Fantaisie jazz sur le fameux thème de la célébrissime Marche turque mozartienne.
Néanmoins c’est avec la Chamber Symphonie opus 62 pour orchestre à cordes, de Fazil Say, que s’ouvre la soirée musicale. Construite en trois mouvements enchaînés, cette pièce étonnante s’imprègne d’une écriture modale nettement orientalisante, sur des rythmes forts et rares. Les passages intenses et parfois violents alternent avec l’évocation douloureuse d’une plainte. On remarque, au sein de l’œuvre, une mémorable « bataille » entre deux violoncelles…
L’autre partition de Fazil Say, exécutée en deuxième partie de soirée, témoigne de l’opposition du pianiste-compositeur vis-à-vis du régime obscurantiste turc. Il s’agit de Yürüyen Kösk (La Maison déplacée) Hommage à Atatürk, opus 72, pour piano et cordes qui date de 2017. Dans cette pièce éminemment politique, le compositeur rend hommage au très progressiste fondateur de la République turque. Il y est question d’une anecdote authentique de la vie de Mustafa Kemal, dit « Atatürk ». Ce précurseur en écologie a en effet préféré déplacer la maison qu’il avait fait construire à l’ombre d’un platane plutôt que de tronçonner la branche de l’arbre qui la menaçait ! Les quatre parties de ce « concerto » pour piano et cordes obéissent à une structure cyclique. Symboliquement, l’œuvre s’ouvre et se referme sur l’évocation de chants d’oiseaux astucieusement suggérés par les cordes. Le dialogue avec le piano s’enrichit d’échanges touchants. L’interprétation passionnée de ce soir-là constitue évidemment une référence.
Le concerto n° 12 de Mozart, dans la tonalité lumineuse de la majeur, occupe le cœur du concert. La prestation de l’orchestre auquel se joignent deux cors et deux hautbois s’avère d’une précision et d’une musicalité exemplaires. Le tapis rouge qu’il déroule avant l’entrée du soliste constitue un modèle du genre. Il n’est rien de dire que le pianiste s’investit totalement dans une exécution extravertie, presque exhibitionniste de la partition. Tout son corps participe, parfois jusqu’à « jouer du piano debout » ! Son jeu, par instants à la limite de la violence, peut laisser dubitatif. Certes, le musiciens ne prive pas l’œuvre de nuances. Mais seulement de nuances extrêmes, fortissimo-pianissimo. La forte personnalité de l’interprète impose une vision qui, reconnaissons-le, est largement applaudie par un public conquis.
Nettement plus en situation, la Symphonie n° 29, également en la majeur, du même Mozart, referme ce concert sur une prestation riche en couleurs et en vitalité. Le premier violon Gregory Ahss dirige l’œuvre avec une attention et une implication de chaque instant. La finesse de l’introduction ouvre un Allegro moderato contrasté et intense. On admire particulièrement la grâce, toute de dentelle sonore, de l’Andante, alors que le Menuetto retrouve l’origine de la danse. C’est enfin une énergie joyeuse qui anime le final Allegro con spirito, comme joué en relief par tous les pupitres. Un grand bravo aux deux cors et aux deux hautbois pour la perfection vivifiante de leurs interventions. Ils sont d’ailleurs spécialement félicités par leur chef et premier violon Gregory Ahss. Le public ovationne les musiciens avec un enthousiasme communicatif.
Saluons enfin l’initiative de Fazil Say d’offrir au public reconnaissant un bis particulier en hommage à deux pianistes dont on vient d’apprendre la cruelle disparition. Le plus français des pianistes américains, Nicholas Angelich, si souvent invité à Toulouse, et le Roumain Radu Lupu, viennent en effet de disparaître à un jour d’intervalle. Remercions Fazil Say de dédier à leur mémoire le Nocturne n° 20 opus posthume de Frédéric Chopin, joué avec une profondeur touchante.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse