« Il y a un panthéon invisible dans lequel chacun d’entre nous chérit celles et ceux qui firent qu’ils pouvaient quand les autres ne le faisaient pas », c’est la définition que Romain Rolland, le grand ami pacifiste de Stefan Zweig, a donnée du héros.
L’auteur toulousain Santiago Mendieta, spécialiste des Pyrénées et directeur de la revue Gibraltar, un pont entre deux mondes, a livré dans ses « histoires retrouvées de la guerre d’Espagne » aux Editions Le papillon rouge, le roman vrai de la vie de 10 héros de cette guerre d’Espagne qui n’en finit pas de résonner dans nos mémoires ; a fortiori à Toulouse capitale de l’exil républicain espagnol.
Santiago Mendieta © Eric Cabanis
Comme Anne Brenon sait le faire dans son Hiver du Catharisme avec ses derniers Bons Hommes pourchassés jusqu’en Espagne ou en Italie, comme Daniel Cordier a su le faire avec son odyssée aux côtés de son « patron » Jean Moulin dans Alias Caracalla: avec leur talent de narrateurs hors pairs.
Et il nous entraine dans des récits palpitants et passionnants.
Comme l’histoire de l’Hôpital Varsovie, créé au cœur du quartier Saint Cyprien par des guérilleros communistes et des militants républicains, pour soigner leurs blessés dans leur chair et dans leur âme, qui a bien failli disparaître au début des années 50 sous les remous de la guerre froide et du Maccarthysme, cette chasse aux sorcières, cette « Peur rouge », qui a résonné jusqu’en France, à l’Hôpital Joseph Ducuing d’aujourd’hui spécialiste entre autres des soins palliatifs.
S’il consacre quelques chapitres à certains personnages du camp franquiste dont l’un nous est tristement connu, le Caudillo lui-même (même s’il est difficile de faire pire que le portrait au vitriol qu’en a tracé Javier Cercas dans les Soldats de Salamine), mais aussi à Ramón Serrano Súñer, « le Beau-frérissime », qui a cru pouvoir profiter de la prise de pouvoir de celui-ci, ou à Pedro Urraca, « le chasseur de rouges » en France, des personnages peu connus du grand public, Santiago Mendieta n’occulte pas les erreurs de la République, et les exécutions sommaires commises par ses fractions extrêmes, même si elles n’ont pas atteint, loin s’en faut, l’ampleur gigantesque de celles perpétrées par les « vainqueurs » (il s’agissait « d’éradiquer totalement le virus rouge »).
À travers ces « histoires retrouvées » grâce aux sources historiques qu’il a pu consulter, mais aussi à des témoignages « in vivo », qu’il a compilés depuis de nombreuses années, il nous révèle des faits peu connus, comme l’épopée de l’or de la Banque d’Espagne ou la Reconquista ratée en Val d’Aran, les vies incroyables de militants au courage extraordinaire qui voulaient changer le monde, et dont certains ont combattu ensuite pour la libération de la France et de l’Allemagne : ce livre est riche de personnages hauts en couleurs dans l’intimité desquels il rentre et éclaire d’un jour nouveau.
Tels les 3 François de ces Histoires retrouvées, ces combattants passés des rangs de la République à ceux de la Résistance et des Alliés, avec le même courage, et la même ferveur révolutionnaire, dont deux ont survécu par miracle comme Francisco Boix, photographe à Mauthausen pour témoigner, et Francesc Tosquelles, psychiatre d’avant-garde qui mettait en application une thérapie sans portes ni barreaux, et l’un n’a pas échappé à la folie destructrice des fascistes, Francisco Ponzán-Vidal,passeur de militaires alliés à travers les cols pyrénéens, et martyr parmi les suppliciés de la Forêt de Buzet, à côte de Toulouse.
Tels ces « Missionnaires de la Joie », si peu connus, engagés dans ces « missions ambulantes » préconisées par Francisco Giner de los Rios, si cher à Don Antonio Machado, qui amenaient sans propagande aux masses paysannes les livres et la culture, le théâtre, la musique, le cinéma, les marionnettes,, car ils savaient bien que la Culture, c’est la Liberté.
On sait ce qu’il advint une fois les Franquistes victorieux de cette belle réalisation, à laquelle participa Federico Garcia Lorca avec sa « Barraca », de la « Nina bonita » (la petite fille), cette IIe République si pleine d’espoirs : autodafés de livres, instituteurs et artistes emprisonnés et exécutés sans jugement, dont Lorca lui-même…
Monsieur Robert Marcault (1), l’un des derniers rescapés d’Auschwitz en Midi-Pyrénées, disait aux collégiens et aux lycéens qu’il emmenait visiter ce camp de la mort : « La connaissance et la raison contre l’ignorance, l’éducation et la culture contre la haine et l’endoctrinement (…), voilà les défis qu’une Démocratie doit relever, tel est l’enjeu vital ».
Telles ces femmes remarquables, par exemple Federica Montseny, « l’indomable », l’indomptable, anarchiste, 1ère femme Ministre de la Santé et de l’Assistance sociale en Europe, dans une époque encore profondément misogyne, (même si les Espagnoles avaient le droit de vote depuis 1933 !), dont les services, en seulement quelques mois, ont pratiqué les premières transfusions sanguines qui ont sauvé des milliers de vies, ont fait avancer de façon notoire les recherches sur la gangrène et les troubles post-traumatiques des soldats, et qui, après avoir été pourchassée par les séides de Pétain et de Franco, a fini sa vie à Toulouse où elle repose au Cimetière de Saint-Cyprien.
Ma chère Claire Pradal à qui je demandais un jour pourquoi tant de Républicains morts en France comme cette Federica, ou Manuel Azaña, le dernier président, n’ont pas voulu être rapatriés dans leur pays, même après la mort de Franco, m’avait cité José Bergamin : « Les morts tombés hors d’Espagne, parce qu’ils n’ont pas pu ou voulu y revenir de leur vivant, doivent demeurer là où ils sont tombés, afin de laisser le témoignage historique d’un exil qui honore leur vie entière ».
Ou, terriblement émouvante, celle qui clôt ce livre : Ascención Mendieta Ibarra, qui s’est battu jusqu’à son dernier souffle pour retrouver son père tant aimé, Timoteo, simple syndicaliste, enfoui dans une fosse commune avec une balle dans la tête (2) alors qu’elle avait 13 ans, et reposer à côté de lui ; elle a fini par triompher de l’État espagnol et de ses nostalgies fascisantes, avec des associations exemplaires où archéologues, médecins légistes, avocats, du monde entier, ont soutenu la démarche des familles recherchant leurs disparus. Son histoire, et celles d’autres descendants de victimes de l’épuration franquiste, a été racontée au cinéma, – du temps où celui-ci, en particulier d’Art et d’essai, était bien vivant et essentiel-, dans « Le silence des autres » ou « la justice contre l’oubli… », documentaire d’Almudena Carracedo et Robert Bahar, produit par Pedro Almodovar en 2018.
La sagesse populaire nous enseigne qu’ « on ne sait pas où l’on va si l’on ne sait pas d’où l’on vient », c’est pour cela que le travail de l’Historien est si important, ainsi que celui de l’Écrivain qui s’appuie sur les travaux de celui-ci pour nous faire revivre toutes les facettes de cette immense Chanson de Geste qu’est celle de l’Humanité.
Avec ses « Histoires retrouvées de la Guerre d’Espagne de 1931 à nos jours », Santiago Mendieta a ajouté ses petites pierres rouges à cet édifice, à celui de la terre de ses origines, révélant des facettes cachées de cette guerre qui était le prélude de la IIème mondiale.
En les refermant, je pense au cher Antonio Machado :« Nous sommes les fils d’une terre pauvre et ignorante, d’une terre où il y a tout à faire… Nous savons que la patrie est quelque chose qui se construit jour après jour et ne perdure que par le travail et la culture. Nous savons que la patrie n’est pas la terre que l’on foule mais la terre que l’on travaille, qu’il ne suffit pas de vivre sur elle, mais pour elle ».
Dans son discours à la Jeunesse en 1903, Jean Jaurès disait : « le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant, et de ne pas faire écho de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ».
Pour en savoir plus :
1) Déporté à 15 ans, décédé à l’âge de 85 ans, Robert Marcovici fut arrêté sur dénonciation en 1944 avec ses parents, son frère et ses deux sœurs, à Capendu dans l’Aude où la famille s’était réfugiée. Seuls son frère et lui sont revenus. Ayant survécu par miracle, ne pesant plus que 30 kilos, il a passé le reste de sa vie à témoigner de l’horreur des camps. Qu’il repose en paix au Cimetière de Terre Cabade à Toulouse.
2) dans son village de 2500 habitants, sur les 80 fusillés de la guerre civile, seuls les 18 exécutés par la FAI (Federacion Anarquista Ibérica) apparaissaient au Monument aux Morts: les autres, devenus cibles parce que vaincus, avaient purement et simplement disparu…