Le 5 décembre à 18 h, la Halle aux Grains de Toulouse a connu un beau moment d’optimisme. Pour le quatrième de la série de ses concerts sans public, mais largement diffusés sur les réseaux sociaux, l’Orchestre national du Capitole offrait la rencontre prévue avec deux grands artistes invités, le chef d’orchestre allemand Cornelius Meister et le plus français des pianistes américains, Nicholas Angelich. A cette occasion, un public réduit de journalistes, dont l’auteur de ces lignes, était convié à assister en direct à l’événement. Un privilège que cet article entend partager avec les mélomanes impatients de retrouver le concert vivant.
Le chef d’orchestre invité Cornelius Meister – Photo YouTube ONCT –
Dans la Halle aux Grains sous confinement, les musiciens de l’Orchestre national du Capitole s’adaptent aux circonstances. A l’exception des sections d’instruments à vent (nécessité oblige !), ils portent le masque et restent à bonne distance les uns des autres. Ils occupent ainsi tout l’espace d’un plateau qui déborde largement sur le parterre dont tous les sièges ont été retirés. Un tel dispositif n’a pas que des conséquences visuelles. La salle vide de ses spectateurs et la surface sans fauteuil qui sert de proscénium entraînent un bénéfice acoustique qu’il faut bien reconnaître. L’ampleur sonore confère un nouvel équilibre entre les différents pupitres et entre l’orchestre et les solistes. Un privilège supplémentaire pour les quelques spectateurs de cette fin d’après-midi !
Néanmoins, le plus important reste la musique. Rappelons que ce concert, comme les précédents, est diffusé en direct sur les réseaux sociaux et en particulier sur la chaîne YouTube de l’Orchestre national du Capitole qui permet à chacun d’assister ultérieurement à ce concert et ce jusqu’au 18 janvier.
On peut sans réserve se réjouir de retrouver ce jour-là Cornelius Meister à la tête de notre Orchestre. Le jeune chef allemand, récompensé dans la catégorie « Chef de l’année », d’un International Classical Music Award, avait fait ses débuts à Toulouse lors d’un concert caritatif, le 5 mars dernier, concert au cours duquel il avait fait forte impression. Il confirme largement ce soir-là cette première appréciation.
Autre attrait de cette rencontre, la participation comme soliste prestigieux du pianiste Nicholas Angelich que l’on ne présente plus au public toulousain avec lequel il a tissé des liens musicaux étroits. Ses nombreuses apparitions auprès de l’orchestre et dans le cadre du festival Piano aux Jacobins en font un invité récurrent. Poursuivant la célébration Beethoven, Nicholas Angelich offre ce samedi 5 décembre sa vision enflammée du Concerto n° 5 baptisé « L’Empereur ». Entouré, choyé, soutenu par un orchestre rutilant mais respectueux, le pianiste ouvre cette exécution comme un torrent dévale la montagne. Soulignons avant tout la parfaite fusion qui s’établit entre les couleurs de l’orchestre et celles, flamboyantes, du piano. Dès l’Allegro initial se manifeste un élan volontaire et énergique de la part du soliste, tempéré par ces plages de rêverie au cours desquelles le piano semble se recueillir. Même dans l’Adagio, apaisé et élégiaque, la tension ne se relâche pas vraiment. Le subtil enchaînement avec le final, comme une attente révélatrice, aboutit à une véritable explosion de joie. Le soliste et l’orchestre rivalisent de fièvre et d’enthousiasme jusqu’à l’ivresse de la conclusion.
Le grand pianiste Nicholas Angelich, soliste du 5ème concerto de Beethoven – Photo YouTube ONCT –
Acclamé par les musiciens et le chef, Nicholas Angelich exprime ses remerciements à tous les participants. Bien sûr, les applaudissement du public manquent ici terriblement. Les musiciens, visiblement heureux de retrouver la ferveur qui les unit, ne manquent pas de manifester leur bonheur.
La seconde partie du concert réunit sur le plateau de la Halle l’orchestre gigantesque qu’exige le poème symphonique de Richard Strauss Ein Heldenleben (Une Vie de héros), dont l’effectif orchestral dépasse la centaine de musiciens. Dirigée sans partition par Cornelius Meister, cette incroyable autobiographie musicale faisait dire laconiquement à son auteur « Il y a là un héros aux prises avec ses ennemis » ! L’orchestration luxuriante de cette partition exige de tous les pupitres, de tous les musiciens, une véritable performance. Chaque épisode de cette épopée peut se référer à la vie même de Richard Strauss qui serait ainsi modestement le héros de l’histoire.
L’Orchestre national du Capitole au complet dans le poème symphoniquez de Richard Strauss Ein Heldenleben – Photo YouTube ONCT –
Disons-le tout net, l’Orchestre national du Capitole se hisse ici au plus haut niveau dans la hiérarchie des formations symphoniques internationales. Collectivement et individuellement, la qualité musicale éblouit. « Primus inter pares » (premier entre ses pairs) Kristi Gjezi, violon super-soliste, réalise dans l’ahurissant solo que lui réserve Strauss, une stupéfiante performance à la fois technique et profondément musicale. Incarnant la compagne du héros, le violon ne se contente pas de pirouettes virtuoses. Le soliste sait avec finesse en exprimer l’ironie, la séduction, la vivacité.
Passées les profondeurs sonores de l’introduction, portées avec intensité par les cordes graves, les événements se succèdent dans une vitalité irrésistible. La petite harmonie excelle dans l’expression inquiétante des « ennemis » du héros. L’épisode de la bataille explose comme un feu d’artifice grâce aux pupitres de cuivres portés à l’incandescence. L’autocitation par Strauss de son autre poème symphonique Don Juan donne au pupitre de cors une occasion supplémentaire de briller autour de son soliste Jacques Deleplancque, toujours aussi flamboyant. Jusqu’aux dernières mesures, Cornelius Meister maintient cette tension subtile qui se résout enfin dans un apaisement lumineux. Du grand art !
Le premier violon super-soliste de l’Orchestre Kristi Gjezi – Photo YouTube ONCT –
En l’absence de public, c’est l’ensemble des musiciens de l’orchestre qui acclament leur leader Kristi Gjezy dont on n’oubliera pas de sitôt l’éblouissant solo de violon. Ils remercient également le chef invité avec lequel s’est tissé un solide lien artistique. Un chef qui applaudit lui-même tous les acteurs de cette réussite. Une autre acclamation salue le bassoniste Christophe Viviès auquel le délégué général de l’orchestre, Thierry d’Argoubet, offre le traditionnel bouquet d’au revoir à l’occasion de son départ à la retraite. Ce sympathique musicien achève en effet son activité de quarante années au sein de son orchestre. Il n’est pas exclu néanmoins que Christophe Viviès refasse quelques apparitions ponctuelle au sein de cette belle famille musicale.
Nous ne pouvons qu’inciter les mélomanes qui n’ont pas pu suivre en direct la diffusion de ce concert à se connecter sur la chaîne YouTube de l’Orchestre pour en goûter les beautés. Notons que la qualité de la réalisation visuelle autant que sonore de cet événement fait honneur aux équipes techniques de la Halle aux Grains, fortement investies dans cette belle tâche.
Le lien direct avec cette vidéo est le suivant : ICI
Les prochains concerts marqueront, souhaitons-le vivement, l’ouverture au public de ces rencontres indispensables avec la musique vivante.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre National du Capitole de Toulouse