Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Underground d’Emir Kusturica
En 1995, Emir Kusturica obtient sa seconde Palme d’or avec Underground dix ans après Papa est en voyage d’affaires. De quoi faire entrer le cinéaste né à Sarajevo en 1954 dans l’histoire du cinéma. Mais ce film-fleuve de près de trois heures (une version longue pour la télévision compte six épisodes de cinquante minutes) ne vaut pas que pour sa consécration cannoise tant il synthétise l’art de Kusturica qui retrace ici une part de l’histoire de son pays natal.
Avril 1941, Belgrade est ravagée par les bombes nazies. Marko et Blacky, deux amis, profitent du chaos pour mener quelques trafics tout en combattant à l’occasion contre l’occupant allemand. Marko convainc Blacky et d’autres de leurs proches de se cacher dans une gigantesque cave. A la fin des hostilités, Marko, devenu un héros de la résistance communiste et un proche de Tito, persuade ses amis de rester terrés en leur affirmant que la guerre se poursuit à la surface. Le mensonge va durer de longues années tandis que Marko a refait sa vie avec la compagne de Blacky et qu’il a prospéré dans l’affairisme…
Requiem pour un pays perdu
Tourné alors que la guerre faisait encore rage en Bosnie et présenté à Cannes tandis que les accords de Dayton n’avaient pas scellé la paix en ex-Yougoslavie, Underground a suscité de vives polémiques notamment de la part de gens qui ne l’avaient pas vu. Sans prendre partie en faveur de l’un des belligérants dans le complexe conflit alors en cours, le film rappelait toutefois des vérités oubliées, comme l’accueil triomphal fait en 1941 aux nazis en Slovénie et en Croatie quand Belgrade était dévastée.
Le plus important est cependant ailleurs dans Underground dont la démesure et la mise en scène portent la marque de son créateur. Avec ou dépit de ses influences (Fellini, Garcia-Marquez, Homère…), Kusturica a créé un monde plein de fanfares, de mariages, d’animaux, de personnages défiant la loi de l’apesanteur, de fleuves et de rivières… Burlesque, tragique, féérique, onirique, poétique, le film – métaphore sur le mensonge et la propagande (« Le communisme était une cave immense ») – regorge de scènes inoubliables.
Sa dernière partie, qui se déroule dans les années 1990, est la plus cruelle et la plus lumineuse. Blacky, à la recherche de son fils disparu, mène sa propre guerre au sein de celles qui déchirent l’ex-Yougoslavie. Un vieil homme et son singe sont quant à eux à la recherche d’une famille et d’un pays qui n’existent plus. Lors de la sublime scène finale, on retrouve tous les personnages, les vivants et les morts, figés dans leur éternelle jeunesse, festoyant sur un morceau de terre qui se détache du continent. Poignant requiem pour un pays perdu.
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