Compte-rendu concert. La Roque d’Anthéron. Quarantième année du festival international de piano. Parc du Château de Florans, auditorium le 9 Août 2020. Johannes Brahms (1833-1897) : Ballade n°1 en ré mineur et n°2 en ré majeur, op.10 ; Sonate pour alto et piano n°1 en fa mineur op.120 ; Claude Debussy (1862-1918) : Sonate pour violon et piano en sol mineur ; Frédéric Chopin (1810-1849) : concerto pour piano n°2 en fa mineur op.21 version avec Quintette à cordes. Liya Petrova et David Petrtlik, violon ; Antoine Tamestit, alto ; Aurélien Pascal, violoncelle ; Yann Dubost, contrebasse ; Alexandre Kantorow, piano.
Un génie du Clavier bien entouré.
Alexandre Kantorow, pianiste français de 23 ans, a tout du génie mais encore la tête froide. Il reste étonnement simple et ne semble pas être gâté par le succès. Le voir saluer modestement mais ne cachant pas sa joie est un vrai bonheur. L’admiration non feinte dont l’entourent les musiciens qui l’approchent est très belle. Ce concert a été le concert du bonheur. A titre personnel car j’attendais depuis un an d’entendre sur scène ce musicien. Le voir et l’entendre vont bien au-delà de ce que le disque dévoile déjà comme dépassant du simple piano.
Cet artiste est en transe lorsqu’il joue et semble non pas jouer du piano mais donner vie à l’instrument et en faire un partenaire à égalité. Ce qui se passe lorsqu’il pose ses mains sur l’instrument est proprement sidérant. Le son qu’il en tire n’a rien d’habituel. Chaque pianiste a son propre son. Kantorow en a mille tous plus beaux les uns que les autres. Le piano devient orchestre et évoque n’importe quel instrument. L’impression qui se dégage du jeu d’Alexandre Kantorow est qu’il peut obtenir ce qu’il veut. Parler de couleurs, de nuances n’a plus de sens tant ses grandes mains sculptent sa sonorité dans toutes les matières. C’est dans le bis que cet orchestre s’entend au bout de ses doigts quand il interprète (et comment !) le final de l’oiseau de feu dans un crescendo qui entraîne tout sur son passage. C’est quelque chose de tout simplement inouï. Sa pâte sonore est des plus souples et riches que j’ai jamais entendues. Seuls les deux autres « jeunes » Daniil Trifonov et Benjamin Grosvenor que j’ai pu écouter sur cette même scène les années précédentes m’ont fait le même effet. C’est énorme et chaud comme le magma central et délicat comme l’air le plus pur. Il fallait que je dise cet effet unique et si émouvant afin de pouvoir ensuite parler comme d’habitude de musique… car cet artiste sait créer un lien extrêmement fort et immédiat avec les autres musiciens. Chacun l’a dit que ce soit la violoniste Liya Petrova avec qui il a interprété la sonate pour violon de Debussy et encore davantage l’altiste Antoine Tamestit. La jeune femme s’engage sans retenue dans cette œuvre, obtenant de son bel instrument des phrasés larges et ciselés et des aigus à se pâmer. Kantorow est un partenaire symbiotique qui enflamme sa partenaire et la suit dans son jeu.
L’accord avec l’altiste Antoine Tamestit est peut-être encore plus profond. Cela tient à la carrière de l’altiste qui peut juger de la qualité du jeu de Kantorow car il a joué avec les plus grands de ce monde dès ses débuts. La sonate de Brahms, empruntée à la clarinette sonne merveilleusement à l’alto. Avec cette même fusion créatrice le pianiste et l’altiste nous ont entraînés loin dans ce voyage romantique. L’émotion est partout et le chant aussi présent chez l’altiste que chez le pianiste. Comment un piano peut-il chanter à égalité avec un alto ? Déjà dans les deux ballades de l’op.10 de Brahms, la largeur du son et la beauté du légato étaient confondantes.
Et comment ne pas évoquer la maturité de ce jeu toujours juste, naturel, musical mais différencié. Debussy, Brahms et Chopin, chacun différent et chacun aussi beau. Ce concert est disponible à la réécoute et la qualité du son peut s’entendre, l’accord avec les partenaires aussi. Mais le voir et sentir sa présence est une expérience plus rare encore.
C’est dans le concerto n°2 de Chopin qu’il dégage le plus de beauté pure, toujours liée à l’émotion. Loin d’être déçu par l’absence de l’orchestre, je dois dire que le quintette à cordes permet un équilibre bien plus intéressant avec le piano. Ce soir l’écoute mutuelle entre les cordes et le piano a touché au sublime. L’engagement des cinq cordes a été total. L’effet est très satisfaisant et à aucun moment l’orchestre n’a manqué. D’autant que ce n’est pas faire injure à Chopin que d’écrire que sa science d’orchestre est bien moindre que sa science au piano.
Le Larghetto du concerto sous le ciel étoilé et dans un calme serein a été un vrai moment de grâce. Les sonorités féériques d‘Alexandre Kantorow, le legato de la coulée des perles de musique tout a été inoubliable. Parler de virtuosité semble trivial devant un tel engagement et une telle évidence de dons. Ce jeune homme est habité par la musique totalement. Né dans une famille de merveilleux musiciens, les fées se sont penchées sur son berceau et il a tout pour être LA MUSIQUE et il la partage admirablement avec ses partenaires et son public. Car il a en plus une capacité à toucher le public, chacun l’étant comme personnellement. C’est un véritable phénomène qui ne se raconte pas mais se vit. Le regard de ses partenaires se retournant pour le voir à la fin du concerto, semblait dire « mais avec qui avons-nous jouer si merveilleusement » ?
Et après son bis le délire était aussi fort chez ses collègues que dans le public. Chacun se demandant s’il avait jamais entendu quelque chose d’aussi impressionnant !
Alexandre Kantorow est un vrai génie, certainement pas seulement un interprète.
Sa manière simple aux saluts et ses sourires épanouis font deviner que son évolution va être extraordinaire car il ne semble pas se laisser éblouir par le succès et garde son cap : le partage.
Lien vers ce concert absolument merveilleux.