Cette première traduction en français d’un ouvrage de l’écrivain chinois Ye Lingfeng (1905-1975) est, en elle-même, un événement. Né à Nankin, Ye Lingfeng est un acteur important de la littérature chinoise des débuts du 20è siècle. Lui qui se plaît à mettre la femme moderne au cœur de ses écrits, va cependant se passionner pour le célèbre roman d’Oscar Wilde : Le Portrait de Dorian Gray.
Petit à petit, nous sommes dans les années 30, Ye Lingfeng prend du recul par rapport à l’écriture officielle, au point d’être rejeté par les élites littéraires de l’époque qui n’hésitent pas à le surnommer le « lettré voyou ». Captivé par la littérature européenne, il vit à Shanghai, principale ville de la Chine d’alors.
C’est là qu’il publie Confessions inachevées (1932). A la lecture de ce roman, il est aisé de reconnaître des figures tutélaires du romantisme français que sont les héroïnes de La Dame aux camélias (Alexandre Dumas fils), Manon Lescaut (l’Abbé Prévost) et Sapho (Alphonse Daudet). Inversant la hiérarchie traditionnelle, le personnage dominant est ici une femme libérée, moderne, fragile et fatale. Ye nous met dans les pas d’un jeune homme, riche, un dandy, tombant amoureux d’une danseuse. Dans cette ville semi-coloniale de Shanghai, la danse de salon fait fureur, les dancings se peuplent alors d’héritières des anciennes courtisanes. Elles invitent les clients à danser, à boire aussi et parfois la relation se poursuit… L’auteur se fait narrateur en recueillant les confessions de ce dandy.
C’est alors tout le Shanghai des années 30 qui apparaît à nos yeux, avec ses avenues, ses ruelles, sa domesticité et sa fascination pour l’Occident. C’est surtout le portrait d’une femme aux contours complexes, à la fois mystérieuse, frivole mais avant tout séductrice. En filigrane Ye nous parle d’un rêve, celui de ce fils de famille, dont le père refuse la liaison avec cette danseuse, qui envisage un moment de faire de cette jeune femme une épouse modèle, presque domestiquée. Les confessions du jeune homme seront inachevées… Ye tentera d’en savoir plus en rencontrant la danseuse. Cette dernière lui échappera aussi et s’envolera dans les limbes des passions inassouvies comme la plus pure fragrance d’un camélia.
Etrange roman, ici dans la traduction de Marie Laureillard, dont l’apparente simplicité rhétorique (narration/dialogue) ne peut cacher son panorama follement romantique doublé ici d’une dose d’érotisme subtilement dissimulée dans des couleurs, des descriptions de vêtements, des lieux, des non-dits… Découpé en 65 chapitres, ce livre est aussi un véritable journal de bord d’un naufrage sentimental d’une poignante mélancolie. Etonnamment fascinant de par sa simplicité. Une découverte, assurément !
« Confessions inachevées », Ye Lingfeng – Serge Safran éditeur
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