Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Mon oncle de Jacques Tati
En seulement cinq longs-métrages entre 1949 et 1971 (Jour de fête, Les Vacances de monsieur Hulot, Mon oncle, Playtime et Trafic), Jacques Tati a raconté mieux que quiconque le passage de la France encore rurale de l’après-guerre à celle des Trente Glorieuses, de l’urbanisation, de la société de consommation et d’une modernité déshumanisante. Ce n’est cependant pas en historien ou en sociologue que l’acteur, metteur en scène et scénariste a œuvré, mais en poète et en visionnaire.
Prenons ainsi Mon oncle sorti en 1958 et dans lequel Tati retrouve son personnage de monsieur Hulot, rêveur dégingandé et décalé, reconnaissable à son chapeau, sa pipe inamovible et son imper. La sœur de notre héros, madame Arpel, demande à son mari, cadre d’une entreprise spécialisée dans la fabrication de tuyaux en plastique, de le faire embaucher tandis qu’elle-même se charge de trouver une compagne à ce célibataire qui préfère jouer avec son jeune neveu. Or, ce savant programme ne va pas produire les effets escomptés…
Hulot contre les robots
Mon oncle met en scène de façon burlesque la confrontation entre l’ancien et le moderne. Hulot roule sur son Solex pétaradant tandis que les voitures envahissent tout, il vit dans un vieux quartier d’un faubourg populaire – où l’on flâne, où l’on parle, où l’on perd son temps – tandis que les non-lieux prospèrent. A ce titre, la villa des Arpel est un véritable personnage du film. Tout y robotisé, automatisé, aseptisé. Le moindre imprévu peut néanmoins dérégler ce cauchemar climatisé. Tati met en exergue l’envahissement des existences par la technique, la rationalisation, l’américanisation, l’uniformisation, et l’antidote au règne des machines se nomme Hulot.
Indifférent aux conventions sociales, il est une sorte de séditieux malgré lui cultivant l’esprit d’enfance et la candeur. Ses déambulations n’ont en général pas de but précis, sinon le plaisir de la rencontre et de l’imprévu. Nulle surprise donc qu’il soit plus en harmonie avec les enfants et les animaux qu’avec les adultes et les gens responsables. Il n’y a pas d’intrigue dans Mon oncle, juste des tranches de vie pleines de burlesque et de fantaisie. Les sons et les bruits l’emportent souvent sur les dialogues, la parole s’efface dans ce monde où « tout communique », comme le martèle madame Arpel, mais où l’on n’a plus rien à se dire. Et c’est ainsi que Tati est grand.
photo : © Les films de Mon Oncle