Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 6 mars 2021. Richard Wagner (1813-1883) : Prélude et mort d’Isolde, extrait de Tristan et Isolde ; Richard Strauss (1864-1949) : Also sprach Sarathoustra, poème symphonique. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Thomas Guggeis, direction.
Un Concert au sommet !
Les concerts retransmis en direct puis en « replay » de l’Orchestre du Capitole se poursuivent favorisant ce frêle lien avec les critiques présents et le public derrière ses écrans. Le succès est majeur et l’orchestre se maintient ainsi à son niveau d’excellence, les chefs peuvent partager avec cet orchestre si engagé des moments fondateurs et le public peut se régaler des images proposées sur Youtube. Ces ersatz sont succulents et méritent toute notre reconnaissance mais quand retrouverons-nous cette alchimie si particulière entre l’orchestre et son public toulousain ? Quand la Musique renaitra-t-elle à la vraie vie ?
Ce que je peux dire c’est qu’en tant que privilégié présent en chair et en os, j’arrive mieux à vivre l’absence du public. Après tout il y a de sacrés avantages, pas de toux, de bruits de papiers de bonbons, de bruits de bijoux et autres joyeusetés. La musique est d’avantage respectée ainsi pas d’applaudissements impatients non plus en fin de morceau. Mais quelle tristesse toutes ces places vides !
Le tout jeune chef d’origine allemande Thomas Guggeis a dirigé ce soir un concert d’anthologie. Le chef de tout juste 27 ans est un musicien hors pair capable de donner des ailes à l’orchestre. Le programme exigeant est de toute beauté. D’abord sans rupture de la solution de continuité le prélude de Tristan et la mort d’Isolde en version purement orchestrale. Cette pièce de concert nommée « Prélude et mort d’Isolde » est un véritable monument, très aimé des chefs comme du public. Rarement la voix aura si peu manqué dans le lied final tant l’orchestre a chanté avec passion et a chanté haut et fort. Le grand crescendo est magnifiquement conduit par le chef. Les risques pris sont aigus et le résultat assumé est ce grand vol d’un vaisseau puissant et qui malgré sa taille décolle tout là-haut.
Jouer ces deux extrêmes de l’opéra fleuve de Wagner nous fait vivre de manière fulgurante cette passion mortelle inouïe. Toutes les questions harmoniquement irrésolues du prélude, tous ces chromatismes tristaniens qui ont tant plu et qui irritent tant, sont une magie dont le jeune Thomas Guggeis comprend tous les arcanes. Et leur résolution dans ce dernier accord est une jouissance suprême. La manière sure et généreuse dont le chef aborde ces deux pages liées pour l‘éternité est un régal sur tous les plans. La perfection instrumentale, l’équilibre des nuances, les phrasés amples et les couleurs mélancoliques d’une douleur infinie, puis dans la mort d’Isolde cette puissance de la transfiguration amoureuse avec ces coups de boutoirs si puissants, font une impression profonde. Les contre-chants si lisibles, les interventions subtiles de la harpe, tout est pleinement présent jusqu’à cette fin magique parfaitement réalisée ce soir. Un très grand chef de théâtre ce jeune homme, qui en quelques minutes nous résume tout le drame de Tristan et comment !
Et que dire à présent de la manière dont Thomas Guggeis empoigne le Sarathoustra de Strauss ? Il semble changer d’orchestre, le son gagne en brillant, en acuité et les instrumentistes comme galvanisés rivalisent de beauté sonore. Dès le splendide lever des cuivres encouragés par la timbale, la puissance et la grandeur coupent le souffle. Toute la partition restera à cette hauteur et dans une infinie variété de nuances et de couleurs va nous faire vivre un voyage enchanté à travers toute l’humanité, ses réalisations les plus spectaculaires, ses aspirations les plus hautes, mais sa vulnérabilité la plus bouleversante aussi et même sa petitesse. Richard Strauss a composé une suite de mouvements absolument virtuoses qui permettent à l’orchestre de briller à chaque instant. Il est impossible de citer chacun mais admettons que les cuivres se taillent une part de lion dans une puissance renversante. Le violon solo de Kristi Gjezi est d’une présence envoûtante. Il serait injuste d’oublier les bois si émouvants, ni les cordes dans une soie si brillante et un moelleux si chaud. Les percussions sont exquises de précision et pimentent le tout.
L’ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE est un Grand Orchestre magnifique en tout. La réécoute de la vidéo est un précieux régal mais avouons que l’effet est autrement troublant en face des déferlantes des plus de 100 musiciens de l’orchestre si admirablement dirigés. Disposés si confortablement dans la Halle-aux-Grains les sonorités somptueuses se développent incroyablement. Le confinement permet aux musiciens de jouer avec peut-être plus de concentration et moins la pression de répétitions harassantes. Je les trouve reposés, impliqués et d’autant plus généreux. Le son de ce soir est tout à fait unique c’est vraiment du grand art. Bravo à tous y compris au programmateur qui a su trouver ce jeune chef, Thomas Guggeis, un nom qu’il faudra suivre et un chef qu’il est souhaitable de voir et revoir à Toulouse tant au concert qu’à l’opéra.
lien vers le concert attention ça plane haut !