Depuis plus de quarante ans, l’ensemble toulousain Les Sacqueboutiers mène une action originale. Redécouvrir les cuivres anciens, réinventer les techniques de jeu, reconsidérer le répertoire, l’exhumer le plus souvent, constituent le pain quotidien de ces pionniers. Ils collaborent régulièrement avec les ensembles de musique ancienne les plus actifs. Ils se sont souvent associés avec l’Ensemble vocal Clément Janequin. Le contre-ténor Dominique Visse, fondateur et animateur de cet ensemble prestigieux, rejoint cette fois les cuivres anciens toulousains dans un programme intelligemment conçu autour du madrigal italien au XVIIème siècle.
C’est au début des années 1600 que le grand Claudio Monteverdi invente le concept novateur du « Recitar cantando », soit en bon français « Dire en chantant ». La prédominance du texte à laquelle se soumet la musique devient alors la règle parmi les nombreux compositeurs de cette période fertile qui définit cette évolution comme « Seconda prattica », laquelle succède sans s’opposer à la précédente « Prima prattica ». Le madrigal, qui associe la voix aux instruments, devient la forme musicale la plus adaptée à cet art nouveau. Le programme instrumental et vocal proposé ici explore un bouquet de pièces expressives écrites par des compositeurs adeptes de ce nouveau « Stile concertato ».
A la voix soliste du contre-ténor Dominique Visse, acteur virtuose, expert en la matière, s’adjoint l’ensemble instrumental constitué du cornet à bouquin de Jean-Pierre Canihac, de la sacqueboute de Daniel Lassalle, du violon d’Hélène Médous, du violoncelle de Susan Edward, de l’orgue de Yasuko Uyama-Bouvard et du théorbe d’Éric Bellocq. Le cornet et la sacqueboute étaient alors considérés comme les instruments les plus aptes à imiter la voix humaine.
Le titre de ce programme, « La lyre amoureuse », s’inspire de la traduction du premier vers de la pièce de Tarquinio Merula « Su la cetra amorosa » qui illustre les sentiments amoureux qu’Orphée exprime sur sa lyre au point d’émouvoir les animaux.
Tout au long de ce programme très varié, Dominique Visse place son talent et sa verve au service de l’expression avant tout. Il sait faire émerger son timbre si particulier de l’ensemble instrumental mais également le fondre dans la polyphonie du texte musical comme une voix supplémentaire.
Ainsi, dans la première pièce gravée ici « Acenti queruli » (Accents plaintifs), de Giovanni Felice Sances, le chanteur n’hésite pas à « piailler » comme le poème le suggère au travers de l’expression « oisillons piaillards » ! Tous les affects possibles émergent de ces madrigaux très divers. Confidences et souffrances amoureuses se retrouvent dans des madrigaux comme « Usurpator Tiranno » du même compositeur (avec de touchants échanges entre la voix et les instruments), ou dans « L’Eraclito amoroso », émouvant lamento de la compositrice Barbara Strozzi. Les contrastes du théâtre se manifestent dans « Su la cetra amorosa », de Tarquinio Merula, alors que l’ironie moqueuse de « Amanti se bramate » de Luigi Rossi s’oppose à la lumineuse douceur de « Se laura spira », de Girolamo Frescobaldi.
La virtuosité et la musicalité des musiciens s’expriment autant dans le soutien à la voix (plus qu’un simple accompagnement) que dans les magnifiques pièces instrumentales qui balisent ce programme. « La Augustana », de Giovanni Battista Cesare en est un exemple frappant, comme la « Sonata XVI » de Dario Castello ou ce splendide duo entre le violon et le violoncelle dans la « Canzon per soprano e basso » de Bartolome di Selma y Salaverde.
L’écoute attentive de ce programme sera peut-être pour beaucoup une découverte de ce répertoire original et vivifiant qui s’accompagne ici d’un déploiement évident de talents musicaux.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse