Samedi 3 juillet, à 20h à la Halle, avec encore jauge réduite mais tant pis, l’ONCT accueille deux grands interprètes en l’occurrence la cheffe Elim Chan et le pianiste Bertrand Chamayou, membre de la cour des très grands, qu’on ne présente plus. Un programme d’exception dont voici le détail.
Elim Cham © Rahi Rezvani
L’apprenti sorcier de Paul Dukas
Concerto pour piano et orchestre n°5 “l’Égyptien “ en fa majeur de Camille Saint-Saëns
Concerto pour orchestre, SZ.116 de Béla Bartók
Signalons tout de suite que, la veille, 2 juillet, c’est plus de 80 musiciens de l’orchestre qui s’illustreront dans un phénoménal Elektra sous la direction d’un magnifique Frank Beermann, phalange participant à part entière au triomphe total de cette production déjà donnée à trois reprises. Et ce sera rebelote pour la dernière le dimanche 4 à 14h 30.
Bertrand Chamayou © Marco Borggreve Warner Classics
Elim Chan est née à Hong Kong il y a 32 ans. Formée au piano à 6 ans, à la direction d’orchestre dès ses 13 ans, elle étudie au Smith Collège du Massachusetts (États-Unis) avant de devenir la première lauréate féminine du concours de direction Donatella Flick organisé à Londres tous les deux ans. Ensuite ? C’est un démarrage en trombe qui n’est pas simplement dû on s’en doute au fait qu’elle entre dans la catégorie des…cheffes : elle fait ses débuts auprès de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam, poursuit avec les orchestres symphoniques de Sydney et Birmingham, puis les Philharmonies de Stockholm, Los Angeles et Amsterdam.
Orchestre national du capitole © Patrice Nin
L’Apprenti Sorcier fut composé en 1897. Paul Dukas lui donnera le sous-titre de Scherzo. Le genre du poème symphonique est alors en pleine vogue, un nouveau mode d’expression qui séduit les compositeurs après les réussites de Franz Liszt dans ce domaine. De plus en plus vivace, ce goût pour la musique descriptive ne donnera pas, tout de même, naissance qu’à des chefs-d’œuvre. Il se trouve que celui-ci en est un. Sûrement parce que Paul Dukas s’appuie sur un canevas adéquat, celui d’une ballade du poète allemand Goethe, tout à fait propice à l’élaboration d’un grand tableau orchestral. Ballade au sujet fortement rocambolesque, tout de même !
Le texte commence ainsi : « Enfin, il s’est donc absenté, le vieux maître sorcier. Et maintenant, c’st à moi aussi de commander à ses Esprits : j’ai observé ses paroles et ses œuvres, j’ai retenu sa formule, et avec de la force d’esprit, moi aussi je ferai des miracles.
Que pour l’œuvre, l’eau bouillonne et ruisselle et s’épanche en bain à large seau !
(……)
et se termine par : Comme ils courent !De plus en plus l’eau gagne la salle et les degrés, quelle effroyable inondation ! Seigneur et maître, entends ma voix ! – Ah ! voici venir le maître !Maître, le péril est grand ; les Esprits que j’ai évoqués, je ne peux plus m’en débarrasser.
Dans le coin, balai ! balai ! Que cela finisse, car le vieux maître ne vous anime que pour vous faire servir à ses desseins. »
Pour suivre, de Camille Saint-Saëns, le Concerto pour piano et orchestre n°5 “L’Égyptien“ en fa majeur, op. 103. Il est en trois mouvements :
I – Allegro animato
II – Andante
III – Molto allegro
Ce concerto fut achevé au Caire en 1896, vingt-huit ans après le Deuxième. Le compositeur a 61 ans. C’est un voyageur infatigable qui a parcouru le monde avec les moyens de transport de la fin du XIXè et début du XXè (1835 – 1921), et qui eut une longue vie, en ces temps-là. Baptisé “l’Égyptien“, ce concerto ne le doit pas à son compositeur mais tout simplement parce que le thème principal du mouvement central est d’origine égyptienne ; c’est un chant d’amour nubien qu’il entendit lors d’une promenade sur le Nil et qu’il nota sur la manche de sa chemise. Son incontestable exotisme ne se limite d’ailleurs pas au Moyen-Orient, mais s’étend de l’Espagne à l’Indonésie, encore que la seule “importation“ étrangère, sur le plan instrumental, soit le gong, qui fait son entrée non pas avec un coup fracassant, comme c’est souvent le cas, mais de façon caractéristique, avec un murmure. Dans son ensemble, l’œuvre est l’une des évocations les plus heureuses de Saint-Saëns. Elle revêt également une importance historique en tant que premier concerto français à utiliser des éléments “exotiques“.
Le Finale se caractérise par une très grande virtuosité du soliste, virtuosité que le compositeur défendait ferme en tant que telle. Pour lui, en effet, elle est la source du pittoresque en musique et donne alors au soliste des ailes pour l’aider à échapper au prosaïque et au quotidien. La difficulté conquise n’est-elle pas en soi source de beauté ? Sachons tout de même que le compositeur était doué d’une mémoire phénoménale et d’une précocité rare. Déjà dans ses concerts à l’âge de onze ans, il proposait comme bis une des trente-deux sonates de Beethoven, au choix !! Passionné de tout, de mathématiques comme de sciences, biologie, philosophie, il lisait le latin à sept ans !!! Pendant ce temps, en 2021, les universités de Princeton bannissent latin et grec ; autre temps.
Béla Bartók © Decca
Concerto pour orchestre {Sz 116} de Béla Bartók (1881-1945)
Les cinq mouvements s’organisent en miroir autour d’un pivot central l’Elegia, mouvement lent entouré de deux “jeux de l’esprit“, eux-mêmes flanqués de deux mouvements extrêmes vifs.
Introduzione : Andante non troppo – Allegro vivace
Giuoco della coppie : Allegretto scherzando
Elegia : Andante non troppo
Intermezzo interrotto : Allegretto
Finale : Pesante – Presto Durée : 38’
Effectif orchestral : trois flûtes, deux hautbois, un cor anglais, trois clarinettes, trois bassons puis quatre cors, trois trompettes et trois trombones, un tuba. Timbales et batterie (caisse claire, grosse caisse, tam-tam, cymbales, triangle). Deux harpes et les pupitres de cordes.
Béla Bartók ou l’étroite alliance, si rare, d’un grand musicien, d’un grand homme et d’un grand destin, un prodigieux artiste qui nous touche par le tragique de son existence, presque toujours douloureuse, achevée dans la misère, la gloire viendra trop tard, la maladie, leucémie, et l’éloignement de sa patrie. Il est des artistes pour qui l’art est une revanche sur la vie. Pour d’autres comme Béla Bartók, il fut l’expression de la vie.
Son Concerto connaît sa première audition le 1er décembre 1944 au Symphony Hall de Boston, l’orchestre de cette ville étant placé sous la direction de Serge Koussevitsky. Bartok est aux Etats-Unis depuis fin 1940 avec son épouse, un saut dans l’incertitude pour éviter la certitude du pire, écrira-t-il. Un statut d’exilé, pas méprisé mais alors, guère sollicité, dans le dénuement plutôt et dans un état de santé bien précaire. Peter le fils rejoint ses parents en 1942. Au printemps 1943, Koussevitsky se rend au Doctor’s Hospital de New-York pour saluer le musicien souffrant et lui faire part d’une proposition qui pourrait avoir sur lui l’effet de la plus miraculeuse des cures. Il souhaite que le compositeur hongrois écrive une pièce dans le style démonstratif et, pour le convaincre d’autant, laisse sur le lit du malade un petit chèque de cinq cents dollars en acompte. Le procédé est ce qu’il est mais il n’empêche que Bartók quitte l’hôpital et part tout près à Saranac Lake où il va esquisser le futur Concerto. Il en termine l’orchestration en quelques semaines en caroline du Nord à Asheville. La partition portera les dates : (15 août – 8 octobre 1943). La musique peut faire des miracles !
Sue le titre de son œuvre, le compositeur vous dira : « il trouve son sens dans le traitement concertant ou soliste d’instruments, ou de groupe d’instruments. Le traitement “virtuose“ apparaît par exemple dans les sections fuguées du développement du premier mouvement (aux cuivres) ou dans les sortes de mouvements perpétuels sur le thème principal dans le finale (cordes) mais surtout dans le deuxième mouvement, lorsque les instruments se succèdent en concertant par paires et exécutent des passages brillants. »
Sur le parcours affectif de son œuvre : « Exception faite du facétieux II, proche d’un Scherzo, la tendance générale est le passage progressif du caractère sérieux du I au lugubre chant funèbre du III jusqu’à l’affirmation de la vie qui singularise le Finale. »
Parmi les œuvres qui firent l’objet d’une “véritable commande“ au cours des années 1940-60 si fertiles dans le domaine de la production musicale, le Concerto pour orchestre est sans doute celle qui s’est le mieux implantée dans le répertoire symphonique courant. La raison d’une telle faveur dont elle jouit auprès du public, s’explique peut-être par sa construction musicale dont la “solidité granitique“ sert de véritable repère. Sa structure interne enthousiasme aussi mettant ingénieusement en relief les différents éléments de l’orchestre, tout d’abord section par section, puis toutes les sections intervenant ensemble en une éblouissante apothéose sonore qui nécessite évidemment une écoute en direct. Les meilleurs supports ne peuvent rendre de tels effets de spatialité comme on peut les saisir dans une salle de concert.
Il serait peut-être vain aussi de vouloir comprendre la musique de ce compositeur, sortie du contexte culturel, social et politique dans lequel il était plongé. Homme libre, esprit indépendant, profondément engagé dans la défense des valeurs auxquelles il croyait, l’amour de la patrie en tant que point de départ n’est pas oublié pour autant. Cependant, il saisira très vite les dangers de l’ultranationalisme et se révoltera une nouvelle fois, en quête d’une impossible fraternité, en butte au sectarisme et à l’aveuglement des hommes. L’exil sera alors un véritable déchirement.
Orchestre national du Capitole