Le chef d’orchestre singapourien, Kahchun Wong et le jeune violoniste suédois Daniel Lokacevich étaient les grands invités, le 30 janvier dernier, de ce nouveau concert à huis clos de l’Orchestre national du Capitole. Deux artistes déjà connus et appréciés du public toulousain toujours empêché d’assister en « présentiel », selon la nouvelle pratique culturelle imposée par la pandémie, à ce concert dont l’auteur de ces lignes a eu le privilège d’être témoin en direct. Fort heureusement, l’initiative de l’Orchestre de capter ces concerts et de les diffuser gratuitement en live et en streaming sur la chaîne YouTube et les réseaux sociaux ouvre la possibilité pour un large public de profiter de ces manifestations prévues de longue date. Un très large public d‘ailleurs, puisque plus de 460 000 personnes se sont connectées pour visionner les six concerts déjà diffusés !
Kahchun Wong, déjà présent à la tête de l’Orchestre national du Capitole à plusieurs reprises, est en particulier l’un des derniers disciples de Kurt Masur avec lequel il a eu le privilège de partager l’estrade. Il a également été l’assistant d’Esa-Pekka Salonen avec l’Orchestre Philharmonia, d’Iván Fischer avec l’Orchestre du Festival de Budapest ainsi que de Valery Gergiev et de Yannick Nézet-Séguin à la Philharmonie de Rotterdam. Ce jeune chef dynamique et curieux aborde les répertoires les plus divers, de Mozart à Bruckner en passant par Moondog qu’il avait dirigé à Toulouse.
Il ouvre ce concert du 30 janvier en accompagnant Daniel Lokacevich dans le célèbre 2ème Concerto pour violon et orchestre de Felix Mendelssohn. Le jeune violoniste suédois, né en 2001, n’en est certes pas à son coup d’essai dans le grand répertoire romantique. Dès 2017, il faisait ses débuts à Toulouse avec le Poème pour violon et orchestre d’Ernest Chausson et en 2018, il y interprétait magistralement le Concerto pour violon et orchestre n°1 de Max Bruch.
C’est parti pour notre 🎥 streaming live!🎶💥@ONCT_Toulouse @kahchun_music Daniel Lozakovich @halleauxgrains @Toulouse pic.twitter.com/cPB8t48QZs
— Thierry d’Argoubet (@T_d_Argoubet) January 30, 2021
Aujourd’hui plus grand, plus mature, il aborde le Concerto de Mendelssohn avec un subtil mélange de sensibilité à fleur de peau, de détermination affirmée et une étonnante palette de dynamique. Du pianissimo les plus ténu jusqu’à l’ampleur sonore d’un timbre d’airain, le soliste veille à structurer la partition dans une belle continuité musicale. Ses première notes de l’Allegro molto appassionato impressionnent d’ailleurs par l’intensité d’une sonorité qui ne peine jamais à dominer l’orchestre lorsque le texte le demande. Les contrastes expressifs qui parsèment ce premier volet sont soulignés avec intelligence et naturel, et un mélange de spontanéité et de maîtrise. Les confidences de l’Andante se parent d’une tendresse touchante qui alterne avec une certaine inquiétude. Le final Allegro non troppo s’anime comme il se doit d’une ferveur touchante, rayonne d’une lumière éclatante. Les échanges avec l’orchestre témoignent d’un complicité du soliste avec chaque pupitre de la formation dirigée avec autorité et souplesse par Kahchun Wong. Ajoutons que l’exécution des cadences donne la mesure de la parfaite virtuosité de Daniel Lokacevich qui constitue essentiellement pour lui un moyen d’expression musicale. Voici un artiste dont on peut dire à l’instar du poète Malherbe : « Et les fruits passeront la promesse des fleurs » !
Kahchun Wong consacre la seconde partie à la mythique 5ème Symphonie de Gustav Mahler. Comme dans le concerto, le chef dirige sans partition. Ainsi que le proclamait le grand Arturo Toscanini : « Il y a deux sortes de chefs d’orchestre. Ceux qui ont la partition dans leur tête et ceux qui ont la tête dans leur partition » ! A l’évidence Kahchun Wong fait partie de la première catégorie.
Cette œuvre complexe et forte nécessite un orchestre à la fois vaste et virtuose, et réserve de redoutables passages pour ses solistes instrumentaux. La formation toulousaine démontre une fois de plus la grande qualité de chaque musicien et cette cohésion indispensable qu’il appartient au chef de maintenir et d’équilibrer. En outre, Kahchun Wong, qui conçoit à juste titre cette symphonie comme une ascension « de l’enfer vers le paradis » en souligne judicieusement la structure tripartite. La première partie, qui réunit les deux premier mouvements, s’ouvre sur une déclamation à découvert de la trompette solo dont la cellule rythmique évoque irrésistiblement celle d’une autre 5ème Symphonie, celle du grand Beethoven. Hugo Blacher, trompette solo de l’orchestre, remplit cette fonction avec éclat, certes, mais aussi un sens musical impressionnant qu’il place au service de toute la symphonie. Cette entrée en matière solitaire, suivie d’un fortissimo terrifiant de tout l’orchestre donne la chair de poule ! Les convulsions qui animent cette marche funèbre, « Trauermarsch », se prolongent dans le deuxième mouvement « Stürmisch bewegt » tempétueux en diable.
Le cœur de la Symphonie, ce Scherzo, « Kräftig nicht zu schnell » (Avec force, pas trop rapide), d’une prodigieuse complexité, centre son développement sur l’intervention déterminante et lumineuse du cor solo. A l’œuvre ici, Jacques Deleplanque transcende cette partition avec un art consommé. Son intervention met en évidence un sens du phrasé, une musicalité, une rondeur sonore admirables. Cette deuxième partie du triptyque constitue le tournant psychologique de l’œuvre. Les deux derniers mouvements, qui composent la troisième partie, amorcent donc le retour vers la vie, vers le bonheur. Tout a été dit ou écrit sur ce miracle que constitue l’Adagietto, pris ici dans le tempo « Très lent » recommandé par le compositeur. L’émotion est à son comble. L’enchaînement subtil vers le Rondo final conduit enfin à la libération tant espérée. Les explosions du tutti bénéficient des qualités sonores de tous les pupitres, cordes, vents et percussions, parfaitement équilibrés par la direction précise et dynamique de Kahchun Wong. Comme est frustrante l’impossibilité d’une ovation du public ! Fort heureusement les musiciens eux-mêmes applaudissent leurs collègues solistes auxquels le chef rend un juste hommage : Jacques Deleplanque et Hugo Blacher en premier, suivis de tous les chefs de pupitres, largement sollicités tout au long de l’œuvre.
Ainsi s’achève ce septième concert en huis clos qui devrait recueillir les suffrages des mélomanes internautes en grand nombre. A noter le lien du streaming correspondant sur la chaine Youtube de l’Orchestre National du Capitole.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse