Regarder « Corps noir » d’Aurélien Bory, dans le dédale des couloirs au-dessus du fleuve Garonne, est une expérience inoubliable.
Après l’admirable flamenco revisité pour Stephanie Fuster en 2008 «Qu’est-ce que tu deviens?» Bory retrouve la danse de Fuster avec une approche plus radicale .
Scénographe et artiste complet il associe à sa création l’écran thermique mis au point par l’équipe recherches de sa compagnie 111 comme lieu unique de son nouvel opus. Passionné par l’univers scientifique il résout à sa manière la question fondamentale des physiciens : quelle est l’évolution d’un corps noir lorsque sa température augmente ?
La température qui augmente c’est celle du spectateur, absorbé par la danse de Stéphanie Fuster dont , derrière l’écran , le corps et ses gestes impriment une fabuleuse chorégraphie du désir… À l’heure où les images faussement érotiques envahissent nos écrans marchandises , la chorégraphie de « corps noir » nous ramène à l’expression la plus radicale d’Eros , là où tout peut s’imaginer et où seuls les artistes avancent sans crainte.
Tous les gestes , séquences subtiles scandées par le seul bruit du corps heurtant l’écran, convoquent la beauté absolue : celle des peintres anonymes de la préhistoire jusqu’aux anthropométries d’Yves Klein !
Quatre vers d’Horace me viennent :
« Pour moi , la paroi sacrée atteste ,
par une image votive ,
que j’ai consacré mes vêtements humides
au puissant dieu de la mer »
C’est tous les dieux de l’art que Bory convoque dans cette représentation dont la simplicité nous mène à l’essentiel, à regarder en nous-mêmes !
Stéphanie Fuster , dont la sensualité fait frémir toutes les technologies qu’elle anime , me rappelle la Sainte Ursule du Caravage : la flèche la touche au cœur, mais c’est le nôtre qui bat plus fort dans cette disparition éphémère d’images que l’on veut garder en mémoire.
La présence d’Aurélien Bory à Toulouse est une grande chance pour la créativité de la ville , il faut espérer que la rénovation du lieu de création imaginé par Bory au Théâtre de la Digue sera vite réalisée.
Le hasard a fait que Bob Wilson , invité par Jacky Ohayon , a pu voir cette création en juillet et qu’il a été impressionné ; ayant vu la création d’ « Einstein on the beach » à l’Opera de Paris en 1976 d’une durée de 4 heures 40… j’étais fasciné, «Corps noir» m’a sidéré dans ses 30 minutes ; le génie se joue des durées !
photos : Aglaé Bory