Vincent (Fabrice Éboué) et Sophie Pascal (Marina Foïs) tiennent une boucherie familiale qui, comme leur couple, ne va pas fort. Elle est la cible d’une action végane, et quelques jours plus tard, Vincent reconnaît l’un des militants, et l’écrase accidentellement. Pour se débarrasser du corps, il le découpe dans son établissement. Le lendemain, Sophie confond ce qu’il en reste avec un jambon, et le sert à leur clientèle, qui le redemande, tellement il est délicieux. Vincent informe Sophie sur la nature du « jambon » : elle lui suggère de continuer à en vendre, afin de sauver la boutique, et leur couple.
Après Coexister, Fabrice Éboué revient à la réalisation avec cette comédie savoureuse. Écriture, interprétation de tous les acteurs, réalisation, tout concourt à la réussite de ce film. Présent lors du dernier Fifigrot, voici l’entretien sur les différentes étapes de création avec Fabrice Éboué.
Commençons par l’écriture. Écrivez-vous tout ce que vous voulez, ou pensez-vous déjà aux galères possibles au tournage « cette scène sera trop compliquée à tourner, j’enlève » ?
Il n’y a pas eu de scène écrite qui ait été enlevée pour cette raison-là. Même en termes de « est-ce qu’on va trop loin ? » sur l’écriture, je ne me censure jamais. Ensuite, arrive le moment où on regarde ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. Au bout d’un moment, on sait dans quelle économie on tourne, et Barbaque n’est pas une superproduction américaine.
Mais il est même arrivé que la production nous dise « on ne rentre pas dans le cadre du budget, comment peut-on faire ? On peut le simplifier ? » Ce qui m’intéresse en premier, c’est l’artistique. Mais il ne faut pas se leurrer : on fait un métier où on dépend de partenaires financiers ou autres. On doit faire des films qui rentrent dans un cadre, sinon, faut écrire des romans : pas de limitation de budget avec les livres.
Aviez-vous en tête l’éventuelle « interdiction aux moins de » ? Barbaque est interdit aux moins de douze ans.
Avec une interdiction aux moins de seize ans, je pense que le film aurait fini sur une plateforme : la programmation en salles n’est pas la même, ça n’aurait pas été une économie viable. Faire un film français interdit aux moins de seize ans, à moins d’être sur une niche très particulière ou d’avoir une Palme d’Or qui permet d’être beaucoup acheté à l’étranger, c’est un circuit complètement différent. Je fais une comédie, pas un film d’horreur ou un film jusqu’au-boutiste comme celui de Julia Ducornau. Mon objectif est que les gens viennent rire de douze à illimité, et je pense que des adolescents vont beaucoup rire à ce film. Je trouve malgré tout que l’interdiction aux moins de douze ans est justifiée : un enfant de neuf ans n’a rien à faire dans la salle. Tout est parfait.
Dans votre spectacle Plus rien à perdre, vous abordiez déjà la thématique des végans.
C’est venu d’une discussion avec ma nièce qui m’a lancé « t’as pas honte de manger des fœtus ? » quand je me préparais des œufs au plats. Je lui ai fait remarquer que ce n’était pas des fœtus mais des œufs, que ce n’était pas pareil. Elle m’a dit que si, c’était pareil, et j’ai répondu « je ne pense pas que quand un médecin pratique un avortement, il attende avec son jus d’orange et ses mouillettes ». Ma mère a ri, et c’est en effet devenu un sketch. De là, ça a donné une première version de scénario qui prenait le point de vue végan : un groupe de végans, un peu dans le style des trois complètement barrés qu’on voit dans leur fourgonnette dans le film, avait pour objectif de faire un attentat au Salon de l’agriculture. Ce premier scénario était intéressant, mais il permettait de raconter moins de choses, d’un point de vue « philosophique », que celui final.
Le véganisme est de fait une forme de radicalité « je ne touche plus à rien qui vient de l’animal », mais c’est aussi un discours qui pointe du doigt certaines choses : la consommation de masse de viandes, qui arrive au bout de toute façon ; le rapport à l’animal avec l’élevage, l’abattage. Je mange de la viande, mais on sait qu’on est à un tournant où on a va devoir changer nos habitudes de consommation, sans forcément devenir végans, pour équilibrer notre monde. Un discours représenté par une frange un peu radicale, mais qui doit être entendu pour nous faire progresser aussi. Je ne fais pas de films à charge, et ce qui est amusant ici, c’est que ce soit Marina Foïs, déguisée en végane, qui tienne le discours provégan. Je voulais cette partie où elle donne l’argumentation, qui est aussi intéressante.
Qu’est-ce qui a été le plus dur à l’écriture ?
Trouver le bon thème, trouver le bon ton. Il y a évidemment la question végane, mais si on le présente comme une comédie romantique, c’est une histoire de couple : un couple qui se reforme avec un homme qui retrouve sa virilité vis-à-vis de sa femme. J’entends que cet homme est totalement étouffé au départ du film, sa femme l’écrase totalement, et par le meurtre, il va retrouver son instinct primaire et son instinct animal, et redevenir Le mâle. J’espère que les spectateurs perçoivent que c’est un film qui parle de virilité. Il y a deux thèmes qui sont très actuels : notre rapport à la consommation animale, quelle qu’en soit son idée ; mais aussi le rapport homme/femme et la virilité. Je ne dis pas qu’il faut tuer pour redevenir un homme, et je trouve que ça ne fait pas de mal, toute exagération gardée dans un cadre législatif, de retrouver ce qu’on est fondamentalement.
Il y a aussi les tueurs en série. Dans Coexister, l’imam bien chelou François Georges avait déjà un bon nom…
Oui, on s’est amusé avec l’idée que les tueurs en série peuvent avoir des prénoms comme noms de famille. Je ne vais pas dire que les tueurs en série, c’est ma passion, c’est toujours bizarre de dire ça, mais le fait divers a pris une telle ampleur aujourd’hui, comme les couvertures du procès Daval avec carrément les spots sur les chaînes d’infos pour nous prévenir « la suite de Daval, ce soir à telle heure ». Sur toutes les plateformes, on voit bien que les gens sont friands de toutes les émissions, comme celles sur le petit Grégory, qui sont bien faites. C’est marrant cette passion pour le morbide, je crois que les réseaux sociaux y participent.
Christophe Hondelatte a-t-il accepté facilement de participer à votre projet ?
Il a beaucoup de recul, c’est vraiment cool. Il a accepté tout de suite, il était content de le faire. Quand il a vu le film, il était super content du rôle qu’on lui a donné. C’est un clin d’œil mais cette émission est devenu un tel monument. Rares sont les émissions qui sont connues de quatorze ans à plus. Je ne dirais pas que tout le monde s’y retrouve, mais tout le monde connaît le ton, le style avec cette façon de raconter. Et même s’il a été remplacé par la suite, l’émission Faites entrer l’accusé, c’est Christophe Hondelatte, et plus que ça : le fait divers en France et les tueurs en série, c’est associé à Christophe Hondelatte, comme un symbole de l’histoire sordide.
Avez-vous hésité à intégrer sa phrase « à aucun moment vous n’avez envisagé que cette viande dans le frigo soit votre mère ? »
Non, car les fans de l’émission y penseront forcément. C’était tellement jouissif pour moi de réécrire, d’inventer des histoires qui sont, pour ceux qui connaissent l’émission, des petites touches prises par-ci par-là, comme avec la couturière de Béthune qui fait référence à certains faits divers qui ont réellement existé. À chaque fois je vais chercher, je mélange les formulations, les références. Ceux qui s’intéressent à la chose ont dû en capter quelques-unes.
Passons au tournage : le plus dur, comme acteur et comme réalisateur ?
Comme acteur, la réponse est facile : dès la première scène où j’ai dû couper de la viande, je me suis coupé le doigt. Donc, on a vite pris la décision que je ne couperai plus. Toutes les scènes en plans serrés et aussi celles avec des coupes rapides, ce sont les mains d’un vrai boucher. C’est un métier, et ce n’est clairement pas le mien.
Comme réalisateur, c’est la scène très sanglante dans la chambre froide. Heureusement que j’ai John Waxxx qui a quasiment co-réalisé avec moi, avec qui je bosse depuis longtemps, et qui a fait le film Tout simplement noir avant.
C’est une vraie scène d’action, qu’il faut rythmer. Placer les caméras comme il faut dans un espace réduit, c’est un art. À la base, je ne suis pas un homme d’images, mais là, il s’agissait en plus d’aller vite… Je pense qu’il y a deux cerveaux qui sont totalement différents : le cerveau littéraire, qui est le mien, avec une facilité à raconter les choses et à les mettre en ordre ; et le cerveau de la géométrie de l’espace, qu’ont les gens d’images, et c’est pour ça que John bosse avec moi. On s’est inspiré d’une scène, vous l’avez reconnue ?
La scène très sanglante de Once upon a time… in Hollywood
Bravo ! Cette scène était très compliquée, à faire en peu de temps pour des raisons de budget. Quentin Tarantino le fait évidemment avec beaucoup plus de moyens. Mais pour nous, les scènes ont dû être tournées en deux jours, très vite, faut enchaîner avec ce plan-là, ne pas oublier celui-ci parce que c’est un décor qui va mourir le lendemain. Ce sont les scènes les plus risquées, les plus dures.
Depuis Case départ, qui pour un premier film avait de la gueule, Le Crocodile du Botswanga, Coexister, et je vois une progression dans l’écriture et dans la réalisation.
Merci beaucoup. Case départ avait la force d’un premier film, c’est-à-dire la naïveté, le fait de ne pas calculer les choses et d’être dans un moment où on est là vraiment pour rire et passer un bon moment. Plus j’avance dans mes films, plus ils me ressemblent aussi. Plus vous avez la chance de faire des films qui ont fonctionné, plus on vous laisse carte blanche. Je viens d’un cinéma, du moins celui que j’apprécie, qui est considéré comme assez radical, que ce soit des réalisateurs américains comme Sam Peckinpah, ou des réalisateurs français assez jusqu’au-boutistes ou iconoclastes comme Joël Séria que j’aime beaucoup, mais ils font un cinéma très personnel. J’adore aussi le cinéma du Dogme. Et c’est vers ça que je veux tendre parce que je crois qu’il y a deux façons d’être un artiste : soit à un moment on devient un peu esclave de ses succès et on veut refaire la même chose pour être dans le chiffre ; soit on veut aller vers quelque chose de plus en plus personnel, peut-être moins grand public, mais qui va nous ressembler et nous permettre d’aller au bout de notre quête d’artiste.
Vous avez quand même toujours un problème avec la bite, ou est-ce votre quête artistique d’aller plus loin avec elle à chaque film ?
Ah oui, c’est vrai (rires). La grosse bite dans Case départ, et petite dans Le Crocodile… mais dans Coexister, c’était quoi ?
Le dérapage à la circoncision…
Ah oui ! Déjà une bite était coupée. Effectivement, c’est assez incroyable et c’est très intéressant d’en parler, il y a peut-être quelque chose à régler, d’autant que j’ai eu des soucis de santé vis-à-vis de ça, que je raconte dans mon spectacle.
Le budget et le timing serrés vous ont-ils permis une part d’improvisation sur le plateau ?
J’ai eu la chance d’avoir une Rolls avec Marina Foïs. Elle maîtrise évidemment à fond sa partition, c’est une grande femme de plateau qui m’a aussi permis de progresser dans mon jeu et d’aller vers quelque chose où je ne savais pas si j’allais être capable de le faire. C’est intéressant d’essayer en permanence, d’être dans la recréation du texte. On sent les acteurs qui sont en récitation, et on a essayé de ne pas du tout l’être. On avait un texte où on savait ce qu’on devait dire, avec une vanne qui tombe souvent au cordeau. Mais sorti de ça, on réinvente le texte à chaque séquence, et avec quelqu’un comme Marina Foïs, c’est à chaque fois plus facile.
Donc, il n’y a pas eu beaucoup de prises : une fois qu’on a ce qu’on veut, on l’a. Sur Coexister, j’avais en permanence cinq ou six personnages, et c’était donc plus compliqué, puisqu’il fallait à chaque fois faire le tour avec chacun. Là, c’est un film qui repose beaucoup sur le duo, donc on était plutôt pas mal, dans le sens où on enchaînait les prises assez vite. Le tournage a été très fluide.
