Le concert du 25 mars, donné par l’Orchestre national du Capitole, devait être dirigé par Tugan Sokhiev. On sait depuis le 6 mars dernier que la démission de ses fonctions du directeur musical de la formation symphonique toulousaine a résonné comme un coup de tonnerre dans la ville rose. Le concert prévu pour le 18 mars a dû être annulé. Un chef invité a pu être engagé pour assurer la direction de la rencontre du 25. Remercions chaleureusement l’Azerbaïdjanais Fuad Ibrahimov d’avoir accepté ce défi et conservé le programme musical initialement prévu.
C’est néanmoins dans ce contexte étrange que s’est ouvert la soirée du 25 mars. Les musiciens de l’Orchestre, cette grande et belle famille musicale, ne pouvaient passer sous silence leur réaction devant cet événement douloureux. Ainsi quatre d’entre eux ont décidé d’exprimer les sentiments de l’ensemble de la formation. Le clarinettiste David Minetti, les violonistes Yves Sapir (par ailleurs délégué syndical de l’orchestre) et Edwige Farenc, ainsi que la violoncelliste Fanny Spangaro se sont donc adressé au public dès le début du concert. Non sans émotion, leurs interventions ont d’abord évoqué les souffrances du peuple ukrainien et rendu hommage à sa résistance à la tragédie que représente l’invasion russe.
Puis les intervenants ont évoqué les conséquences de cette guerre cruelle sur le monde de la culture. Ils ont tous déploré les réactions injustes par endroits à l’égard de la culture russe et en particulier de la musique et des musiciens russes. Comme cela a été dit avec force et conviction, la coexistence de diverses nationalités au sein d’un même organisme enrichit l’institution. Il a ainsi été rappelé qu’au sein de l’Orchestre national du Capitole cohabitent quatorze nationalités différentes !
Ces porte-paroles ont enfin tenu à rendre hommage à celui qu’ils considèrent toujours comme leur directeur musical, Tugan Sokhiev, et à son influence décisive sur la vie et l’évolution de l’Orchestre. L’espoir de le retrouver à leur tête reste d’actualité. Le public a chaleureusement acclamé et soutenu toutes les intervention.
Concert symbole
C’est ainsi que le programme de ce concert, élaboré des mois avant les événements actuels, associe musique française et musique russe. Debussy et Stravinsky se sont connus et appréciés. Les voici donc réunis sous la baguette de Fuad Ibrahimov, chef d’orchestre né en Azerbaïdjan. Directeur musical de l’Orchestre symphonique des étudiants Sinfonietta de Cologne entre 2008 et 2011, il est devenu en 2014, chef principal de l’Orchestre symphonique de la Nouvelle Philharmonie de Munich et chef principal de l’Orchestre de chambre de Bakou. En 2018, il a été lauréat du prestigieux Concours International de Chefs d’orchestre “Evgeny Svetlanov”.
Le triptyque symphonique intitulé poétiquement Nocturnes, de Claude Debussy ouvre le concert proprement dit. La peinture sonore, comme transcription musicale de l’esthétique impressionniste, parcourt toute cette évocation. Rendons grâce à la programmation qui permet l’écoute intégrale de l’œuvre, y compris celle du troisième volet, Sirènes, qui nécessite l’apport d’un chœur de femmes et qui souvent est oublié. L’Orféon Donostiarra, dirigé par José Antonio Sainz Alfaro, se joint à l’orchestre à cette occasion. Le poétique premier mouvement, Nuages, s’ouvre sur un tempo retenu qui s’anime peu à peu comme pour évoquer un lever de soleil. Le contraste n’est pas mince avec Fêtes qui laisse exploser l’éclat et les couleurs éblouissantes qui accompagnent le cortège. Le rêve émane enfin du dernier volet, Sirènes. La richesse des voix féminines du chœur sans paroles possède toute la séduction irisée que demande le texte musical.
Les deux suite de ballet d’Igor Stravinsky qui suivent se complètent harmonieusement en ce sens qu’elles correspondent à deux périodes très différentes du style d’écriture du compositeur. Pulcinella est un ballet néo-classique composée en 1919 sur une commande de Serge de Diaghilev. Le titre complet du ballet original, Pulcinella, ballet avec chant en un acte d’après Giambattista Pergolesi, en dit long sur les références musicales.
Néanmoins, Stravinsky emprunte aussi ses mélodies à d’autres compositeurs italiens que Pergolesi. Seulement ses mélodies car le traitement rythmique et harmonique s’avère plus complexe que celui des originaux. Le chef coordonne habilement les belles couleurs de cette sorte de musique de chambre dont l’humour n’est pas absent Saluons les nombreuses interventions solistes dont celles du hautbois, du cor, du cor anglais, de la trompette, du trombone et même de la contrebasse.
Les quatre scènes qui constituent la version de 1947 de Petrouchka, brillent de mille feux. Plutôt que d’illustrer au premier degré les intrigues entre la Marionnette, son amante la Ballerine et son rival le Maure, l’orchestre et son chef animent sous nos yeux une sorte de musique des images. La contribution de chaque pupitre s’avère capitale. Les difficultés purement instrumentales ne posent aucun problèmes aux solistes impliqués. Ainsi, Hugo Blacher, à la trompette, franchit tous les obstacles, et ils ont nombreux, avec panache. Au piano, Inessa Lecourt brille de mille feux dans ses nombreuses interventions virtuoses.
Fuad Ibrahimov n’économise pas ses félicitations à tous et à chacun. Au public et à nous tous de le remercier pour avoir ainsi sauvé ce concert menacé par les tristes circonstances extra-musicales.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole