Thibaut Garcia, Révélation aux Victoires de la musique classique en 2019, vient de sortir un nouvel album chez Warner Classics, intitulé « Aranjuez », avec l’Orchestre national du Capitole de Toulouse placé sous la direction de Ben Glassberg. Ce très beau disque a reçu un « Diapason d’Or » du grand magazine de musique classique Diapason et un « Choc Classica » de la revue éponyme. Thibaut Garcia choisit ici d’entourer le célèbre concerto de Joaquín Rodrigo d’une série de pièces concertantes et solistes habilement liées entre elles.
Thibaut Garcia © Marco Borggreve
Très astucieusement conçu, le programme de cet album place en miroir deux illustrations du monde des cordes pincées. D’un côté l’apothéose romantique de la guitare, autour de la figure emblématique de Joaquín Rodrigo, de l’autre celle du luthiste de l’époque baroque Robert de Visée.
Le Concierto de Aranjuez de Joaquín Rodrigo, qui donne son nom à l’album, constitue à l’évidence le cœur de cette nouvelle publication. Comme l’a récemment confié Thibaut Garcia, ce chef-d’œuvre universel de la guitare l’habite depuis son enfance et constitue le déclencheur de sa vocation musicale.
Son amour de cette partition transparaît dès ses premières mesures a capella de l’Allegro con spirito initial. L’introduction irradie un frémissement joyeux et en même temps une tendresse particulièrement touchante. Les nuances qui l’animent témoignent en outre d’une impressionnante fusion expressive entre l’instrument soliste et l’orchestre. La poésie digitale de Thibaut Garcia transparaît dans la finesse des ornementations choisies. Elle bénéficie en outre des riches couleurs « ibériques » de tous les pupitres de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse.
Après le beau dialogue du premier volet, le célébrissime Adagio, qui a inspiré tant de musiciens de tous horizons, déroule sa mélodie nostalgique. Admirons tout particulièrement la beauté formelle et expressive du solo de cor anglais de Gabrielle Zaneboni dont les habitués de la Halle aux Grains connaissent bien les qualités. Cette tendresse affective est suivie de la joie solaire d’un final éblouissant qui résonne comme un jeu d’échanges entre la guitare et l’orchestre habilement mené par Ben Glassberg. La réussite est complète.
Ce concerto est suivi d’une série de pièces solistes de Regino Sainz de la Maza, le guitariste dédicataire et premier interprète du Concierto de Aranjuez. Une musique aux profondes racines ibériques qui semble couler dans les veines de Thibaut Garcia.
L’autre face de ce programme rend justice à l’un des maîtres du luth et de la guitare baroque, le Français Robert de Visée dont on ne connaît que peu d’éléments de la vie si ce n’est qu’il fut proche de Louis XIV. L’un des grands admirateurs de son œuvre, le compositeur d’origine polonaise naturalisé français Alexandre Tansman, né en 1897, lui rend hommage dans sa Musique de cour pour guitare et orchestre de chambre. On peut voir dans cette œuvre « néo-classique » une démarche proche de celle de Stravinsky dans son ballet Pulcinella. Cette partition, qui reprend quelques thèmes originaux de Robert de Visée, est abordée par Thibaut Garcia et l’ONCT avec un respect, une délicatesse et une musicalité exemplaires.
Il était tentant de revenir à l’original en révélant au grand public l’œuvre trop rare de Robert de Visée, lui-même guitariste, luthiste et théorbiste. Thibaut Garcia choisit ici de graver sa Suite en la mineur. Tirée des Pièces de théorbe et de luth, cette très belle partition n’est donc pas destinée à la guitare ! Qu’à cela ne tienne, Thibaut Garcia s’est chargé de la transcrire pour son instrument, une pratique éminemment courante de la période baroque. Le résultat fait rêver. Du Prélude à la Gigue finale, en passant par une touchante Sarabande, l’interprète confère à cette succession de danses une élégance, un raffinement admirables. De la très belle musique qui complète au plus haut niveau ce recueil témoin d’un talent hors du commun, celui de Thibaut Garcia, musicien de premier plan dont on admire autant la perfection technique que l’extrême musicalité.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Thibaut Garcia • Aranjuez
ERATO – Warner Classics