Où prenez-vous le plus de plaisir : l’écriture, la réalisation, le montage ?
C’est amusant parce que chaque step m’intéresse parce que c’est un processus de création. Quand on a vu le film cent-cinquante-deux fois, qu’on est à l’étalonnage ou au mixage son, je ne vous cache pas qu’on pense plutôt « ça commence à bien faire », mais l’écriture est ma passion première. Là, je suis en création spectacle, c’est la même chose. L’écriture est le moment le plus difficile, de souffrance et de remise en question, mais c’est aussi le moment le plus passionnant : on ne sait pas où on va, on rajoute des choses, on en enlève. C’est là où on trouve l’équilibre. C’est tellement jouissif quand on se dit « là, on tient quelque chose ». Puis on passe au deuxième step avec le repérage et on trouve autre chose. Puis vient le casting, et en faisant répéter les comédiens, on trouve encore autre chose. Le film grandit à chaque fois, on ajoute et on enlève, même sur le tournage. Cette phase de création est vraiment géniale, et elle est permanente.
Beaucoup de scènes ont-elles été coupées au montage ?
Non, toujours à cause du budget. J’ai tourné Case départ en huit-neuf semaines, là je suis à six semaines, alors que c’est la première fois que j’allais utiliser des effets spéciaux avec des gens qui se font abattre, avec des cascades, des impacts, des décors. Avec un tel rythme, on n’a pas le droit d’avoir un acteur qui bégaie.
Et une fois montées, des scènes ont-elles manqué ?
Non, on n’a pas eu ça. Ah si, en fait ! On a dû retourner trois mois plus tard cette scène où mon personnage vient saccager la boucherie de son « pote ». Au départ, j’avais pensé que l’ellipse suffisait quand on les retrouvait en train d’en discuter, et je me suis aperçu en regardant le film que ça manquait cruellement. Cette partie apparaît en caméra de surveillance.
Quel était le budget du film ?
Un budget tout à fait raisonnable, avec 4 millions et demi. Je sais qu’en France, on ne parle pas d’argent, mais du nombre d’entrées, alors que je pense qu’on devrait aussi aborder cet aspect-là parce que dire « il a fait tant d’entrées » sans parler du budget, ça n’a pas de sens.
Vous faites une tournée d’avant-premières, quels retours avez-vous ?
J’ai fait l’Étrange Festival à Paris où des végans m’ont attendu à la sortie pour me dire qu’ils avaient adoré le film. J’avais des végans parmi l’équipe de techniciens qui ont adoré l’aventure, sauf tourner trop en boucherie où pour eux, c’était des moments un peu compliqués, et au delà de ça, ils ont évidemment très bien fait leur métier. Je fais des films avec des sujets qui peuvent sembler houleux pour certains, mais les gens ont du recul et de l’humour.
Pour plus d’informations, lire le dossier de presse avec l’interview de Marine Foïs.
Merci au Fifigrot d’avoir permis cette rencontre, avant que le film soit présenté en avant-première au Gaumont Wilson, qui a mis les petits plats dans les grands. Le film a été projeté à 22h45, donc pour le débat, la salle était toute calme, mais Fabrice Éboué a discuté avec un « spectateur particulièrement indiscipliné », en la personne de M. Jean-Pierre Bouyxou. Et ça, punaise, ça fait plaisir. Parce que depuis le Dictateur Jean Dujardin, la Grande Prêtresse Blanche Gardin et l’Inquisitrice Sylvie Pialat, le jury n’est composé que d’une seule personne. Donc, que deviennent Jean-Pierre Bouyxou et Noël gloup-gloup Godin, membres du Jury à vie ? Bé ils viennent toujours assister aux projections, même à celles de 22h45, et participent aux débats. Des bises à vous deux et à Sylvie !
Merci aussi à Apollo Films, distributeur du film, d’avoir laissé sur les visuels du film le logo du Fifigrot, alors que le film n’était pas en compétition, et que certains distributeurs qui ont des films primés ne souhaitent pas le mettre. Apollo Films avait déjà joué le jeu avec Selfie, couronné par le dictateur Jean Dujardin.
Barbaque, de Fabrice Éboué est actuellement en salles.
Toutes les séances : https://bit.ly/Barbaque