Illustration en quelques mots : Les Pêcheurs de perles en ouverture de saison se révélant impossible au vu de l’énoncé des règles sanitaires à respecter, on supprime ou on réfléchit à une autre solution. Là, miracle, illumination, divine ou pas ? Et pourquoi pas, à la place, donner Cosi fan tutte ? Pas de danseurs, chœurs moins présents, une cheffe dispo car empêchée de rejoindre San Francisco pour diriger justement Cosi, une mise en scène prête à l’emploi, et des chanteurs qui peuvent basculer des Pêcheurs sur Cosi, avec prise de risque acceptée et voilà. Avec la réussite au bout.
Claire Roserot de Melin
Mais tout n’a pas été si simple, ô combien. Après la fin de saison précédente si dramatiquement tronquée, anéantie et nous clouant de stupeur, sans parler d’un été tétanisant, comment envisager une nouvelle saison, se projeter dans le temps et décider quoi. Claire Roserot de Melin, administratrice générale du Théâtre et de l’Orchestre du Capitole nous détaille un peu par le menu les coulisses de l’exploit, si l’on peut dire : ouvrir à la date prévue la saison pour les deux structures.
Michel G. Mais comment faire revenir au Théâtre le public au milieu de tous ces atermoiements ?
Claire R : Quand il fut décidé que les structures ne décideraient pas : portes closes, le principe a été le suivant : Tout doit être fait pour rassurer. Rassurer chaque spectateur et lui montrer que les règles sanitaires sont respectées aussi bien pour eux que pour l’ensemble des membres du personnel rattaché à la structure. Que gérer le risque malgré les fluctuations est un impératif majeur concernant aussi bien le plateau que la fosse que les coulisses et la billetterie. Sans oublier le personnel dit “invisible“ mais qui, s’il n’est point là, fait qu’un spectacle ne peut se dérouler. Et évidemment la salle et donc le public.
Théâtre du Capitole © Patrice Nin
Michel G. En un mot, faire en sorte que le public se réapproprie son Théâtre ou la Halle, sans aucune appréhension ?
Claire R. : Ne pas oublier que depuis le début de cette crise sanitaire aux contours impensables, il a fallu pratiquement au jour le jour, gérer les changements, les contraintes, en pensant d’abord à la préservation, coûte que coûte, de la bulle dite artistique. Le plateau d’abord, inviolable, testé, surveillé comme le lait sur le feu. Aucune faille ne doit être permise. Tout doit être fait pour préserver ce moment d’exception. Et tout, tourne autour. Les quelques quatre cents membres du personnel plus les quelques trois à quatre cents dits intermittents sont répartis en cercles concentriques avec les mesures à prendre en fonction de leur rapprochement-éloignement du point névralgique. Bien sûr, l’Agence Régionale de Santé n’est pas loin car on n’oublie pas que la structure que j’ai en charge constitue le plus important vivier d’emploi de la Région dans le milieu culturel. Nous sommes aussi en relation directe avec un laboratoire pour les tests.
Les détails, trop longs à énumérer me prouvent que, sur le coup, ils ont été, et sont toujours, bons !!! c’est le moins qu’on puisse dire. Chapeau……
Cosi Fan Tutte © MG
Michel G. Mais, côté billetterie ?
Claire R. : Des prouesses ont été réalisées en ce domaine aussi. Faire et défaire, c’est une crise insensée à gérer, qui ne laisse aucun répit. Les capacités d’accueil et la qualité des productions passées font que la jauge, plus que fluctuante, impose des restrictions et des frictions pour certaines dates. Le public peut facilement comprendre que, retrouver sa place pour chaque réservation faite, est du domaine de l’impossible. En respectant la distanciation imposée, “briefé“ au mieux par leur responsable avec toute l’efficacité requise, le personnel de salle, dirige avec tact les spectateurs dans leur zone et tout se passe sans trop de grincements.
