Le retour à Toulouse du grand chef japonais Kazuki Yamada et du jeune et talentueux violoniste tchèque Josef Špaček a célébré l’hommage rendu à cette Seconde Ecole de Vienne, source d’un renouveau musical à l’aube du XXème siècle. Arnold Schönberg et Alban Berg démontrent la richesse de leur démarche dans le programme de ce concert du 11 février, défendu avec ardeur par l’Orchestre national du Capitole et leurs invités.
Les liens particuliers qui se sont tissés entre les musiciens de l’Orchestre et Kazuki Yamada ne cessent de se développer au cours des visites du dynamique chef japonais. Avec ce programme consacré à deux compositeurs encore trop rarement présents dans les salles de concert, cette belle entente musicale semble avoir franchi une nouvelle étape.
Le jeune violoniste Josef Špaček s’est déjà produit à Toulouse avec grand succès en mars 2018 et mars 2020, comme soliste des concertos d’Antonin Dvořák et de Max Bruch. Voici qu’il aborde ce soir du 11 février l’unique concerto pour violon et orchestre d’Alban Berg, une œuvre particulière par son écriture et sa motivation. Rappelons que cette partition suit un événement dramatique, la mort soudaine en 1935, à l’âge de 18 ans, de Manon Gropius, fille d’Alma Mahler et du grand architecte Walter Gropius. Cette disparition affecta profondément l’ami du couple, Alban Berg.
Celui-ci décida alors de donner à son concerto déjà en chantier, le caractère d’un requiem à la mémoire de la jeune fille. Intitulée « A la mémoire d’un ange », cette œuvre sensible et émouvante, achevée dans les derniers mois de vie du compositeur, développe un langage clairement imprégné des caractéristiques de la musique nouvelle mise en chantier par Schönberg. Atonale, sérielle et dodécaphonique cette partition n’en développe pas moins une sensibilité d’une insondable profondeur. Un orchestre fourni, dense et néanmoins d’une remarquable transparence accompagne un violon solo source d’émotion. La prestation de Josef Špaček révèle une profondeur expressive touchante aussi bien dans les éclats de révolte, parfaitement maîtrisés, que dans la plainte retenue et toujours pudique. La richesse de sa sonorité lui permet de s’épanouir en particulier dans les cadences et notamment dans un déploiement technique impressionnant mais sans ostentation. Admirons ce toucher qui mêle le jeu d’archet et ces redoutables pizzicati simultanés de la main gauche ainsi que la beauté des passages en harmonique ! A la suite des paroxysmes orchestraux si brillamment maîtrisés, l’émotion est à son comble lorsque s’élève finalement le thème bouleversant et pourtant si paisible du choral de Bach « Es ist genug » (C’est suffisant). Un long, très long, silence de la salle accompagne le sublime et redoutable trille final qui se prolonge jusqu’au néant. L’acclamation du public est à la mesure de l’émotion que l’on doit d’abord au compositeur, mais aussi au soliste, au chef et à l’orchestre. Les interprètes ne proposent légitimement aucun bis qui pourrait « polluer » l’émotion ainsi délivrée…
Le poème symphonique Pelléas et Mélisande, d’Arnold Schönberg, qui complète ce programme, s’avère d’un tout autre caractère. Cette œuvre de relative jeunesse, inspirée par le drame de Maurice Maeterlinck, ne renie pas l’héritage du postromantisme, prolongeant Gustav Mahler ou Anton Bruckner dans le traitement d’un orchestre opulent et généreux, à l’image de Richard Strauss, le maître du poème symphonique. Si quatre sections structurent cette vaste partition, la continuité musicale est de rigueur. En outre, Schönberg reprend à son compte le principe du leitmotiv wagnérien. L’auditeur peut donc suivre le déroulement du drame qui suit la trame utilisée notamment par Claude Debussy dans son opéra éponyme. Notons d’ailleurs qu’il ne fut pas le seul à s’inspirer de la pièce de Maeterlinck. Sibelius, Fauré l’ont notamment illustrée.
Kazuki Yamada maîtrise le déferlement orchestral de l’œuvre avec dynamisme et ardeur. Des tutti explosifs aux subtilités retenues, la tension ne se relâche jamais. Les sonorités des pupitres de cordes, des vents et des percussions se complètent sans domination excessive. Saluons toutes les interventions solistes, parfaitement exécutées, aussi bien par les cordes (en particulier le violon solo Kristi Gjezi et l’alto solo Bruno Dubarry), que par les vents qu’il faudrait tous citer !
L’accueil triomphal réservé par le public s’adresse d’ailleurs autant à la direction qu’à l’ensemble de l’orchestre auquel Kazuki Yamada rend un hommage vibrant. Réciproquement, les musiciens ne se privent pas d’acclamer leur chef invité décidemment « at home » à Toulouse.
Gageons et espérons que nous reverrons à Toulouse les deux acteurs motivés et motivants de cette belle soirée.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole