Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
Nul besoin d’encombrer les librairies chaque année avec des produits calibrés et jetables pour marquer les esprits. Mieux vaut un livre-culte que des livres dispensables et interchangeables. La preuve avec Guillaume Clémentine apparu lors de la rentrée littéraire de 1998 avec son premier – et unique à ce jour – roman publié au Serpent à plumes : Le Petit Malheureux (réédité en poche en 1999). Contrairement à ce que pourrait laisser supposer le titre (clin d’œil au Petit Ami de Léautaud), il s’agit là d’une véritable potion jubilatoire. Décidé à ne pas persécuter son âme d’enfant ni ses rêves, le narrateur refuse le travail quand les autres comptent leurs points de retraite en choisissant leurs devoirs culturels dans Télérama.
Cet anar, allergique à « un monde de non-fumeurs et de buveurs d’eau, mollasse et résigné, coupable de modération et soumis au conformisme puritano-parpaillot », préfère la lecture de Léautaud à celle du Monde Diplomatique et vit « avec le secret espoir d’une fin rigolote » qui consisterait à brûler la Bourse et les voitures des soixante-huitards devenus patrons. Quand la vie moderne offre « le partage collectif du pire avec des gens qu’on n’a pas choisis », il retrouve ses vieux copains : « Saoulés de femmes et d’alcool, nous en arrivons alors à croire au bonheur et à notre éternelle jeunesse ».
Quelque chose de tendre
On pêche dans ce manuel de savoir-survivre de jolies définitions de l’amour (« ne rien dire du tout, ensemble dans un silence partagé, ce silence enfin voulu, enfin désiré ») comme du sexe («quelque chose de tendre qui s’encanaille avec le temps, à force de le faire et d’en parler »). Il y a encore une profession d’espérance destinée aux dilettantes, aux rêveurs et aux francs-tireurs refusant d’abdiquer face au peu d’avenir que portent les temps où nous sommes : « On est saisi d’une furieuse envie de sauter, mais il est toujours quelque chose ou quelqu’un pour vous retenir : une jeune fille qui passe et repasse à l’heure des couchers de soleil sur la Seine, affolante dans sa jolie robe à fleurs, une partie de belote, le prochain Tour de France, un bon bouquin, revoir La Dolce Vita, sans parler du RMI qui continue de tomber, tous les mois. On a envie de voir la suite… »
Le Petit Malheureux • Le Serpent à Plumes