Le 26 février 2022, la Halle aux Grains retrouve pour la quatrième fois, à la tête de l’Orchestre national du Capitole, le jeune chef d’orchestre allemand Thomas Guggeis. Un grand pianiste, authentique Toulousain célèbre dans le monde de la musique, Bertrand Chamayou, participe ce soir-là à la création mondiale d’un concerto d’un autre grand Toulousain, le jeune compositeur et violoniste Benjamin Attahir. Sous le thème « Andalousie, Andalousie », le programme fait en outre la part belle à l’Espagne authentique de Manuel de Falla comme à l’Espagne rêvée de Claude Debussy.
Le célébrissime Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude de France ouvre la soirée sur la poésie pure d’une partition inspirée de Stéphane Mallarmé. Il suffit des quelques notes de la flûte a capella pour susciter dans chaque esprit, dans chaque cœur, le rêve le plus évanescent. L’art du phrasé et la suave sonorité de la soliste, excellente Sandrine Tilly, déclenche ce départ vers un monde de sensualité et de beauté. Toutes les couleurs de notre orchestre semblent conçues pour une telle œuvre qui figure à l’évidence dans son répertoire le plus authentique. Le chef suscite avec subtilité les crescendos multiples qui animent cette succession d’images d’ivresse et de repos. Saluons également toutes les interventions solistes, notamment celles du hautbois (Louis Seguin), du cor (Jacques Deleplancque) et du violon (Kristi Gjezi). Une profonde respiration amène doucement vers un silence conclusif clairement habité.
La création mondiale de l’œuvre de Benjamin Attahir, qui suit cette exécution, provoque un contraste de première grandeur. On connait bien à Toulouse le talent original et imaginatif de ce jeune compositeur qui semble inventer pour chacune de ses pièces un nouveau mode d’expression. Le concerto pour piano en création ce soir-là est clairement conçu pour Bertrand Chamayou qui avait déjà joué le premier concerto du compositeur. Intitulée Khatoun Wahidoun, ce qui signifie « D’un seul trait, d’une seule ligne », cette nouvelle partition associe un grand orchestre auquel le piano semble montrer la voie (ou la voix ?). En outre l’écriture pianistique possède une particularité stupéfiante. Le compositeur s’est imposé de transformer le piano, au caractère éminemment polyphonique, en instrument monodique ! Comme l’indique le compositeur lui-même dans le programme de salle : « Jamais deux marteaux ne mettent des cordes en vibration simultanément ». Ainsi le soliste ne joue jamais deux notes à la fois. Et pourtant l’impression de foisonnement sonore domine. Benjamin Attahir compte simplement sur l’époustouflante virtuosité de son interprète pour jouer sur la vitesse d’exécution.
Cette exceptionnelle vélocité crée une sorte de polyphonie « simulée ». L’extrême densité de l’écriture résulte en une proclamation musicale pleine d’angoisse, de violence même, qui tient l’auditeur en haleine et ne le lâche pas. La tension reste à son maximum du début à la fin, dans la débauche d’un rythme implacable. L’orchestre, lui aussi particulièrement virtuose et mobile, prend toute sa part à la réussite de cette création. Ce n’est qu’au dernier accord que l’on respire enfin ! Benjamin Attahir, évidemment présent dans la salle pour cette création, rejoint les interprètes sur l’estrade, les remercie chaleureusement et reçoit une belle acclamation.
Très bien accueillie, Khatoun Wahidoun démontre que la nouveauté ou l’audace ne sont pas des obstacles à la popularité d’une œuvre. Les acclamations adressées aux artisans de cette création, le compositeur, le chef, le soliste et l’orchestre, le prouvent. Bertrand Chamayou, très applaudi, offre un bis qui annonce le caractère espagnol de la suite du concert. Il confère toute sa palette de couleurs à la fameuse pièce Alborada del gracioso, de Maurice Ravel.
Toute la seconde partie de la soirée baigne donc dans l’évocation de la péninsule ibérique. Extrait des Images pour orchestre, de Claude Debussy, le triptyque Ibéria donne de l’Espagne un portrait rêvé par le compositeur qui n’y a jamais mis les pieds ! Thomas Guggeis confère au premier volet « Par les rues et par les chemins » une étonnante énergie survitaminée. Signalons que les échos d’un feu d’artifice inopportun tiré tout près de la Halle pour la 13e édition du gala de l’école d’ingénieurs ENSEEIHT ont quelques peu perturbé l’exécution et l’écoute de ce premier mouvement ! Toujours est-il que « Les Parfums de la nuit » qui suivent se révèlent plus dynamiques que poétiques, alors que « Le matin d’un jour de fête » explose (!) enfin d’une joie sans limite.
L’Espagne authentique de Manuel de Falla conclut le concert sur la Suite n° 2 tirée de son ballet Le Tricorne. Dès la Danse des voisins, le brio évident de l’orchestration ne masque pas la finesse du rythme. Après une Danse du meunier dirigée avec un relief particulier, la Danse finale charrie une jubilation communicative à laquelle participe, une fois encore, la qualité des nombreux solos instrumentaux.
Aux applaudissement nourris qui saluent cette prestation joyeuse, Thomas Guggeis répond en félicitant un à un les musiciens solistes ainsi que l’ensemble de l’orchestre. Une collaboration qui marche.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole