Comment parler de l’Étang d’après l’œuvre originale Der Teich (L’Étang) de Robert Walser, mise en scène par Gisèle Vienne et présentée cette semaine au Théâtre Garonne ? Avant tout, de l’honnêteté : je ne connaissais pas le travail de Gisèle Vienne, ni celui de Robert Walser. Et malgré tous les documents trouvables et tous ceux qu’on m’a gentiment fait parvenir quand j’ai annoncé que j’allais – enfin ! – retourner au Théâtre Garonne, j’ai soigneusement tout rangé, sans les avoir parcourus. Envie de ne rien savoir, ne rien lire avant la représentation. Au cinéma, j’évite au maximum de regarder les bandes annonces, de lire les synopsis d’un film, afin de préserver le plus possible le plaisir de la découverte.
L’envie de voir L’Étang vient de présence sur scène d’Adèle Haenel, dont j’admire depuis longtemps le travail au cinéma, et dont je soutiens ses prises de paroles, ses engagements. En cherchant qui l’accompagnaient sur scène, un seul nom, que je connaissais par ses collaborations avec Pina Bausch : Julie Shanahan.
La pièce s’ouvre sur une chambre d’adolescent. Souvenez-vous, à cet âge-là comme cette pièce était notre monde, notre refuge : en désordre ou rangée, posters au mur, de quoi grignoter, de la musique. Une pièce à soi, avant même d’être un lieu pour dormir. Celle de Fritz a ses murs entièrement blancs, et quasi-vide et pourtant terriblement peuplée, tourmentée, agitée. La détresse de Fritz est telle que le silence est devenue une habitude, impactant son esprit et donc son corps. Un silence qui va cesser.
Gisèle Vienne choisit de faire entendre les différentes voix du texte par uniquement les deux actrices. Adèle Haenel donne sa voix à Fritz, son ami Paul, sa sœur, ses amis, et Julie Shanahan donne sa voix aux parents. Le spectateur voit les personnages d’Adèle Haenel discuter entre eux, ou avec les adultes émanant de Julie Shanahan, dans un langage audible et propre à chaque personnage, qui se meuvent, enfants ou adultes, au ralenti. Ce qui pourrait être gênant pour la perception du spectateur montre surtout la créativité tellement intelligente de la chorégraphe Gisèle Vienne, sur la difficulté à se faire entendre, à trouver sa place dans un redoutable environnement, face aux injonctions familiale et sociétale, confrontant des points de vues contradictoires ou complémentaires. Le travail du corps des comédiennes est démentiel sans que leur diction en soit impactée. Le nombre de fois où j’ai pensé « mais comment tiennent-elles la pose ? » et « les abdos qu’elles doivent avoir ! ». Le son et les lumières nous bousculent et nous guident dans les pensées de Fritz et les géographies extérieures. Même si ma voisine de vingt-et-un ans ,qui a aimé cette pièce, a eu besoin de pauses – son regard a dû quitter la scène pour se réfugier vers le plafond, l’Étang est une tempête époustouflante, dans laquelle je suis rentrée sans réticence, et dont je suis sortie épuisée, sans quitter mon fauteuil. C’est réellement une expérience aussi déroutante, que généreuse.
Une partie des applaudissements amplement mérités – Vidéo non libre de droit, avec l’accord de la production.