Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 5 Juin 2021. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : La princesse jaune, op.30, ouverture ; Concerto pour violoncelle et orchestre en la mineur op.33 n°1 ; Symphonie n°3 en ut mineur avec orgue op.78; Victor Julien-Laferrière, violoncelle ; Michel Bouvard, orgue ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Tugan Sokhiev, direction.
Saint-Saëns fêté en sa diversité à Toulouse
Signe d’un retour à la normale tant attendu l’Orchestre du Capitole et son chef, Tugan Sokhiev, retrouvaient enfin leur public. Certes un public limité mais un public en chair et en os et bien présent. Au tiers de sa jauge la Halle-aux-grains est un peu triste mais ne nous privons pas de dire combien l’osmose tant attendue a eu lieu entre un public avide et des musiciens engagés. Le Palazzetto Bru-Zane, Centre de musique romantique française, a parrainé ce concert entièrement consacré à Saint-Saëns. La Princesse Jaune avec ce même parrain a été enregistré il y a peu en ce lieu. Dans l’ouverture de cette princesse l’orchestre a brillé de mille feux sous la direction claire et souple de Tugan Sokhiev. Beauté des timbres, habileté de l’orchestration et foisonnement de thèmes intéressants, il a dans cette petite ouverture matière à organiser tout un art théâtral voir cinématographique qui évoque cet orient idéalisé, si prisé à la fin du XIX Ime siècle.
Puis le premier concerto pour violoncelle a permis de découvrir en concert un artiste que j’ai beaucoup apprécié en enregistrements. Il s’agit du très jeune violoncelliste Victor Julien-Laferrière. Ses beaux CD en duo et trio avec le pianiste toulousain Adam Laloum sont très aimés. Le jeune artiste est très à l’aise et rentre en scène avec beaucoup d’amabilité. Son jeu est souverain, aisé, et rien ne semble jamais lui demander d’efforts. Pourtant le concerto regorge de moments très virtuoses. Rien ne semble émouvoir l’intrépide jeune musicien qui semble faire ce qu’il veut avec son instrument. Le tempo est sage et les phrasés romantiques mais mesurés avec un emportement plutôt maitrisé. L’entente entre le chef et le soliste est parfaite, faite d’écoute, de respect mutuel et de recherche de beauté sonore. Les nuances sont subtiles et les timbres de l’orchestre se mêlent avec bonheur aux magnifiques sonorités de Victor Julien-Laferrière. Le minuetto central devient une sorte de pastiche XVIIIème avec des trilles délicieuses au violoncelle. Ce mouvement est tout de grâce et de subtilité. Il offre un très important contraste avec le final bouillonnant. La virtuosité est ici sublimée et provoque un envol du violoncelle soutenu par un orchestre superbe. L’art théâtral puis concertant de Saint-Saëns est indiscutablement mis en valeur par de tels interprètes.
Mais c’est l’irrésistible symphonie avec orgue qui va mettre le public en transe. Cette symphonie avec cette inénarrable présence de l’orgue est un moment extrêmement excitant. Le dispositif électronique permettant d’entendre l’orgue est une prouesse technique à présent parfaitement réglée (c’est la troisième fois que nous l’entendons). Le son original d’un Cavalier Coll enregistré note à note est actionné par le clavier et diffusé dans des hauts parleurs. Cela permet à présent un parfait dosage entre l’instrument si énorme et l’orchestre. Dès l’introduction pianissimo, Tugan Sokhiev obtient de son orchestre un équilibre sonore exact et une beauté sublime des timbres. Le rythme par les contrebasses est un battement de cœur irrésistible, puis une marche enivrante. Leur présence vivifiante sera remarquable tout du long. La manière dont Tugan Sokhiev laisse se dérouler la symphonie, la manière dont il stimule son avancée permettent un voyage envoutant.
L’entré mystérieuse de l’orgue sur des notes très graves est une réussite superbe. Michel Bouvard sait parfaitement doser ses entrées. Début modeste de l’instrument roi qui ira dans un grand crescendo vers un final en véritable forme d’apothéose. Les solistes de l’orchestre sont tous magnifiques. Impossible de les citer tous mais les timbales si impressionnantes dans le final resteront dans les esprits. Le piano à quatre mains également. La direction de Tugan Sokhiev met parfaitement en lumière tous les plans, toutes les superpositions. Mais il sait aussi laisser chanter les instrumentistes avec une vraie tendresse. Quel plaisir de retrouver la belle acoustique de la Halle avec la présence du public ! Ainsi la progression dans le final est absolument somptueuse. De fugue en accumulation d’instruments le final va vers un crescendo fulgurant avec toute la puissance de l’orgue et celle de l’orchestre tous cuivres en majesté. Cette fin de concert est tout à fait grandiose et le public exulte. Quel bain sonore ! Comme il est réconfortant de constater combien le public n’a pas perdu son enthousiasme et sait le manifester à son orchestre et son chef enfin retrouvés ! Quel bonheur !