COMPTE RENDU Concert. TOULOUSE. HALLE AUX GRAINS, LE 10/09/2020. L.V. BEETHOVEN.J. BRAHMS. ORCH. NAT. DU CAPITOLE. S.J. CHO. T. SOKHIEV.
Le premier concert de la saison de l’Orchestre du Capitole de Toulouse est toujours un moment très particulier. En association avec Piano Aux Jacobins nous avons droit à un concerto pour piano et une symphonie tout deux portés au sublime par des interprétations inoubliables. Ce soir c’est encore plus extraordinaire que d’habitude. En effet les conditions sanitaires ont laminé la fin de saison dernière. Trois exceptionnels concerts avaient eu lieu au mois de juillet pour nous permettre de patienter jusqu’à la nouvelle saison. Et nous y sommes : l’orchestre et là, le chef est là, et nous aurons un pianiste, le jeune Sud-coréen : Seong- Jin Cho, alors que le premier pianiste prévu n’a pu quitter la Chine. Ce premier concert de la saison s’est donc déroulé devant une salle dont les places ont été limitées à un peu plus de la moitié, tous les spectateurs étaient masqués ayant tous désinfecté leurs mains à l’entrée dans la salle avec du gel hydroalcoolique, dans un ballet d’approche de leur siège tout à fait bien réglé par les différents placeurs et ouvreuses. On le dira d’emblée, il n’y a pas le moindre risque d’attraper quoi que ce soit en venant à La Halle aux Grains : les conditions de distanciation sont parfaites. Même le départ de La Halle aux Grains qui donne lieu d’habitude à la cohue a été un départ en douceur, progressif en respectant les distances. Et la musique ! La musique sur le vif, en face-à-face, quel bonheur !!! Tous ceux que la peur a tenu loin de la musique ce soir ont perdu leur temps.
Les musiciens étaient tous rayonnants et ont tous joué comme si leur vie en dépendait. Mais, au fait c’est bien de cela qu’il s’agit, leur vie en dépend, notre vie en dépend. Personne ne peut vivre sans musique dans le sens où vivre c’est ressentir des émotions et les partager. Le partage du concert est INDISPENSABLE pour musiciens et public tout autant.
Pour débuter le concert Tugan Sokhiev a choisi l’ouverture de Fidelio. On le sait Beethoven a beaucoup cherché la bonne version de cette ouverture et il en a écrit en fait quatre, celle-ci est la dernière mouture, la plus splendide, la plus immédiate, théâtrale et peut être la plus émouvante. L’orchestre se jette dans cette aventure avec un panache, une joie et une beauté sonore incroyables. Le lyrisme éclate, les contrastes sont saisissants, les phrasés se développent avec intelligence. Nous avons la chance d’avoir une interprétation à théâtrale et absolument géniale de Tugan Sokhiev. Le public exulte. Le troisième concerto pour piano qui suit vois venir le jeune pianiste Seong – Jin Cho. Tout jeune homme de 26 ans c’est avec élégance et une décontraction affichée qu’il s’installe au piano. Il ne fait qu’une bouchée des notes, il n’en oublie pas une, sure de lui à chaque instant, mais disons-le clairement ce jeu est appliqué et encore un peu scolaire. Nous avions entendu il y a peu la grande Élisabeth Leonskaja dans ce concerto, la comparaison est édifiante. Ce soir l’orchestre est rutilant, ronronne ou se fâche, caracole ou se pâme, avec une beauté sonore de chaque instant. Le geste de Tugan Sokhiev est élégant et précis. La musique se déploie avec évidence. La puissance est beauté pure. De son côté le pianiste est poli, sage et élégant. Quand je repense à l’interprétation d’Elizabeth Leonskaja, qui d’ailleurs devais faire partie d’une intégrale enregistrée, je repense à la formidable alchimie qui existait entre la grande pianiste et le chef, cette façon de faire de la musique ensemble de se proposer l’un-l’autre des moments de partage et surtout cette manière de la grande artiste d’écouter l’orchestre, de chanter avec lui quand le piano se tait et de vraiment participer entièrement à la construction d’un moment magique. C’est un peu le problème avec les pianistes très jeunes qui s’embarquent dans des concertos aussi connus. Certes ils sont capables de jouer les notes magnifiquement, mais n’ont pas la maturité musicale, la formidable puissance expressive de ses grands pianistes historiques. Le publique applaudi autant l’orchestre, le chef que le pianiste. Ce dernier donne un petit bis en forme de refrain boîte à musique. C’est peut-être une question de format : celui ci plus modeste, convient mieux à ce jeune pianiste dont le jeu et plein de charme mais n’a rien à voir avec la puissance expressive de la musique de Beethoven contient.
Le sanitaire impose un concert sans entractes, nous avons ainsi pu rentrer dans l’univers de la troisième symphonie de Brahms tout de go. L’orchestre si magnifique dans l’ouverture et le concerto est pris à bras le corps par Tugan Sokhiev. Le son devient dense, profond et chaud. Dès les premiers accords il les inclut dans un mouvement puissant qui fait avancer vers plus de lyrisme. Le premier mouvement de d’écriture complexe devient limpide à l’écoute. Le chef sait tenir dans sa main de fer une tension permanente qui de phrases en phrases, de nuances en rythmes étirés, met en valeur la richesse harmonique dans un lyrisme irrésistible. Toute l’épaisseur, la grandeur et la puissance de la symphonie nous sont rendus simples et évidents. La structure de chaque mouvement avec toutes les reprises se déploie avec élégance sans que le temps ne prenne le moindre poids. Brahms ainsi dirigé est tout simplement irrésistible. Brahms dont Schumann disait qu’il était un symphoniste né l’avait deviné. Le génie est dans chaque mesure. Les instrumentistes se dépassent, chacun mériterait d’être félicité personnellement mais c’est l’ensemble qui fait merveille. Quelle énergie se dégage de notre bel orchestre. On dira ce qu’on voudra mais je crois bien qu’il n’est pas possible d’être plus brahmsien que Tugan Sokhiev et ses musiciens du Capitole. On mesure le chemin parcouru quand nous aimions déjà le Brahms de Tugan Sokhiev et attendions un développement des violons en chemin vers l’excellence. Nous avons bénéficié de cette évolution progressivement. Ce soir les violons ont été magiques. Chaque entrée se fait sous le sourire du chef qui se délecte de leur réactivité, leurs nuances et leurs phrasés si beaux. Mais les bois ont été chauds et lyriques à souhait, les cors idéalement romantiques, les cuivres profonds et mystérieux. Chacun a donné sa vie. Qui aura résisté au charme du fameux thème du troisième mouvement ? Qui n’aura pas été saisi pas la puissance du final dans sa grandeur généreusement organisée ? Bien des œuvres de Brahms symphonies, concertos et Requiem Allemand nous ont convaincu dans cette même salle de la qualité de la direction du chef ossète et de la qualité de son orchestre du Capitole.
Je crois qu’il n’a jamais dirigé cette troisième symphonie. C’est sans importance, il en possède toutes les complexités. Un mot encore tant que nous pouvons le décrire sur La Geste de Tugan Sokhiev. Le voir diriger est spectacle depuis toujours mais il atteint en ce moment une plénitude émouvante. Il nous offre un spectacle musical des plus rares. Des chefs magnifiques à regarder en dirigeant j’en connais quelques autres, mais là nous dépassons la simple beauté. Il s’agit de tout autre chose. Une danse élégante et souple, pleine d’énergie assumée et apprivoisée qui galvanise les musiciens. Cette chorégraphie est à la fois complètement improvisée et très organisée de manière à guider tant les musiciens que le public. Tugan Sokhiev est une sorte d’enchanteur, de mage de l’orchestre. Impossible de résister à son charme et à ce qu’il obtient de l’Orchestre du Capitole dans des gestes limpides. Orchestre National du Capitole qui est encore Son orchestre pour quelque temps, car c’est en effet sa dernière saison à Toulouse…. La pensée de ce départ ne gâchera pas notre bonheur ce soir : Un vrai bonheur partagé pour ce concert de rentrée. Plus beau que jamais car il signe le retour à la vie normale comme l’a dit dans un français délicieux notre cher Tugan Sokhiev.
Compte rendu concert. Toulouse. Halle aux grains, le 10 septembre 2020. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Fidelio, ouverture. Concerto pour piano et orchestre n°3, op. 72. Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie n°3 en fa mineur, op. 90. Seong-Jin Cho, piano. Orchestre National du Capitole. Tugan Sokhiev, direction.