La belle saison Toulouse Guitare, lancée avec succès dès 2017 par Thibaut Garcia, ne se contente pas de présenter au public toulousain les grands solistes actuels de l’instrument. La qualité musicale est certes toujours au rendez-vous. Mais les organisateurs de ces manifestations s’attachent à dénicher ou à imaginer de nouveaux concepts, des combinaisons inattendues. Ce fut bien le cas ce 11 mars dernier lorsque la Salle du Sénéchal a accueilli un duo étrange et stupéfiant.
Intitulé tout simplement Nocturne, la création musicale et chorégraphique de la soirée est l’œuvre de deux artistes aux incroyables talents, à la fois divers et complémentaires, présentés avec conviction par Thibaut Garcia lui-même. Le grand guitariste Antoine Morinière, lauréat de nombreux concours internationaux, est accompagné du danseur et chorégraphe Joachim Maudet qui a collaboré avec de prestigieuses compagnies internationales de danse. Leur collaboration fusionnelle génère un spectacle d’une originalité et d’une force peu communes.
Mais en introduction de leur spectacle, poursuivant la belle tradition établie dès la première saison, un jeune guitariste en formation, ici à l’IsdaT (Institut supérieur des arts et du design de Toulouse), en l’occurrence Louis Michaud, offre un mini-récital qui lui permet de se tester devant un vrai public. La sensibilité et la musicalité du jeu de Louis Michaud se manifeste dès la première pièce, Fandanguillo, de Joachin Turina, délivrée avec finesse et poésie. Dans les quatre mouvement de la Fantaisie de Malcolm Arnold, le jeune interprète épouse avec tendresse l’écriture élaborée de la pièce et intègre bien les effets sonore particuliers qui la balisent. Enfin, éloquence et nostalgie imprègnent la Suite Compostellana, de Federico Monpou qui s’achève sur un rythme de danse. L’accueil particulièrement chaleureux que lui réserve le public témoigne de l’impact légitime de son jeune talent.
Le spectacle complet qu’offrent ensuite Antoine Morinière et Joachim Maudet se déroule sur un plateau vide, devant un large rideau noir. Les deux artistes évoluent de manière fusionnelle, comme les deux composantes d’un même propos. Poésie et émotion imprègnent tout ce parcours qui parfois donne l’impression d’un va et vient entre chaos et harmonie.
La musique qui nourrit cette démarche se compose de deux ancrages « classiques » fondus dans une série d’improvisations, probablement bien planifiées, mais d’une force peu commune. Les deux références, Nocturnal, une pièce pour guitare composée par Benjamin Britten d’après un chant de John Dowland, et la version pour guitare de la fameuse Chaconne de la Partita pour violon n° 2 de Johann Sebastian Bach, jouent un rôle stratégiques dans le déroulement sonore du spectacle. La beauté des timbres, la subtilité des phrasés, la vaste palettes des couleurs que déploie Antoine Morinière confèrent un relief étonnant à son jeu.
La chorégraphie conçue et dansée par Joachim Maudet se compose de mouvements subtils et évocateurs qui ne cherchent pas à coller à la musique de manière redondante, mais à en prolonger le pouvoir expressif. Encore une fois, l’émotion est au cœur de ce projet. Certaines séquences, évocatrices de souffrance, mettent mal à l’aise. Mais la musique, tel un baume sur une blessure, ramène une certaine sérénité, comme lorsque le thème principal de la Chaconne s’élève enfin au-dessus de l’inquiétude des improvisations.
Les interactions entre les deux acteurs génèrent quelques intenses moments d’extrême sensibilité. Le danseur, comme pour le consoler étreint le musicien, pose sa tête sur son genoux ou le déleste de sa guitare. La maîtrise de la lumière joue également un rôle fondamental. La lumière et les ombres qu’elle produit. Parfois, l’éclairage général, particulièrement bien utilisé, disparaît au profit de celui que les acteurs eux-mêmes produisent à l’aide de lampes torches.
Paradoxalement, le spectacle s’achève sur le retour de la musique de Britten/Dowland alors que la guitare a été volontairement désaccordée par le danseur… L’obscurité totale envahit enfin la salle comme pour offrir enfin l’apaisement.
On l’aura compris, l’imagination la plus fertile a permis ce soir-là la création d’un objet sonore et visuel non identifié, un OSVNI en quelque sorte ! Merci à Toulouse Guitare pour la découverte.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse