Compte rendu Concert. Toulouse, le 8 Janvier 2021. Halle-Aux-Grains. Robert Schumann (1810-1856) : Ouverture de Genoveva ; Concerto pour piano et orchestre en la mineur, op. 54 ; Symphonie n°4 en ré mineur, op. 120 ; Adam Laloum, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Maxim Emelyanychev, direction.
Schumann comme épuré
Ce concert est exceptionnel sur bien des plans. Déjouant le sort qui semble vouloir tuer la culture vivante, les organisateurs ont convié les journalistes. Ainsi une poignée de chroniqueurs a pu, en ordre dispersé, assister à un concert filmé par Médici TV avec la mission d’en faire un retour. Car les journalistes artistiques eux aussi sont contraints au silence par manque de concerts.
C’est donc ma plume joyeuse qui retrouve le clavier !
Quoi qu’il en soit, l’Orchestre du Capitole a su développer une politique volontaire depuis le début de la fermeture de la Halle-Aux-Grains. Les concerts ont eu lieu et ont été filmés et diffusés en direct sur les réseaux sociaux. Ils sont ensuite disponibles à la revoyure (pour être vus et revus) et peut être qu’au final leur audience dépassera le public habituel de la Halle avec ses 2000 places. Peut-être qu’au final aussi un nouveau public viendra écouter l’Orchestre en concert.
L’équipe vidéo de l’Orchestre a ainsi pu prendre du galon et nous constatons de captations en captations les progrès. Mais ce soir c’est la Rolls de la vidéo musicale qui se charge du film, tous dans cette équipe de Medici TV sont des artistes magiques dirigés par Jean-Pierre Loisil. Chaque instrument soliste est vu au bon moment, les regards sont complices, les gestes du chefs enthousiastes et le jeu du pianiste d’une sensibilité rare. Et ce programme tout Schumann quelle belle idée !
L’ouverture de Genoveva est une grande et belle pièce de concert qui développe une théâtralité passionnée sous la direction d’un Maxim Emelyanitchev particulièrement inspiré. Le final est enthousiaste et plein d’une passion délirante.
Puis l’arrivée du soliste est toujours un moment émouvant, la lente et élégante installation du piano d’abord puis les deux jeunes musiciens entrent en scène dans un même élan. Emelyanitchev dans une énergie elfique et Laloum comme un Giacometti vivant. Le concerto de Schumann est une œuvre à la fois très inspirée et homogène dans sa qualité constante. Le premier mouvement composé d’abord comme une pièce indépendante s’intègre à la perfection dans ce concerto en trois mouvements, tous fondus entre eux. Dès les premiers instants nous percevons que l’entente entre les deux musiciens est totale. Les regards, les égards, tout est recherche de partage et d’harmonie. La manière dont les nuances piano sont construites ensemble, puis le délicat crescendo permet de déguster comme rarement la finesse d’écriture de Schumann. La délicatesse du toucher d’Adam Laloum quasiment mozartien trouve un écrin élégant dans l’orchestre dirigé par Emelyanitchev. Le premier mouvement permet un dialogue d’amour entre musiciens qui renouvelle complètement la notion de concerto. Il n’y a jamais rien de démonstratif mais rien que du partage, de l’écoute comme une communion. Comment le hautbois et le piano se répondent, comment la clarinette et le basson colorent le propos et comment le piano se moule dans leurs sonorités veloutées, vous pouvez le retrouver dans le vidéo. Dans le deuxième mouvement c’est le beau chant des violoncelles qui émeut et le final est d‘une flamboyance rare. Un concerto de Schumann comme dégraissé est rendu à un naturel de pureté. Schumann y offre à sa chère Clara un dialogue digne de la musique de chambre, y associant une virtuosité toujours musicalement justifiée. L’amour de la musique, rien que de l’amour jamais de combat ou d’opposition.
La jeunesse de cette partition rendue à sa pureté par l’osmose entre le chef et le soliste est un moment béni. Laloum est dans son répertoire de prédilection et son sens du phrasé, sa compréhension de toutes les facettes de l’œuvre, font de son interprétation la plus éloquente que j’ai jamais entendue. Emelyanitchev dirige comme par magie avec des gestes doux et jamais violents. Il obtient avec cette douceur plus de feu et d’âme que bien d’autres chefs. Et les musiciens de l’orchestre partagent avec joie cette vision lumineuse et joyeuse. C’est un véritable enchantement qui lie ainsi ces artistes. Quel dommage que le public n’aie pu, après avoir partagé ce moment, manifester avec reconnaissance sa joie dans des applaudissements généreux.
La dernière œuvre du concert est la quatrième symphonie de Schumann, celle que le compositeur voulait la plus expérimentale en liant sans silence les mouvements. Œuvre qui coule, qui avance et exprime le plaisir de vivre. La passion de la vie dont regorge cette belle partition trouve en Emelyanitchev un chef qui en comprend toute la profondeur. Il obtient des musiciens de l’orchestre un jeu vibrant et plein de vie à chaque instant, jamais rien de lourd même dans les moments où la puissance se développe. Il y a vraiment quelque chose d’inspiré et de magique dans la direction de ce jeune chef. L’enthousiasme est communicatif mais sans précipitation. Il sait déguster la beauté de la musique et nous la rend limpide. Chaque musicien mérite d’être cité. Ils ont tous été merveilleux. Chacun a semblé donner ce qu’il peut de mieux et que le résultat est beau !
Un mot encore sur le plaisir des oreilles dans la vaste Halle-Aux-Grains silencieuse. Le son est pur, précis et l’équilibre sonore est absolument sidérant. La distance entre les musiciens, leur disposition germanique avec les contrebasses de face au fond, les violons 1 et 2 de part et d’autre du chef et la timbale au niveau des bois créent une ambiance merveilleuse. Cela fonctionne parfaitement et la précision de la direction, la finesse du jeu du pianiste trouvent ici un écrin parfait. La joie d’entendre un orchestre en liberté même si en période de disette, les enregistrements écoutés au salon sont un vrai bonheur tout de même … ce soir c’est un rappel à la vie !