Victoire indispensable, et confirmée. De même pour l’évacuation qui se déroule en toute tranquillité.
Hélas, des contrariétés sont aussi au rendez-vous car cette fameuse jauge ne permet plus de satisfaire l’accueil au dernier moment d’un certain public mais, l’essentiel est sauf. Le spectacle a lieu, la représentation de l’opéra comme le concert. Et l’artistique retrouve avec une joie non dissimulée un public même si ce n’est pas tout son public, la salle ayant donc ses limites imposées par la gestion de crise.
Christophe Ghristi © Pierre Beteille
Michel G. Justement, l’artistique ? En reconnaissant qu’une bonne fée au milieu de toutes ces mauvaises a bien voulu faire en sorte que l’ouverture de saison puisse se réaliser. Christophe Ghristi a reçu un grand coup de baguette magique, ce qui lui a permis de passer des Pêcheurs de perles aux pécheresses, pardon à Cosi fan tutte, presque sans difficultés. (Là, revoir mon article précédent sur le changement pour l’ouverture qui vous instruit sur les conditions suivant lesquelles la transmutation heureuse a pu s’effectuer).
Claire R. : L’artistique n’est pas épargné puisque les artistes ne peuvent circuler facilement surtout lorsqu’il y a des frontières à passer, des quarantaines, ou quatorzaines, ou autres périodes d’isolement à respecter : un vrai casse-tête. Et une certaine désolation pour les artistes qui se voient refusés tel ou tel engagement pour incapacité non pas artistique mais de déplacement. Pensons à eux qui, depuis sept mois, n’ont pu faire leur métier et qui reprennent, se retrouvent sur un plateau, “bourrés“ d’émotion, la joie et le soulagement étaient palpables à la fin du spectacle !
Satisfaction, mais plus que conséquente tout de même, si on se doit de préciser que les structures ont bel et bien assumé le côté financier que l’on ne peut se permettre de négliger.
En effet, tous les membres du personnel au Théâtre comme à la Halle, ont d’une manière ou d’une autre touché leurs émoluments depuis le début de la crise. Quant aux non-permanents, elles les ont aussi prises en compte au mieux. C’est, côté artistique, que des contrats ont pu être renégociés avec chaque intéressé et au mieux, car on connaît le feeling qui caractérise chaque responsable avec chacun des artistes invités. Une chance.
Cosi Fan Tutte © MG
Michel G. Si l’on peut conclure avec quelques mots sur la représentation de la première de Cosi fan tutte de ce cher Mozart, soyons tout d’abord aussi émus, sûrement, que les participants de ce spectacle de retour dans la fosse ou sur le plateau ou, dans la salle puisque les choristes ont occupé quelques loges et autres fauteuils pour respecter les distanciations mais ce fut du meilleur effet dans leur rare intervention dans cet opéra. Ivan Alexandre règle une mise en scène qui fonctionne si bien avec la production créée pour le charmant théâtre unique dans son genre du château de Drottningholm.
Antoine Fontaine, décors et costumes, et Tobias Hagström Ståhl, lumières construisent un écrin tout à fait adéquat et pratique pour le jeu et le chant des six protagonistes qui s’en donnent à cœur joie et dont on n’analysera pas dans le détail la performance, pleine d’émotion et de joie manifeste de se retrouver sur un plateau éloigné depuis tant de mois. Anne-Catherine Gillet, Julie Boulianne sont tourneboulés par l’inconséquence de leurs amants respectifs Alexandre Duhamel et Mathias Vidal. Qui tirent les rênes de cet opéra buffa, c’est un couple en accord parfait formé par Sandrine Buendia et Jean-Fernand Setti. Quant à la musique de Mozart dans la fosse, elle avance grâce à la baguette très efficace de Speranza Scappucci qui ne perd rien de tout ce qui se passe sur le plateau.
En un mot, une grande victoire sur ce terrible imprévu.
Les deux dernières représentations peuvent vous offrir encore des possibilités.
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole