Professeur de littérature française à l’Université de Gdansk, Michal Piotr Mrozowicki, Polonais de naissance (1956), achève avec le présent opus une trilogie magistrale sur la réception des œuvres de Richard Wagner en France.
La troisième partie de ce cycle, de 1893 à 1914, est avant tout une chronique des multiples représentations françaises des œuvres du Magicien de Bayreuth. Françaises car elles ne sont pas circonscrites à la capitale. C’est ainsi qu’au détour de ce voyage dans le temps, l’auteur nous invite à Nantes, Nice, Lyon, Aix les Bains, Rouen. Poussant même les frontières jusqu’à Bruxelles et Monte-Carlo. Au travers d’un colossal travail de recherche et de compilation d’articles de presse, Michal Mrozowicki nous délivre les commentaires de critiques de tous bords.
S’ils savent à peu près de quoi ils parlent, par contre il est indéniable qu’ils sont parfois aussi les représentants de fractions d’opinion farouchement antiwagnériennes. Bien sûr, et cela est incontournable, le scandale de Tannhäuser fait l’objet de plusieurs pages par le biais des reprises, avec ballet, en 1895. Chacun se souvenant du tollé orchestré par les membres du Jockey Club lors de la première lorsque ces messieurs s’aperçurent que l’œuvre du maître allemand ne contenait pas de ballet, ce qui leur enlevait un prétexte pour aller lutiner leurs danseuses préférées dans le Foyer de la Danse à la fin ou au cours du spectacle.
Ceci est une anecdote, pour aussi croustillante soit-elle, qui demanderait d’ailleurs une enquête plus approfondie…
Le plus important dans cet ouvrage est assurément les commentaires sur les distributions, commentaires si divers qu’au final les profils des chanteurs de cette époque finissent par se dessiner précisément. Et plus particulièrement ceux du baryton- basse Francisque Delmas (1861-1933), un Wotan alors inégalable, de la soprano Felia Litvinne (1860-1936), Brünnhilde et Kundry de légende, et de l’incontournable ténor Ernest Van Dyck (1861-1923), inoubliable et historique Tannhäuser, Tristan, Siegmund et Lohengrin. Bien d’autres répondent également à l’appel de cette époque magnifique, même si Richard Wagner est chanté la plupart du temps en français.
Un chapitre entier est consacré, et c’est plus que légitime, au grand chef d’orchestre Charles Lamoureux (1834-1899), ardent défenseur de la cause wagnérienne dans l’Hexagone. Entre autres pépites, ce livre nous fait revivre et avec quelle acuité, les deux premières séries complètes du Ring à l’Opéra de Paris, de même que la première en 1914 de Parsifal enfin « libéré ». A vrai dire les théâtres du monde entier se préparaient à représenter sur scène et non plus en simple concert ce fameux festival scénique sacré entrant enfin dans le domaine public le 1er janvier 1914. Pour la petite histoire se sont les Catalans de Barcelone qui furent les premiers, ayant prévu une représentation à… minuit heure locale.
Déjà tout cela est en soi énorme, mais ce n’est pas tout car cet ouvrage passe au scanner de l’Histoire le fait wagnérien : le wagnérisme et son lot d’idolâtrie et de sectarisme, remugles mariant jusqu’à plus soif nationalistes et réactionnaires. Sur ce thème, l’on peut difficilement se dire que le débat est clos…
Au total, un livre passionnant, certes dédié aux fous d’opéras mais pas que, car en creux il étudie une société en pleine évolution, avide de nouveautés et qui devra passer sur les plaies béantes de la Grande Guerre pour, longtemps après, revenir applaudir les ouvrages éternels et universels du Magicien de Bayreuth.