L’Orchestre national du Capitole de Toulouse poursuit sa saison à la Halle aux Grains avec la retransmission en ligne d’un concert dirigé par Kahchun Wong qui invite le violoniste Daniel Lozakovich.
Malgré l’absence de public, la saison de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse se poursuit à la Halle aux Grains, avec la retransmission en ligne et en direct de certains concerts. Ainsi, réunissant le Deuxième concerto pour violon de Mendelssohn et la Cinquième symphonie de Mahler, le programme dirigé par Kahchun Wong (photo) sera notamment visible sur la page Facebook et la chaîne Youtube de l’ONCT. Né à Stockholm en 2001, le violoniste Daniel Lozakovich sera l’interprète du Concerto en mi mineur de Felix Mendelssohn Bartholdy.
Comptant parmi les plus célèbres pages concertantes du XIXe siècle pour cet instrument, ce Concerto en mi mineur est le second essai du genre d’un musicien alors âgé de 35 ans. Il avait composé un Concerto en ré mineur en 1822, à l’âge de 13 ans, révélant déjà une technique hors du commun et une passion pour l’œuvre de Jean-Sébastien Bach. Mendelssohn mit en chantier ce nouveau concerto au cours de l’été 1838. Il le dédia à son ami Ferdinand David (1810-1873), qu’il avait engagé comme violon solo de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig. Le compositeur écrivit alors au violoniste: «J’aimerais te composer un concerto pour violon d’ici à l’hiver prochain ; il m’en trotte un dans la tête, en mi mineur, dont le début ne me laisse pas en paix». Le dédicataire promit en retour de «tellement le travailler que les anges du ciel se réjouir[aie]nt». Six ans plus tard, Mendelssohn tint enfin sa promesse.
La partition transgresse bien des traditions. Ainsi, la manière dont Mendelssohn renonce à la traditionnelle exposition orchestrale, en faisant commencer le concerto par le soliste, est alors inédite. De même, la cadence surgit contre toute attente au milieu du premier mouvement, comme partie intégrante du tissu orchestral – à l’époque, la cadence se devait de conclure le plus brillamment possible la première partie. Avant tout soucieux d’assurer l’unité de l’œuvre, Mendelssohn fit en sorte que les trois mouvements apparaissent comme enchaînés les uns aux autres. Il bénéficia par ailleurs des conseils de Ferdinand David, comme le montre une correspondance particulièrement dense entre les deux artistes.
Le vigoureux «Allegro molto appassionato» qui ouvre la partition expose la mélodie au violon soliste puis aux bois. Le premier thème se présente comme un lied fiévreux alors que le second est une mélodie rêveuse. Une tenue du premier basson fait glisser le mouvement dans l’atmosphère du suivant. «L’Andante» qui suit est une page lyrique dont le caractère sombre ne transparaît que dans la section centrale. Les trompettes et les timbales sont alors soutenues par les trémolos des cordes. Le climat s’estompe pour faire place au mouvement final. L’«Allegro molto vivace» est alors introduit par un «Allegretto non troppo» faisant figure de transition. Dynamique, pétillant et capricieux, ce dernier mouvement adopte les allures du « Songe d’une nuit d’été »: qualifié de «féerie romantique de sylphes» par les compositeurs romantiques, sa virtuosité n’est jamais gratuite et il est pourvu de la mention «leggiero» en guise d’indication de jeu.
Souffrant, Mendelssohn ne put assister à la création de son concerto par le dédicataire, Ferdinand David. Son assistant, le compositeur danois Niels Gade en assura la première à la tête de l’Orchestre du Gewandhaus, le 13 mars 1845. Un mois avant sa disparition, Mendelssohn assista à l’interprétation qu’en fit Josef Joachim, un jeune prodige alors âgé de 14 ans, le 3 novembre 1847.
Ce concert s’achèvera avec la Cinquième symphonie de Gustav Mahler dirigée par Kahchun Wong, jeune chef né à Singapour en 1986. Comme la plupart des autres œuvres symphoniques du compositeur, la Symphonie n° 5 célèbre le triomphe de l’humain, sa victoire sur la tristesse et la mort. En 1901, Mahler entreprend d’écrire cette nouvelle symphonie, après avoir achevé les sept « Rückert Lieder » et son dernier lied « Wunderhorn ». La structure globale est fixée dès le début du processus d’écriture, mais l’œuvre ne sera achevée qu’un an plus tard, dans le hameau autrichien de Maiernigg. Mahler ajoute alors un double premier mouvement au «Scherzo» et une dernière partie incluant le célébrissime «Adagietto» et le rondo final. La symphonie comprend ainsi cinq mouvements répartis en trois sections, le «Scherzo» étant le centre de gravité de l’œuvre toute entière.
La Cinquième symphonie ouvre une nouvelle période pour le compositeur («un nouveau style», écrit Mahler): l’œuvre est en effet le premier numéro d’un triptyque entièrement instrumental regroupant les Cinquième, Sixième et Septième symphonies. Elle décrit une renaissance, qui conduit de l’obscurité vers la lumière – de la souffrance vers la transcendance. La première partie, dominée par une marche funèbre particulièrement oppressante, mène ainsi vers un «Scherzo» dynamique puis un finale clair et lumineux.
Mahler assure: «Chaque note est animée d’une vie suprême et l’ensemble tourne comme un tourbillon ou comme la chevelure d’une comète. Aucun élément ni romantique ni mystique ne s’y est inséré, on n’y trouve que l’expression d’une force inouïe. C’est l’homme dans la pleine lumière dans l’éclat du jour, parvenu au point culminant de sa vie. L’ouvrage entier sera instrumenté dans le même esprit […]. La voix humaine n’y trouverait absolument pas sa place. Le mot est ici totalement inutile car tout est exprimé par des moyens purement musicaux.»
Lorsque Mahler retourne à Maiernigg, à la fin du mois de juin 1902, sa vie a radicalement changé. Il est accompagné de sa jeune épouse Alma Schindler, qui devient la «gardienne du foyer», rôle occupé jusque-là par Justi, la sœur du compositeur. Sa symphonie achevée, Mahler emmène Alma jusqu’à la «Häuschen» (son refuge situé dans les bois, éloigné de la maison), où il joue toute la partition au piano. Comme de coutume, il apportera quelques modifications au cours de l’année suivante, de sorte que la version complète et définitive sera seulement prête en 1903. Cette nouvelle symphonie va néanmoins devenir une source de préoccupation majeure, plus encore que les précédentes, car l’orchestration ne lui donne pas entière satisfaction. Une première révision est effectuée en 1904, suivie de beaucoup d’autres. Mahler continuera à perfectionner et à ciseler l’orchestration de sa Cinquième symphonie jusqu’à la fin de sa vie — ses dernières révisions datent de 1910.
La Cinquième symphonie s’ouvre sur une Marche funèbre. Ici, la mort n’est plus auréolée d’un voile romantique comme dans la Quatrième symphonie, mais est d’emblée présentée comme un événement angoissant. Le deuxième thème, plaintif et confié aux violons, est aussi bien lié au premier Lied des « Kindertotenlieder » qu’au Lied « Wunderhorn », dans lequel les pensées de l’enfant sont pratiquement réduites à néant, ce qui amène une méditation sur la mort universelle. Suit alors un trio central sauvage, un appel au deuil. Dans un deuxième trio, moins tumultueux, le passage plaintif se déploie pleinement et atteint un climax passionné.
Le deuxième mouvement, «Allegro», est la prolongation du premier. Le paragraphe d’ouverture se poursuit par la musique des trios, tandis que le deuxième paragraphe s’inspire de la marche funèbre, et en particulier des lamentations. À mi-parcours du mouvement, la musique se transforme soudain en marche, puis un moment triomphal (en la majeur) résonne brièvement avant d’être balayé. La marche revient cependant, en ré majeur cette fois — la tonalité vers laquelle tend en réalité la symphonie —, et converge vers un choral plein d’allégresse. De nouveau, le triomphe est prématuré: le choral s’évapore, laissant la place à la musique d’ouverture qui achève le mouvement dans une atmosphère sombre.
Mahler demande une longue pause avant le «Scherzo» qui se présente comme une fusion étendue et exubérante de danses populaires et viennoises, avec un passage obbligato pour le premier cor, qui mène la danse tout en amenant des moments de contemplation nostalgique. Ce monumental «Scherzo» est le plus long écrit jusqu’alors dans l’histoire de la musique. L’«Adagietto» qui suit développe l’ambiance apaisante perçue dans le mouvement précédent. Offrant une véritable lettre d’amour sublimée à son épouse Alma, Mahler cite ici son « Rückert Lied » «lch bin der Welt abhanden gekommen». Traversé de superbes mélodies, dans une atmosphère calme et contemplative, ce célèbre «Adagietto» — utilisé par Luchino Visconti dans son film « Mort à Venise » — est empreint d’un lyrisme doux-amer.
S’avançant immédiatement, le mouvement final entremêle des éléments antérieurs, des thèmes qui évoquent des chants populaires et des fugues majestueuses dans un jeu de lignes impétueux. Il s’achève sur un choral glorieux qui s’épanouit pleinement — contrairement à celui du deuxième mouvement. L’affliction profonde et la lumière éblouissante, deux éléments qui parcourent cette symphonie, s’unissent alors dans un finale somptueux, festif et ensoleillé. La Cinquième symphonie a été créée le 18 octobre 1904, à Cologne, sous la direction du compositeur.
Jérôme Gac
Kahchun Wong © Angie Kremer