« La libéralisation des esthétiques est un prélude à la libéralisation de l’humanité. » Archie Shepp
C’est parti pour un mois dès le 17 septembre. Voilà trente ans naissait à Cahors le Printemps de Cahors qui migrait au bout de dix ans sur Toulouse pour devenir le Printemps de Septembre. Dédiée à la création contemporaine, la manifestation fondée par Marie-Thérèse Perrin est à 100% gratuite, a lieu tous les deux ans, et pour cette édition, retardée d’un an, nécessite près de trente lieux d’exposition livrés à une cinquantaine d’artistes. C’est la cinquième et dernière de son Directeur artistique Christian Bernard.
Gérard Fromanger, De toutes les couleurs, peinture d’Histoire, 1991-92. Décédé le 18 juin 2021, à l’âge de 81ans, l’artiste est associé à la figuration narrative, qui accompagna les combats de l’extrême gauche dans les années 1960 et 1970. Celui qui avait “le doigt sur le pouls du monde“, qualifié d’activiste de nature et activiste de peinture, a en ce lieu cette vaste toile accrochée que vous pourrez détailler à loisirs.
Nous sommes chez Trentotto, nouveau lieu d’exposition, sorte de point d’ancrage, où l’on présente une partie des artistes invités. Les travaux d’Antoine Bernhart sont exposés dans un cube bleu à l’entrée interdite au moins de 18 ans, et on comprend pourquoi ! Pas la peine de s’y attarder pour prendre le thé.
Il vous faudra être bien équipé en chaussures de marche car les lieux occupent différents secteurs de la ville sans parler de quelques-uns hors les murs. Pour certains lieux, c’est un seul artiste qui est mis à l’honneur, des monographies comme Luisanna Quattrini à la Galerie Jean-Paul Barrès, Christian Lhopital à la Galerie Le Confort des étranges, Kiki Kogelnik au BBB Centre d’art, Adrien Dax et l’activité surréaliste à Toulouse à la Galerie d’Ombres blanches. Ailleurs, ce seront des polygraphies de deux à plusieurs artistes. Très original aussi, les “expositions de rencontres“ impliquant deux ou trois artistes qui conçoivent leurs propositions les uns par rapport aux autres dans un dialogue d’œuvres en situation.
Ne cherchez pas quel est l’artiste qui pourrait vous expliquer vouloir « dialectiser le travail, l’œuvre, l’action et la forme-art elle-même, afin de rompre leurs agencements dominants », cela ne vous serait d’aucun confort pour apprécier son travail !
Le petit guide vous éclairera aussi sur ce qu’il nomme les trois familles d’artistes contemporains, et qui ont été baptisées comme suit : Poursuivre et commencer, La Folle du logis ou l’insistance du rêve et Le Heurt du réel. Vous pourrez alors vous amuser à savoir dans quelle famille devrait se retrouver tel ou tel travail qui vous interpelle au cours de vos périples. On vous conseillera de faire la Rive droite, puis la Rive gauche, puis tout le reste !!!
Cette ultime édition a pour titre, Sur les cendres de l’hacienda. Le petit guide, indispensable, distribué gratuitement vous explique judicieusement le pourquoi d’un tel titre disons, interrogatif, tout autant que les deux précédents. La manifestation constitue toujours un vaste carrefour où se rencontrent des thématiques ayant trait à toutes les formes d’expression, que ce soit la peinture, la sculpture, les arts visuels, photos, vidéos et autres usages du sonore, performances, installations, dus à des artistes de toutes générations. Un véritable foisonnement qui interroge, interloque, irrite, séduit ou écarte mais qui, en tous les cas, ne laisse pas indifférent, du moins pour tous les hémisphères cérébraux qui veulent s’y intéresser.
Vous partirez sur la Galerie Château d’eau pour vous attarder sur les travaux de Serge Boulaz, aboutissement d’un projet participatif ambitieux de cet artiste furieusement optimiste. Vous n’aurez qu’à traverser le Pont-Neuf pour rejoindre la Chapelle de l’Hôtel-Dieu où vous attend une installation vidéo qui vous retracera comment on pouvait travailler il y a cinq siècles le métal argent, de son état natif à la fabrication de pièces et autres : un énorme projet exigeant une équipe conséquente de talents.
Les dédales dans l’ex-Hôpital La Grave vous amène à un espace, l’ancien réfectoire de l’école de sages-femmes, occupé par une “exposition de rencontres“ entre trois artistes sculpteurs – Éric Baudart, Chloé Delarue et Gyan Panchal qui laissent votre regard trouver ou non des affinités entre leur travail respectif.
En quittant ici, impossible de rater l’intervention d’Eva Taulois intitulée Toutes les fenêtres sont ouvertes dont les peintures acryliques utilisées réveillent l’environnement qui semble avoir besoin d’un énorme travail de rénovation ou de …démolition. Les mêmes qualités de l’artiste seront remarquées dans les peintures présentées aux Abattoirs, musée tout proche.
Avant de se diriger vers le Musée Les Abattoirs, petit détour par le Centre culturel Saint-Cyprien où nous attendent travaux photos et vidéos d’Élisa Larvego qui semble très sensible à tout ce qui est en relation avec le quotidien des migrants que ce soit dans les Alpes ou en Amérique du Nord. Une action artistique et politique affichée et revendiquée.
Et, avant le terminus au Théâtre Garonne, car je ne vous amènerai pas jusqu’à La Fabrique malgré toute la sympathie que je peux avoir pour le responsable de cette structure si compliquée à rejoindre et qui n’a pas été gâté dans l’attribution des artistes exposés, de quoi vous faire livrer en même temps une boîte d’anxiolytiques par Damien Hirst.
Pour Garonne donc, encore une vidéo impressionnante, et d’autant plus dans ce cadre, de Walid Raad intitulé Sweet talk : Commissions (Beirut) – Solidere 1994-97, panorama qui détourne et recycle le fruit de la collecte d’une multitude de vidéos amateur faites lors des démolitions en vue de reconstructions. Quand on a encore dans les yeux l’explosion récente du port, décidément, le Liban n’est pas triste. Mais les technologies virtuelles et numériques rendraient presque, c’est vrai, l’événement terrifiant et …séduisant, comme sympathique car inimaginable.
De même que vous devrez faire une descente dans les entrailles du Théâtre pour admirer le résultat du projet photographique de Tim Etchells et Hugo Glendinning intitulé Empty Stages (Scènes vides). Des photos de salles fantomatiques dans un lieu…fantomatique !
« Qu’il s’agisse de créations, d’œuvres emblématiques inédites à Toulouse ou de réactivation de pièces produites dans l’histoire du festival, ces projets ont tous été conçus par des artistes ayant déjà été invités » nous dit Anne-Laure Belloc, Directrice maintenant responsable de ce gigantesque paquebot de la culture contemporaine. Mais il aurait été inconcevable que le Festival ne conduise pas à la découverte de plusieurs artistes venant à Toulouse pour la première fois.
Aux Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse, la structure a fait le plein avec près de vingt artistes occupant tous les espaces. Logique, c’est bien le musée de l’art contemporain. Des installations de Siah Armajani, ou Michel Aubry en passant par les peintures de Miriam Cahn, ou Miryam Haddad, ou les vidéos de Shiva Khosravi, ne ratez pas les 2mn 52 de la jeune iranienne s’amusant avec son voile, percutant et effrayant tout autant. Il vous faudra être méthodique pour ne rien rater en ce lieu.
J’en profite pour remarquer que la lecture du petit guide par ordre alphabétique des artistes me paraît plus délicate que si on l’avait eue par lieu – avis tout à fait personnel, à l’usage ! mais aussi que je n’apprécie pas la difficulté supplémentaire que détermine l’ignoble écriture inclusive que l’on retrouve dans certaines pages rédactionnelles, heureusement très ponctuellement, et qui handicape encore davantage tout visiteur ne maniant pas avec facilités la langue française. Dommage d’avoir laissé passer cet infâme bouli boulga. Mais dans deux ans, n’est-ce pas, son utilisation ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
Il y aura une suite à ce début de périple. Soyez frais et dispo pour la Rive gauche et autres. Sans oublier les manifestations plus ponctuelles. Abondance de biens ne peut nuire.